Le 6 novembre 2018, le Sénat a refusé une fois de plus d’adopter la loi anti fake news, après un premier rejet le 26 juillet dernier. Comme la fois précédente, ce rejet a été massif – 289 voix pour le rejet, 31 contre (LREM et indépendants). Considéré comme « inefficace voire dangereux » par le Sénat, le texte a été fortement brocardé par les sénateurs.
Arrogance diabolique
« Se tromper est humain, persister dans son erreur par arrogance est diabolique », a ainsi estimé sans douceur le rapporteur LR Christophe-André Frassa, qui a aussi parlé d’un « dispositif inefficace contre les vraies menaces ». Sénateur communiste des Hauts-de-Seine, Pierre Ouzoulias dénonce le gouvernement qui a décidé de « poursuivre l’examen de ce texte à la hussarde » alors qu’il s’agit d’un « rafistolage de fortune » après son passage à l’Assemblée où 23 amendements ont été adoptés.
Embouteillage judiciaire possible
Les sénateurs dénoncent entre autres la possibilité prévue par la loi de pouvoir saisir le juge des référés quand une fausse information « de nature à altérer la sincérité du scrutin est diffusée de manière délibérée, artificielle ou automatisée » et ce dans les trois mois avant le premier jour du mois où ont lieu les élections générales. Selon la centriste Catherine Morin Desailly, cette proposition est une « mesure totalement irréaliste, voire potentiellement dangereuse » car le juge n’aura jamais le temps de traiter toutes les requêtes en urgence – ce qui reviendrait à donner une légitimité aux fausses informations non sanctionnées.
Une législation européenne ?
Elle plaide au contraire pour une législation au niveau européen, notamment en réformant la directive e‑commerce : il faut aller « au cœur du réacteur : le modèle économique de l’Internet » : « Il y a un lien inextricable entre l’objectif de manipulation et l’intérêt commercial. Les intérêts commerciaux et politiques sont liés ». Faisons remarquer qu’une telle législation européenne, plus loin des administrés, pourrait être encore plus répressive qu’une législation nationale.
La loi prévoit aussi que le CSA puisse suspendre la diffusion de services de télévision contrôlés «par un Etat étranger ou sous l’influence» de cet état s’ils diffusent «de façon délibérée de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin». En ligne de mire : la chaîne Russia Today France, déjà mal-aimée de la presse mainstream et surtout du CSA, instance en théorie indépendante.
Pour le sénateur des Alpes Maritimes Jean-Pierre Leleux (LR), « ce texte érige le juge et le Conseil supérieur de l’audiovisuel (qui pourra suspendre la diffusion de services de télévision contrôlés « par un état étranger ou sous l’influence ») en gardiens de la désinformation. Il place notre pays dans une logique de contrôle de l’information ». Il devrait cependant être adopté définitivement le 20 novembre prochain par l’Assemblée Nationale. À suivre.
Crédits photo : Photos et Voyages via Flickr (cc)