C’est l’homme du Brexit, Nigel Farage, qui a jeté le pavé dans la mare, mais il n’est pas la première victime, ni la dernière d’ailleurs. L’ancien chef du parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), qui anime désormais une émission quotidienne à l’antenne de la chaîne de télévision GB News, révélait le 29 juin que sa banque, où il avait tous ses comptes bancaires privés et professionnels depuis 44 ans, venait de lui clôturer ses comptes sans invoquer d’autre motif que de vagues « raisons commerciales ».
Un animateur à succès qui dérange
Deux jours plus tôt, Farage recevait le prix TRIC Awards du Présentateur de nouvelles de l’année. « Dans une salle remplie de cadres et de talents d’institutions médiatiques telles que Sky News, ITV et la BBC, M. Farage a triomphé, à leur grand désarroi. », peut-on lire sous la vidéo de l’événement publiée par la chaîne « anti-woke » GB News.
C’est donc un présentateur et animateur de télévision de premier plan qui est aujourd’hui victime de la Cancel Culture désormais déployée par de grandes banques britanniques à l’encontre de leurs clients exprimant publiquement des opinions non conformes. Et cela n’a bien entendu pas manqué de faire réagir. Le gouvernement de Rishi Sunak s’en est mêlé, promettant une intensification du processus en cours de passage en revue des pratiques des banques sous l’angle du respect de la liberté d’expression et d’opinion des sujets britanniques.
On pouvait lire à ce sujet le 3 juillet dans le Guardian, journal de gauche lui-même adepte de la bien-pensance libérale-libertaire et du totalitarisme trans : « Le gouvernement a lancé des consultations sur la liberté d’expression et la fourniture de services de paiement au début de l’année, après avoir été contacté par la Free Speech Union, le groupe de campagne créé par Toby Young, qui s’est dit préoccupé par le fait que certaines personnes se voyaient refuser l’accès aux services financiers. »
Des précédents fâcheux
Comme nous l’avions signalé en octobre dans les colonnes de l’Observatoire du Journalisme, Toby Young et son Union pour la liberté d’expression avaient eu leurs comptes Paypal bloqués du jour au lendemain, sans aucune explication, avant que le géant américain ne fasse marche arrière face au scandale causé par sa décision au Royaume-Uni.
À l’occasion d’une discussion sur GB News le lendemain de l’annonce par Farage de la fermeture de ses comptes bancaires, Toby Young expliquait qu’il arrivait régulièrement aux membres de la Free Speech Union de voir leur compte en banque fermé sans explication et même souvent sans préavis. Young a même cité le cas d’un membre qui a appris la fermeture de son compte par sa banque quand sa carte bancaire n’a pas voulu fonctionner à la caisse d’un supermarché.
Si Nigel Farage n’a pas voulu donner d’emblée le nom de sa banque, il est vite apparu qu’il s’agissait de la banque Coutts, une prestigieuse enseigne de la NatWest, réservée à ses clients très aisés et qui compte des membres de la famille royale dans sa clientèle. Il faut emprunter ou investir un million de livres sterling ou bien déposer trois millions de livres sterling pour pouvoir ouvrir un compte dans cette banque.
Refus de sept banques d’ouvrir un compte à Nigel Farage
Le média Politico, que l’on ne saurait soupçonner de sympathies pour l’homme du Brexit, indique que les données financières de la société Thorn in the side de Farage affichaient encore un capital et des réserves supérieurs à ce seuil de 1 million de livres sterling en octobre 2022, c’est-à-dire à la date du dernier dépôt de ses états financiers. Nigel Farage a en outre assuré s’être adressé à sept autres banques qui auraient toutes refusé de l’avoir comme client.
Le présentateur de GB News écrivait le 30 juin dans le Telegraph : « Pour qui circulait dans Londres cette semaine, il était impossible de ne pas remarquer un symbole ornant les locaux de bon nombre de nos entreprises, y compris de nos banques : le drapeau multicolore de la Fierté. Nous vivons une époque de politisation de notre secteur des entreprises. Malheur à vous si vous ne vous conformez pas à leur vision du monde. J’en ai pris conscience lorsque ma banque m’a récemment annoncé qu’elle fermait tous mes comptes sans explication. Il est impossible de fonctionner sans compte bancaire. Tout le monde devrait s’alarmer du fait qu’une banque a le pouvoir de punir ceux qu’elle considère comme s’étant détourné du droit chemin. »
Politisation des entreprises
Comme le remarque Farage, le phénomène ne se limite pas aux banques. Venant confirmer cette affirmation, une grande étude conduite par Policy Exchange et dont les résultats ont été rendus publics en février dernier montre que les Britanniques commencent à en avoir par-dessus la tête de toutes ces entreprises qui cherchent à imposer leurs vues politiques et idéologiques à leurs salariés et à leurs clients.
