Le journal L’Équipe connait une période de turbulences en ce début d’année 2025. Début janvier, le directeur de la rédaction du journal, Lionel Dangoumau et son adjoint, Jean-Philippe Leclaire ont été licenciés avec effet immédiat dans des conditions dignes d’un film hollywoodien : confiscation de leurs badges et désactivation de leur adresse mail professionnelle le soir même.
Derrière ce coup de pression en haut de la pyramide salariale se dessine une nouvelle stratégie pour le journal du groupe Amaury.
Diversifier le lectorat
Le nouveau directeur général de L’Équipe Rolf Heinz, arrivé au manettes le 1er juin 2024 entend transformer le journal à travers un plan stratégique qu’il veut ambitieux et qui doit consister notamment dans la recherche d’un lectorat diversifié. En effet, le journal poursuit depuis quelques années une politique éditoriale tournée très largement vers le football, sport le plus populaire et le plus vendeur en France. À titre d’exemple L’Équipe du 28 janvier comptait 28 pages, les 13 premières étaient consacrées au ballon rond. Si la logique commerciale parait ici évidente, le football est un marché compliqué puisque les sites d’information sur ce sport se sont multipliés ces dernières années, reprenant notamment à travers des citations, l’essentiel des contenus exclusifs du journal, c’est le cas notamment du site Foot Mercato. Ces sites d’informations qui oscillent entre reprises de L’Équipe et de contenus d’émissions de football de RMC constituent une concurrence délicate à affronter car entièrement gratuite pour l’internaute.
Doubler le numérique
La nouvelle direction entend donc renforcer ses partenariats avec d’autres médias comme elle le fait déjà avec RTL. L’objectif de Rolf Heinz est de faire grimper nombre d’abonnés numériques à l’horizon 2030 en visant les 500 000 contre 210 000 aujourd’hui. Il entend également, toujours dans cinq ans faire passer le nombre de visiteurs uniques mensuels pour le site Web de 11 à 20 millions et multiplier par cinq les vidéos vues, de 100 millions à 500 millions par mois.
Des objectifs démesurés et une stratégie risquée ?
L’Équipe a connu trois plans sociaux depuis 2012 et l’objectif visant à connaître une progression fulgurante en matière de vente et diffusion avec moins de salariés peut apparaître très audacieux. Le nouveau directeur affirme vouloir s’appuyer sur une ligne éditoriale renouvelée qui mettrait en avant les « dimensions politiques et sociétales » du sport, ce que fait déjà l’hebdomadaire L’Équipe qui verse dans un politiquement correct qui coupe probablement le titre d’un lectorat de droite amateur de sport.
Rolf Heinz entend par ailleurs développer des thématiques sur la santé, l’alimentation ou encore le tourisme… Au risque de s’éparpiller un peu. Pour cela, il a annoncé l’injection de plusieurs millions d’euros, permettant notamment six recrutements au numérique en 2025, ce qui peut paraître très faible à considérer les objectifs annoncés.
Le nouveau directeur devra en tout cas parvenir à souder des équipes qui ont été échaudées par le brusque renvoi du directeur de la rédaction et son adjoint. La société des journalistes (SDJ) de L’Équipe, pas franchement téméraire, n’a pas communiqué sur ces renvois. Le directeur de la rédaction du magazine people Gala Matthias Gurtler serait pressenti pour prendre les rênes du journal ce qui est inhabituel dans ce titre habitué à procéder via des promotions internes.
Rolf Heinz assure lui que « l’indépendance éditoriale est une des valeurs fortes du groupe L’Équipe », une phrase toute faite pour un journal qui est avant tout un canard qui traite de sport et qui doit désormais composer dans un environnement hyper concurrentiel. « L’indépendance » du journal est déjà mise à rude épreuve quant à sa discrétion sur les difficultés du diffuseur de la Ligue 1 de football DAZN, un véritable fiasco qui compte moins de 500 000 abonnés depuis son lancement, très en dessous des 1,5 million envisagés la fin de la première saison à l’été 2024. Le silence de L’Équipe s’explique assez bien par le partenariat engagé avec le diffuseur malaimé des amateurs de foot pour ses prix exorbitants et la qualité médiocre des prestations fournies.
À l’assaut du numérique, le journal n’en demeure pas moins fortement dépendant de sa vente en kiosque d’où il tire l’essentiel de ses revenus avec seulement 30% provenant de la publicité. Seul sur le créneau papier, il devra fidéliser la clientèle attachée au format journal tout en partant à la conquête d’un public numérique dont les attentes peuvent varier.
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