Après la « marche des fiertés » (on a la fierté qu’on peut) à Paris et ailleurs, le 24 juin 2023, il est opportun de revenir sur un nouveau phénomène que l’on doit bien appeler le nouveau totalitarisme du monde dit « trans ». Un exemple polonais récent est particulièrement illustratif.
C’est au nom de la liberté de la presse et du pluralisme que les États-Unis sont intervenus plus d’une fois ces dernières années pour défendre le groupe de télévision libéral-libertaire polonais TVN, propriété de la société américaine Warner Bros. Discovery, Inc. (voir par exemple ici sous la présidence Trump et ici sous la présidence Biden).
TVN, la chaîne polonaise (groupe Discovery) à la gauche du spectre libéral libertaire
Très engagée politiquement contre les gouvernements conservateurs sous la houlette du parti Droit et Justice (PiS), apôtre du wokisme et de l’idéologie du genre en Pologne, grande promotrice des droits réclamés par le lobby LGBT, championne de la tolérance, de l’inclusivité et du politiquement correct, et bien entendu pro-UE et pro-migrants : telle est en gros la ligne des chaînes de ce groupe de propriété américaine qui est un des trois grands groupes de télévision en Pologne. Mais les Polonais découvrent aujourd’hui les limites de cette tolérance et de cette inclusivité gaucho-libérale, et aussi les limites de la liberté d’expression et du pluralisme quand on est un média progressiste. Surtout après qu’un humoriste se fut permis une petite plaisanterie à propos du phénomène « transgenre » dans une émission de TVN24, la chaîne d’information en continu du groupe de TVN, face à un journaliste de cette chaîne.
Réaction hystérique du lobby trans, le journaliste évincé
La réaction hystérique du lobby trans à cette plaisanterie fait réagir jusque dans le camp de TVN, avec deux autres humoristes qui ont décidé de ne plus participer à l’émission concernée sur TVN24, « Verre de contact » (pol. Szkło Kontaktowe), suite à l’éviction de l’auteur de la plaisanterie « transphobe », tandis qu’un allié traditionnel de la cause LGBT, le journaliste et commentateur Tomasz Lis (jusqu’à récemment rédacteur en chef de Newsweek Polska, un hebdomadaire du groupe Ringier Axel Springer devenu très anti-PiS, anti-clérical et pro-LGBT sous sa direction), exprime aujourd’hui son inquiétude face à la dérive totalitaire de son bord.
Folie du politiquement correct
Tomasz Lis a en effet réagi sur Twitter le 18 juin avec ces mots :
« La folie du politiquement correct est allée trop loin. Les vaches sacrées et les activistes à quatre lettres veulent décider qui peut travailler et qui doit partir. »
Et Lis d’ajouter cette petite réflexion le lendemain :
« Il semblerait qu’un homme qui fait carrière en jouant la victime ait, avec l’aide d’une activiste connue pour son besoin pathologique d’autopromotion, contribué à achever un collègue, qu’il ait pratiquement fait capoter toute une émission télévisée. Terrorisme de l’autopromotion, du chantage affectif et du politiquement correct. »
La blagounette qui fâche
L’humoriste attaqué aujourd’hui pour transphobie après des années passées dans le camp du bien, celui des progressistes pro-LGBT, s’appelle Krzysztof Daukszewicz. Depuis 2005, année de création de l’émission, il était régulièrement invité dans cette émission « Verre de contact » où l’on passe son temps principalement à tourner en dérision le PiS et son chef, Jarosław Kaczyński, ainsi que les ministres les plus conservateurs du gouvernement Morawiecki. Émise à partir de 22h, elle faisait en moyenne 5,8% d’audience de janvier à mai de cette année, soit 577.000 téléspectateurs en moyenne. Dans l’émission « Verre de contact » du 15 mai, Dauszkiewicz se moquait, en compagnie du présentateur de l’émission, des plaisanteries et des lapsus de Kaczyński et de certains membres de son parti sur la question des « transgenres ». C’est alors que devait intervenir par liaison vidéo un journaliste de TVN dont le fils se considère justement comme une fille et est traité comme telle par son père. L’humoriste s’est alors permis un trait d’humour en paraphrasant Jarosław Kaczyński et il a demandé de quel sexe était ce journaliste « aujourd’hui ». Le journaliste en question, Piotr Jacoń, s’est alors montré très énervé et a coupé court à son intervention au bout de quelques dizaines de secondes. Dauszkiewicz s’est ensuite excusé auprès de lui après l’émission, alors qu’on l’avait entendu dire en direct, quand il croyait son micro coupé : « Je crois bien que j’ai dit une grosse connerie ».
Et en effet, sa participation à l’émission a d’abord été suspendue par la chaîne TVN, puis c’est l’humoriste lui-même qui a annoncé au bout de quelques semaines qu’il ne reviendrait pas car on ne lui proposait plus qu’une participation réduite.
