La Société de journalistes (SDJ) du Figaro a demandé à s’entretenir avec Alexis Brézet, directeur des rédactions du journal, afin d’évoquer le cas d’Éric Zemmour. Le rendez-vous a eu lieu le 2 juin 2021. Selon Mediapart, le but était d’évoquer les “accusations de violences sexuelles” dont fait l’objet le journaliste et “sa participation à la manifestation de policiers le 19 mai”. Retour sur les faits.
“L’Affaire Zemmour”
Depuis la possible candidature du journaliste aux élections présidentielles de 2022, c’est le festival des révélations concernant des propos déplacés ou des agressions sexuelles dont il serait l’auteur. La première accusation a été faite par une élue socialiste d’Aix-en-Provence, Gaëlle Lenfant, lors d’une publication Facebook en avril 2021. Celle-ci raconte qu’en 2004 (ou 2006 ?), le journaliste l’aurait attrapée par le cou et embrassée de force lors d’un dîner ayant eu lieu la veille de l’Université d’été annuelle du PS. Qu’est-ce qui l’a poussé à parler tant de temps après ? Selon ses dires, la diffusion dans sa ville, d’une banderole soutenant la candidature de Zemmour à la présidentielle, qui lui rappelle le “dégoût” qu’elle porterait en elle depuis cet épisode.
Suite à ce premier épisode, d’autres femmes, journalistes ou attachées de presse, y vont de leurs “révélations”. Deux autres incidents auraient eu lieu à iTélé / CNews, en 2006 et 2019. Mediapart aurait encore reçu d’autres témoignages, qu’ils évoquent dans un article du 30 mai 2021.
C’est dans ce contexte que la SDJ du Figaro aurait demandé à s’entretenir avec Brézet. La participation du journaliste à la manifestation des policiers du 19 mai 2021 serait aussi un sujet de préoccupation pour ces derniers…
Société de journalistes (SDJ), de quoi parle-t-on ?
Dans la presse, la Société de journalistes, SDJ, représente les journalistes (ou une partie d’entre eux) auprès de la direction, des actionnaires. Ses membres sont élus par leurs pairs. La SDJ s’occupe de garantir “l’indépendance journalistique”, notamment vis-à-vis des tentatives d’interférences de certains actionnaires, et le respect de la charte déontologique des journalistes.
Le rôle de la SDJ est donc habituellement d’être dans le camp des journalistes, tel un syndicat interne. La SDJ du Figaro avait par exemple soutenu Judith Waintraub, journaliste au sein de ce dernier, lorsqu’elle avait été menacée de mort sur les réseaux sociaux après un tweet polémique sur une étudiante voilée. La SDJ avait argué que “la liberté d’expression ne se négocie pas en France”. Sauf quand cela concerne Zemmour semble-t-il, puisque dans son cas, la Société semble oublier la même liberté d’expression.
La SDJ du Figaro, un collège de 6 membres
La SDJ du Figaro est aujourd’hui dirigée par 6 membres élus.
Pierre de Gueheneuc de Boishue est celui qui est présent depuis le plus longtemps dans la direction de la Société. Il en est membre depuis juillet 2016.
Ensuite, c’est Jean-Baptiste Garat qui est présent depuis la plus longue période (septembre 2018). Il est rédacteur en chef adjoint au service culture du Figaro, c’est lui le président de la SDJ du journal. En novembre 2020, il avait par exemple insisté sur l’importance de filmer les interventions policières pour dénoncer les violences lors de ces dernières. Pour illustrer cela, il avait évoqué l’intérêt d’avoir filmé l’arrestation polémique du producteur de musique Michel Zecler et celle de “l’évacuation violente” de clandestins qui bloquaient la Place de la République à Paris.
