L’institut Reuters de journalisme à l’Université d’Oxford a, en janvier 2022, publié son rapport annuel concernant les évolutions dans le domaine journalistique. Document incontournable pour quiconque souhaite connaître les évolutions dans la manière de produire et de concevoir les produits journalistiques, il se penche cette année sur l’après-COVID dans les médias. En une phrase, ce rapport mise, pour l’année 2022, sur le fait de renforcer les acquis plutôt que d’en créer. Au-delà de ces considérations commerciales, le rapport n’est pas exempt de certaines considérations « déontologiques » et idéologiques bien connues.
Une presse pour les nantis
L’un des premiers constats de ce rapport est que la presse reste, dans sa majorité, perçue comme étant au service des idées des personnes alliant fort capital économique et culturel. C’est près de 47% des personnes interrogées par les auteurs qui le pensent. Phénomène expliqué par le fait que le modèle économique sur lequel reposent les gros titres de presse pousse à payer pour lire les articles, etc., laissant de côté ceux n’ayant pas les moyens de financer. Un élément problématique, car il risque à terme, selon les auteurs, de limiter l’audience des titres à cette seule caste.
Comment attirer les lecteurs ?
Un journal reste une entreprise qui, pour croître, a besoin d’agrandir sa clientèle, ici, le nombre de lecteurs. Pour ce faire, deux pistes sont établies, mais en creusant, une seule est réellement applicable.
La première consiste à ramener vers les médias des gens qui en ont une défiance notable depuis un moment. Si cette défiance est réelle et ancienne, puisque déjà en 2018 le rapport notait que 44% des personnes interrogées ne faisaient pas confiance aux médias (Le Blog de Mediapart, 20 juin 2018), la pandémie a accru cette défiance.
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En France, certains journalistes ont pris les habits du perroquet pour répéter la parole gouvernementale, parfois au mépris de la vérité, comme Anne-Claire Coudray en janvier 2020 sur le plateau de TF1, cherchant à tout prix à donner tort à Marine Le Pen. Citons aussi la poignée de main entre Emmanuel Macron, alors candidat à la présidence, et Ruth Elkrief, animatrice sur BFMTV, lors de sa campagne. Le geste incarne cette liaison entre la politique et les médias, qui pousse bon nombre de Français à s’éloigner des médias « mainstream ». De tout cela, le rapport n’en dit mot. S’il souhaite agrandir l’audience des titres de presse en ramenant à lui des lecteurs déçus, il ne remet jamais en question les raisons de cette défiance. Pire encore, puisque dans l’introduction les auteurs souhaitent que le futur réseau social de Donald Trump, Truth social, soit un repère de « discours de haine, hackers et autres perturbateurs ». Le mépris suintant pour les trumpistes laisse facilement imaginer la ligne éditoriale les concernant dans les médias qu’évoque le rapport. Il semble alors que la réconciliation entre les rédactions et ce lectorat conservateur non négligeable ne soit pas possible.
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Recours aux jeunes ?
Se profile alors la seconde option : viser un public plus jeune. Cette stratégie passe alors par deux biais. Le premier est d’insérer l’offre journalistique sur les réseaux sociaux les plus en vogue et sur le premier d’entre eux, Tik Tok. Comme l’expliquent les auteurs, la plateforme est la tendance de ce début d’année. Elle se place avec YouTube et Instagram comme une cible de choix pour la jeune audience. Le second biais est d’amener des enjeux qui intéressent les jeunes et la part belle est faite à la question climatique. Dans ce cadre, l’avis de Vincent Giret, actuel directeur de France Info, est cité. Ce dernier explique qu’il y a une faiblesse dans la culture scientifique des rédactions. Il s’agit alors d’« éduquer » les journalistes à ces questions afin qu’ils en parlent avec exactitude, pour sensibiliser les jeunes et au-delà.
Avant d’aller au-delà, faisons une observation. Le mot de Giret n’est pas sans rappeler le rapport Bronner qui souhaite propager des « cours d’esprit critique » afin que le citoyen ne se fasse pas berner par ses biais cognitifs. Par ailleurs, notons que les plateformes citées, TikTok, YouTube, Instagram, sont toutes verrouillées par le https://www.ojim.fr/fact-checkers-ou-desinformateurs-entretien-le-gallou/ « fact-checking », devenu pour Google un investissement de choix. Ainsi, l’information qui sera délivrée au public suivant les recommandations de ce rapport, sera, sans même que le rapport ne le mentionne vraiment d’ailleurs, labellisée de façon à ne pas porter atteinte aux dogmes immuables tels que l’ingérence russe de 2016 lors des élections aux États-Unis, balayée par le rapport Durham, ou l’efficacité certaine et non discutable du masque ou du vaccin dans la lutte contre le coronavirus.
Le journalisme après le Covid
Autre question, comment faire du journalisme après la pandémie ? Le premier constat est celui d’une démocratisation de l’« hybride » entre télétravail et présentiel. Le second est celui d’une hausse des violences contre les journalistes. Ici, sans surprise pour les lecteurs assidus de l’OJIM, sont cités en exemple les manifestants contre le passe sanitaire en Angleterre. Nous pouvons faire la même remarque que plus haut, si les violences sont réelles, le rapport ne se questionne pas sur les raisons de cette colère, qui ont pourtant tout à voir avec les pratiques d’une partie du corps journalistique.
Plus inclusif, plus politiquement conforme
Enfin troisième constat, qui rejoint la volonté d’agrandir l’audience par un public plus jeune, l’idée d’un journalisme « plus inclusif ». Ainsi, il est proposé de mettre en avant des personnes uniquement pour leur appartenance de race, ou bien que la presse « serve » aux minorités de genre. Au risque d’enfoncer une porte ouverte, soulignons que mettre en avant une personne uniquement parce qu’elle est noire ou arabe n’est pas moins raciste que de la mettre au rebut pour la même raison. Par ailleurs, vouloir faire en sorte que la presse soit « utile » aux minorités sexuelles est-ce bien en harmonie avec l’idée d’être impartial, comme le devrait être un journaliste selon 57% des sondés du rapport ?
Derrière ces considérations d’audience et de déontologie, se cache toujours la même volonté de mise en avant de certaines notions comme la pseudo égalité (pour certains seulement), la pseudo diversité (anti-blancs), la pseudo tolérance (pas pour tout le monde), qui sont l’apanage du monde libéral libertaire. Suivant fidèlement l’idéologie de l’époque, entre « fact-checking » et diversité, le rapport formate déjà l’information de la prochaine génération.