En ce qui concerne le secteur bancaire, Nigel Farage date les débuts de leur évolution totalitaire à 2014, quand le candidat de l’UKIP à une élection partielle a vu ses comptes bancaires fermés par sa banque. Farage cite un autre exemple datant de 2019 où une infirmière à la retraite originaire de Malaisie qui venait de se faire élire au Parlement européen sur la liste du nouveau Brexit Party de Farage a eu son compte fermé sommairement par sa banque peu après son élection. La banque en question aurait aussi fermé les comptes du mari et de la fille de l’eurodéputée en question, Christina Jordan.
En 2021, la Metro Bank avait de la même manière fermé le compte bancaire de Richard Tice, le leader du Reform Party, une nouvelle mouture du Brexit Party désormais concentrée sur la critique des confinements et restrictions des libertés face à la pandémie de Covid-19.
Il semble donc que ce soit davantage en qualité d’ancien leader politique que d’animateur d’émissions de télévision où l’on commente l’actualité que Nigel Farage ait lui-même ce genre de problèmes. Il a d’ailleurs déclaré au Telegraph qu’il était sans doute victime de « préjugés flagrants » de la part d’entreprises privées en raison de sa campagne en faveur du Brexit. Une campagne dont l’intéressé estime que le monde de la grande entreprise au Royaume-Uni ne la lui pardonne pas.
Face au refus des autres banques contactées de lui offrir leurs services, Farage a indiqué qu’il pourrait être forcé de quitter le Royaume-Uni, car il ne peut pas vivre et travailler normalement sans compte bancaire.
Compte fermé pour avoir critiqué le lobby LGBT
Le 1er juillet, plusieurs journaux, comme ici le Daily Mail, citaient encore le cas d’un client de la banque Yorkshire Building Society dont le compte bancaire a été fermé quatre jours après qu’il eut écrit à sa banque pour critiquer les messages publiés par elle pendant le « mois des fiertés » LGBT. Le client en question est un prêtre anglican de 62 ans. Il a depuis accusé la Yorkshire Building Society d’« intimidation » et a déclaré : « Je n’étais même pas conscient du fait qu’il y avait un problème dans notre relation. Il s’agit d’un établissement financier qui n’est pas là pour faire de l’ingénierie sociale. Je pense qu’ils devraient concentrer leurs efforts sur la gestion de l’argent, au lieu de promouvoir l’idéologie LGBT. » Et d’ajouter : « Je sais que la culture de l’annulation existe et c’est la première fois que j’en fais l’expérience. Je ne voudrais pas que ce type d’intimidation arrive » à quelqu’un d’autre ».
Alors que le prêtre anglican assure que sa critique des messages de la banque soutenant ce « mois des Fiertés » et de l’idéologie « trans » était restée polie, la banque, qui compte environ 3 millions de clients, a répondu qu’elle a une « approche de tolérance zéro face aux discriminations » et que sa relation avec ce client était « irrévocablement rompue ».
Le Daily Mail indique aussi à cette occasion avoir appris de Nigel Farage la veille que trois membres de sa famille avaient eu leurs comptes bancaires fermés récemment.
La Barclays Bank condamnée
Par ailleurs, ainsi qu’on pouvait le lire le 1er juillet dans le Telegraph, en juin dernier, la Barclays Bank a été contrainte de verser 20.000 sterling de dommages-intérêts à des groupes d’évangélisation chrétiens dont elle avait clôturé les comptes sous la pression du lobby LGBT. Le même article cite d’autres exemples, tels ceux-ci : « Henrik Overgaard Nielsen, ancien député européen du Parti du Brexit, a été informé que son compte à la Metro Bank serait fermé. Dans un message publié sur Twitter, M. Nielsen a déclaré qu’il avait un revenu stable, qu’il n’avait jamais dû d’argent à Metro Bank et qu’il n’avait aucune difficulté financière. Sa fille s’est également vu refuser un prêt hypothécaire, et M. Nielsen soupçonne que c’est parce qu’il était caution. La baronne Claire Fox, directrice du groupe de réflexion Academy of Ideas, a déclaré avoir vécu la même expérience et “soupçonner une motivation politique”. »
D’après le Telegraph, le Chancelier de l’Échiquier, c’est-à-dire le ministre des finances, serait très préoccupé de cette pratique de plus en plus fréquente du secteur bancaire britannique. À l’issue de la publication du rapport commandé par le gouvernement sur la question, les banques pourraient bientôt avoir à se conformer à des délais de préavis plus longs avant de fermer les comptes d’un client et elles devront sans doute leur fournir de plus amples explications sur leurs motifs. Selon une « source haut placée » citée par le Telegraph, le gouvernement Sunak est en effet d’avis que « personne ne devrait se voir refuser la tenue d’un compte bancaire à cause de sa liberté d’expression ».
L’avenir proche nous dira si c’est sincère, mais en attendant l’on ne sait toujours pas si le meilleur présentateur de nouvelles de l’année va pouvoir rapidement rouvrir un compte bancaire dans son propre pays. Les banques évoquent souvent une règle sur les « personnes exposées politiquement », qui requièrent une vigilance plus stricte de leur part, mais comme l’a fait remarquer Nigel Farage, cette loi correspond à une directive de l’UE, et après le Brexit rien n’empêche le Parlement de Westminster de l’abroger rapidement pour enlever cette excuse à un système bancaire de plus en plus « woke ».