En janvier 2021, 4 nouveaux membres ont pris place dans la direction de la SDJ. Il s’agit des journalistes Paul Delort ; Anne de Guigné, spécialisée dans “la politique économique et Bercy”, et passée par Sciences-Po, HEC et le monde de la banque ; Jean-Marc Leclerc, rédacteur en chef adjoint au journal, spécialisé dans les thématiques de sécurité intérieure, affaires judiciaires et immigration ; et Sophie de Ravinel, grand reporter au service politique et spécialiste des sujets politiques liés à la gauche comme en témoignent ses retweets de Jean-Luc Mélenchon, Raphaël Glucksmann et cie. Lors de l’opposition entre Gérald Darmanin et Audrey Pulvar, elle avait d’ailleurs essentiellement partagé les informations favorables à cette dernière.
Tout ce petit monde compose aujourd’hui la tête de la SDJ du Figaro qui, une fois de plus, semble gênée par Zemmour. Pour exprimer leurs interrogations, ils se sont entretenus avec Alexis Brézet, qui avait déjà fait “savoir sa réprobation” à Zemmour lors de sa prise de parole à la tribune de la Convention de la droite en 2019. A l’occasion de cette même Convention, alors que les organisateurs refusaient des journalistes de Libération, L’Opinion, etc., Alexis Brézet avait d’ailleurs indiqué que Le Figaro boycotterait cet événement si ces derniers ne changeaient pas d’avis…
La SDJ du Figaro, garante du politiquement correct dans le journal
Que la SDJ soit à l’origine de cet entretien ne surprend pas quand on regarde le passif de cette dernière.
En 2012, elle avait adopté à l’unanimité une motion pour dénoncer les prises de position trop favorables à Nicolas Sarkozy et trop critiques vis-à-vis du PS, professées par le journal. Etienne Mougeotte, directeur des rédactions du Figaro en 2012, leur avait alors dit que s’ils n’étaient “pas contents”, ils n’ont “qu’à aller travailler à Libération”.
Plus récemment, en 2018, la SDJ s’était par exemple, “désolidarisée” officiellement du journal alors que ce dernier demandait sur Twitter aux lecteurs, s’ils étaient “favorables à l’enseignement de l’arabe en option au sein des écoles publiques”. Simple sondage qui méritait au moins la désapprobation de la SDJ. Concernant le cas Zemmour, cette dernière réagit aussi très régulièrement pour le dénoncer dès qu’elle en a l’occasion.
La SDJ comme tribunal
En 2018, Zemmour s’était fait remarquer pour avoir critiqué le prénom d’Hapsatou Sy lors de l’émission Salut les Terriens. La SDJ avait alors fait circuler un email en interne dénonçant le manque de respect par Zemmour de la charte déontologique du Figaro. Il avait alors dénoncé le rôle de “tribunal révolutionnaire” que s’attribue la Société pour juger ses propos, qui comme il le rappelle, “n’ont pas été publiés dans Le Figaro et n’engagent aucunement le journal”. Il aurait définitivement mieux fait de s’appeler Judith Waintraub et d’être menacé de mort.
En 2019, lors de la Convention de la droite où Éric Zemmour a longuement pris la parole et qui était diffusé sur LCI, SOS-Racisme l’avait attaqué pour “sa violente charge contre l’islam et les immigrés”. De nouveau, la SDJ du Figaro s’en était aussi prise à lui, le traitant de “rentier de la polémique” et demandant “instamment à la direction de la rédaction de mettre un terme à cette situation ambiguë” (l’idée d’un appel au licenciement ne semble pas loin…), Zemmour se défendant de son côté en arguant que ses prises de position à l’extérieur ne regardent pas ses employeurs et collègues de travail.
En 2020, suite à des propos de Zemmour sur CNews, lors desquels il disait qu’il fallait que “ces jeunes, comme le reste de l’immigration, ne viennent plus” car “ils n’ont rien à faire ici”, “ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs”, la SDJ avait de nouveau publié un communiqué.
Cette demande d’entretien émanant de la SDJ n’a rien de surprenant. Elle offre une occasion de plus à l’organisation — proche du milieu libéral libertaire, le milieu moyen des journalistes- et pseudo garante du respect des sacro-saintes chartes, de dénoncer un collègue dont elle cherche à obtenir la tête depuis plusieurs années. Une sorte d’esprit confraternel, mais à l’envers. Et à dimensions variables.