La chaîne américaine bat sa coulpe
Dès le lendemain du crime de lèse-majesté, la chaîne avait publié un communiqué pour battre sa coulpe : « La rédaction de TVN 24 défend et continuera à défendre de tout cœur les droits des minorités victimes de discriminations. Nous présentons nos excuses à tous nos téléspectateurs, en particulier à la communauté LGBT+, pour les propos tenus dans l’émission « Verre de contact » d’hier ». Le même jour, le journaliste et père d’un garçon s’identifiant en tant que fille se lamentait sur Instagram pour décrire la vague d’émotions que cette petite blague avait suscité chez lui :
« L’indignation collective suscitée par les propos de Krzysztof pourrait en fait me réjouir. Même la droite polonaise a compris que la soi-disant blague sur les transgenres n’en était pas une. Souvenez-vous de mon visage. C’est le visage de la colère et de l’impuissance. Avec aussi un dilemme : comment expliquer à ma famille, qui rit dans le meilleur des cas d’une énième blague d’un monsieur moustachu, pourquoi j’ai les larmes aux yeux ? Comment le faire sans qu’on me dise que je gâche la fête et que j’exagère ? Au-delà de mes émotions, la situation d’hier est une parfaite démonstration de ce à quoi aboutit l’introduction du langage de haine dans les salons (y compris dans les salons de mon milieu). Mettre des citations du président Kaczyński ou du ministre Wójcik, qui se moquent directement des personnes transgenres, à l’antenne sur « Verre de contact », juste pour le plaisir, c’est accoutumer à la transphobie (…) ».
En fait d’indignation collective, elle s’est cantonnée à une certaine gauche, mais l’entrée en action du lobby LGBT et de ses soutiens a fait le reste pour lancer une grande campagne de haine (de gauche) contre cet humoriste (également de gauche).
En Pologne aussi…
Expliquant son refus de revenir participer à l’émission « Verre de contact « quand cela lui fut proposé quelques semaines plus tard, à la mi-juin, l’humoriste en question a écrit sur son compte Facebook :
« C’était une gaffe pour laquelle je me suis immédiatement excusé. Je n’avais pas de mauvaises intentions. Piotr Jacoń n’a pas, ainsi qu’il l’a dit lui-même, accepté ces excuses “rapides”, mais que devais-je faire ? Je suis allé le voir après l’émission et je me suis excusé. Plus tard, lorsqu’il m’a appelé, il est rapidement apparu qu’il n’appelait pas pour résoudre le conflit mais juste pour écrire un autre manifeste sur Internet. »
« J’apprécie la main tendue par TVN, je remercie [l’animateur de l’émission] Tomasz Sianecki et mes collègues pour leur soutien, mais je crois qu’après ce que moi et ma famille avons vécu ces dernières semaines, rien ne sera plus comme avant », a encore déclaré l’humoriste.
Culture de l’effacement à la sauce américaine
La morale de cette histoire, c’est que quand on est dans le « camp du bien » en Pologne, mieux vaut se surveiller, au risque de tomber victime de la Cancel Culture à l’américaine. À droite, les langues sont nettement plus déliées, et l’on a en effet entendu Jarosław Kaczyński plaisanter en public pour critiquer cette idéologie du genre « qui commence à se répandre comme une épidémie ». « C’est évidemment une mode, c’est un non-sens, c’est la destruction de la société, et c’est pourquoi nous voulons nous y opposer. Nous voulons nous opposer à cette révolution », déclarait-il ainsi devant un groupe d’électeurs » en décembre dernier, avant d’ajouter, suscitant les rires de la salle : « Je ne veux pas trop plaisanter, car certains me critiquent à ce sujet, mais je peux vous dire, même si ce ne sera peut-être pas aux prochaines élections, que si [le chef du parti libéral PO Donald] Tusk devait être encore là aux élections suivantes, il s’y présentera alors probablement en tant que femme. »
Il y a un an, le leader du parti au pouvoir depuis 2015, qui est aujourd’hui vice-premier ministre du gouvernement Morawiecki, avait dit : « Nous devons faire en sorte, même si c’est peut-être la chose la plus difficile, que la vérité revienne. Bien sûr, on peut ne pas être d’accord avec nous, avoir des opinions de gauche, penser que chacun d’entre nous peut dire à un moment donné, comme maintenant, à six heures et demie : “j’étais un homme et maintenant je suis une femme”. »
À vrai dire, en Pologne, la plaisanterie de l’humoriste Krzysztof Daukszewicz ne lui aurait causé aucun problème dans bien d’autre médias de son pays, mais pas dans un média de gauche qui appartient de surcroît à un groupe médiatique américain acquis au wokisme. Après avoir connu le marxisme-léninisme venu de l’Est, les Polonais découvrent aujourd’hui les joies des nouvelles idéologies libérales venues de l’Ouest.