Le profil du correspondant local dans un pays donné influe grandement sur la qualité et l’orientation des articles publiés sur le même pays dans les médias de grand chemin. Nous publions la suite d’une série sur les pays d’Europe Centrale avec deux médias en ligne, d’orientation opposée, mais traitant des mêmes pays. Deuxième partie.
Voir aussi : Les correspondants de presse en Europe centrale : Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, première partie
Les correspondants de presse de la sphère du Courrier d’Europe centrale
Le Courrier d’Europe centrale est un média en ligne orienté à gauche et traitant de la Hongrie, de la Pologne, de la Tchéquie, de la Slovaquie, de la Biélorussie, de l’Ukraine et de la Moldavie.
Ce site est critique de la politique du gouvernement de Viktor Orbán, et reprend nombre de thèmes favoris de la presse d’opposition hongroise, des partis hongrois opposés au gouvernement et des institutions européennes (violation de l’État de droit, atteinte à la liberté de la presse, droits LGBT, xénophobie, corruption, etc.)
Cependant, l’ancrage à gauche du Courrier d’Europe centrale, qui se matérialise par exemple par un partenariat avec Mérce, un média hongrois issu de la gauche anti-capitaliste, fait que sa rédaction semble peu goûter l’européisme bruxellois de l’opposition hongroise et, sans doute encore moins, la personne de Péter Márki-Zay, candidat malheureux de l’opposition unie se qualifiant de conservateur.
Dans l’ensemble, le succès du Courrier d’Europe centrale est dû à la répulsion que suscitent à l’Ouest le gouvernement et le nom de Viktor Orbán. L’anti-orbanisme est un produit en vogue dans les rédactions des médias d’Europe de l’Ouest, une vague sur laquelle surfe assurément Le Courrier d’Europe centrale, sans qu’il ne soit toutefois possible de reprocher à sa rédaction — dont certains membres vivent en Hongrie depuis longtemps et maîtrisent la langue hongroise — d’être dupe.
Diplômé de l’Institut français de géopolitique (IFG, Paris 8), co-fondateur de Hulala devenu Le Courrier d’Europe centrale, Corentin Léotard, est correspondant à Budapest pour Ouest-France, La Libre Belgique, La Tribune de Genève et Mediapart.
Le jour des élections du 3 avril, Corentin Léotard signe un article dans Ouest France introduit de la manière suivante :
« Six partis d’opposition se sont alliés pour tenter de faire tomber le Premier ministre national populiste Viktor Orbán, aux élections législatives, ce dimanche 3 avril. Cette coalition hétéroclite, qui va de la gauche au Jobbik, une formation d’extrême droite aujourd’hui recentrée, est d’accord sur un point : rétablir l’état de droit et la démocratie, mis à mal par douze années au pouvoir du puissant Fidesz d’Orbán. »
Hélène Bienvenu collabore au Courrier d’Europe centrale et a été correspondante à Budapest pour de nombreux médias (dont La Croix et le New York Times) de 2011 à 2018. Elle est aujourd’hui basée en Pologne où elle correspond depuis Varsovie pour Le Figaro et Mediapart, entre entres.
Depuis le début de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, Le Courrier d’Europe centrale publie régulièrement des articles avec le soutien de Heinrich Böll Stiftung (Bureau Paris). Hélène Bienvenu a signé celui en date du 9 mars et intitulé « Diaporama : Przemyśl, porte de secours pour ceux qui fuient l’Ukraine ». La fondation Heinrich Böll est une fondation politique allemande affiliée aux Verts allemands (Bündnis 90/Die Grünen) disposant d’une trentaine de bureaux dans le monde, dont le financement est assuré principalement par le gouvernement allemand.
Fait notable et rare dans le métier de correspondant de presse français en Europe centrale : Hélène Bienvenu est polyglotte et parle anglais, polonais, hongrois, espagnol et portugais.
Thomas Laffitte est un journaliste franco-hongrois basé à Budapest après avoir travaillé à Kiev. Il est correspondant à Budapest pour Le Figaro, pigiste pour Ouest-France et contribue aussi au Monde diplomatique et à Mediapart. Le lendemain des élections de 2022, il rédige un article pour Le Figaro expliquant le triomphe de Viktor Orbán et son « isolement » du reste de l’Europe.
Joël Le Pavous est proche de l’équipe du Courrier d’Europe centrale et correspondant à Budapest pour L’Express, Le Soir, Le Temps, Slate et vigie pour le Courrier international. Auteur du Dictionnaire insolite de la Hongrie aux éditions Cosmopolites, Joël Le Pavous parle et lit le hongrois. Comme Thomas Laffitte dans Le Figaro, Joël Le Pavous évoque dans L’Express le 14 avril l’hypothèse de l’« accentuation de l’isolement international » du dirigeant hongrois suite à sa réélection du 3 avril et la poursuite du « combat [de Viktor Orbán] contre l’Union européenne. »
L’hebdomadaire L’Express s’est illustré par un article en date du 4 avril intitulé « La solitude de Viktor Orbán, le Poutine de la puszta [plaine hongroise, ndlr] » signé Marion Van Renterghem, grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres et biographe d’Angela Merkel. Un article qui qualifie Viktor Orbán de « plus fier apôtre en Europe » de Vladimir Poutine. Une ligne associant Viktor Orbán à Vladimir Poutine adoptée à plusieurs reprises par Joël Le Pavous, notamment le 27 mars dans L’Express en expliquant que « le Premier ministre [hongrois] a imposé un régime autoritaire inspiré du maître du Kremlin. »
Le Visegrád Post et la presse alternative française
Fondé en 2016 par le journaliste franco-hongrois Ferenc Almássy, le Visegrád Post est un site d’information et d’analyse partenaire de TV Libertés paraissant en français, en allemand et en anglais. La ligne du site est conservatrice et chrétienne et se propose d’adopter le point de vue centre-européen pour expliquer et analyser l’actualité politique et internationale des pays du groupe de Visegrád.
Le Visegrád Post a bénéficié en 2019–2020 d’une aide au développement de 4 millions de forints de forints (environ 10 000 euros) de la part du Fonds culturel hongrois (NKA) et a été partenaire du quotidien pro-gouvernemental hongrois Magyar Nemzet de janvier 2021 à avril 2022. Fonctionnant sans publicité et sans abonnement, le Visegrád Post est financé par ses donateurs.
Le Visegrád Post se différencie des autres médias français et francophones traitant de l’Europe centrale en ce qu’il ne participe pas au Hungary/Poland-bashing en cours en Europe de l’Ouest. Ce site bénéfice de l’attrait des milieux conservateurs et nationaux occidentaux pour le groupe de Visegrád et particulièrement pour la politique menée par Viktor Orbán en Hongrie, notamment pour ses pans qui concernant la politique migratoire et l’agenda LBGT des institutions européennes.
Bien que relayant et expliquant les positions des gouvernements polonais et hongrois — et le point de vue des autres pays du groupe de Visegrád — sur les questions européennes, le Visegrád Post publie des articles critiques de la position des gouvernements centre-européens. Cette approche critique s’est notamment fait sentir sur la question des mesures sanitaires adoptées par ces gouvernements.
La vague de l’Orbán-mania sur laquelle surfe le Visegrád Post ne rend pas pour autant les membres de sa rédaction dupes comme en atteste ces contenus critiques. Certains membres de sa rédaction vivent en Hongrie depuis de nombreuses et maîtrisent parfaitement la langue hongroise. Leur connaissance du terrain permet de modestement contrebalancer la masse d’anti-orbanisme primaire relayé par la presse occidentale mainstream.
Le travail de terrain menée depuis 2016 par le Visegrád Post permet notamment de fournir en information une série de médias souhaiter traiter les cas hongrois et polonais sans a priori idéologique ou politique, autrement dit essentiellement les médias faisant partie de la « réinfosphère » et la presse alternative française. Une démarche permettant certes de satisfaire un lectorat lassé des clichés sur l’Europe centrale, mais un travail ne faisant toujours pas le poids face à la quantité d’informations produites par la presse française mainstream.
Fin de la deuxième partie. À suivre : les correspondants de la presse française en Pologne.