À journal libéral-libertaire, point de vue libéral-libertaire, et c’est bien normal. Ne nous attendons donc pas de la part du Monde ou de Libération à des articles et analyses rédigés de manière impartiale et non engagée, mais on serait malgré tout en droit d’attendre de la rigueur et de l’honnêteté de la part de leurs correspondants. Qui sont-ils ?
Le Monde
En ce qui concerne le journal Le Monde, nous avions déjà brièvement évoqué la personne de Jakub Iwaniuk dans notre description des correspondants de presse français en Pologne, publiée en 2017.
Rappel de ce que nous écrivions il y a cinq ans, toujours valable aujourd’hui, puisqu’Iwaniuk continue de publier des billets et reportages sur la Pologne dans Le Monde :
« On ne s’étonnera bien sûr pas que dans un journal de gauche comme Le Monde le journaliste Piotr Smolar, fils d’Aleksander Smolar, un ancien communiste aujourd’hui président de la Fondation Stefan Batory financée par George Soros et proche du journal Gazeta Wyborcza (lui aussi financé par George Soros) ait été remplacé, après avoir couvert la Pologne pendant plusieurs années, par un produit des écoles françaises, Jakub Iwaniuk (IUT de journalisme à Cannes et Sciences Po Strasbourg, selon son profil Facebook) qui partage comme son prédécesseur les mêmes idées que son employeur et ne présentera donc jamais les arguments et le point de vue du camp conservateur, pourtant majoritaire au pays de Jean-Paul II. On rappellera au passage que Le Monde a un partenariat avec plusieurs journaux de gauche européens, dont Gazeta Wyborcza, dans le cadre du réseau Europa, ce qui explique peut-être pourquoi M. Iwaniuk rapporte à ses lecteurs comment le journal Gazeta Wyborcza est étouffé par le pouvoir conservateur en oubliant de préciser que le même traitement (absence d’abonnements et d’annonces publicitaires de la part du secteur public) était réservé aux journaux conservateurs sous les gouvernement libéraux précédents. »
L’empreinte du Courrier d’Europe centrale
Sans surprise, Jakub Iwaniuk collabore également avec le Courrier d’Europe centrale dont nous avons récemment souligné le rôle pour alimenter les grands médias français en informations sur les pays du Groupe de Visegrád (V4). Tout comme l’autre correspondante du Monde en Pologne, Hélène Bienvenu (voir son portrait sur le site de l’Observatoire du Journalisme), qui a intégré la rédaction du Courrier d’Europe centrale en 2018. Dans le cadre des synergies qui caractérisent la grande presse française, pour ne pas dire les médias mainstream dans leur ensemble – des synergies facilitées par l’homogénéité idéologique de nos grands médias, a contrario des médias dans les pays du V4 –, Hélène Bienvenu travaille aussi, comme nous le signalions dans notre récent article sur les correspondants de presse en Hongrie, Tchéquie et Slovaquie, pour Le Figaro et Médiapart.
Toujours critique vis-à-vis des gouvernements du PiS accusés, entre autres choses, de restreindre la liberté de la presse (voir plus haut à propos de Gazeta Wyborcza, mais aussi ses articles « L’offensive du gouvernement polonais contre les médias privés » ou « En Pologne, un giron de la presse régionale passe dans le giron du pouvoir »), Jakub Iwaniuk ne voyait rien à redire quand le site en langue française du légendaire syndicat polonais Solidarité a dû être fermé sous la pression des syndicats français. En bon correspondant de presse de gauche, il fait par ailleurs systématiquement la confusion entre l’obédience conservatrice et chrétienne-démocrate revendiquée par un parti Loi et Justice (PiS) qui a toujours été un fervent partisan de l’appartenance de la Pologne à l’Union européenne (même s’il ne partage pas le rêve fédéraliste d’Emmanuel Macron) et le camp nationaliste en Pologne, qui reste assez marginal sur le plan électoral et qui est dans l’opposition. Iwaniuk qualifie systématiquement le PiS de parti « nationaliste » ou « national-conservateur » quand il ne parle pas des « ultraconservateurs ».
Réalité déformée
Favorable au libre accès à l’avortement, Hélène Bienvenu n’a pas peur de déformer la réalité, comme lorsqu’elle affirme dans un article intitulé « En Pologne, des réfugiées ukrainiennes confrontées à l’accès restreint à l’IVG » que, en Pologne, « une femme a pleinement le droit de procéder à un avortement médicamenteux chez elle, à l’aide de pilules préconisées par l’OMS jusqu’à la 12e semaine de grossesse, et que des ONG basées hors de Pologne comme Women on Web ou Women Help Women font parvenir à domicile en une semaine ». En fait l’avortement est interdit en Pologne sauf en cas de viol ou d’inceste ou bien de danger pour la vie ou la santé de la femme enceinte, et il n’est pas autorisé de prendre des pilules abortives pour contourner cette interdiction, leur vente étant par ailleurs interdite. La seule chose, c’est que la loi polonaise de prévoit pas de sanction contre la femme qui avorte illégalement, mais uniquement contre les personnes tierces qui réalisent cet avortement ou qui aident à sa réalisation. La contre-vérité n’est pas ici innocente, puisqu’elle permet de présenter en victime des agissements illégaux du pouvoir une membre d’une organisation féministe radicale (qui vante l’avortement comme étant quelque chose de « cool », ce que la plupart des partisans de l’IVG contesteraient probablement) qui a justement fourni des pilules abortives à la femme en question :
« Justyna Wydrzynska en a fait les frais : elle est accusée par le parquet d’avoir aidé une Polonaise en situation d’urgence lui adressant directement, par la poste, l’un des principes actifs d’une IVG médicamenteuse ».
Deuxième bobard de la correspondante du Monde : « en situation d’urgence ». L’affaire concerne en fait une Polonaise qui souhaitait se faire avorter mais qui n’était pas en situation d’urgence, en dehors du fait qu’elle ne voulait pas de cet enfant. En outre, il ne s’agissait pas d’un acte isolé de Justyna Wydrzynska.
Comme on pouvait le lire le 27 avril dans le journal Présent dont le correspondant en Pologne, Olivier Bault, collabore non pas avec le Courrier d’Europe centrale mais avec le site conservateur Visegrád Post, « La militante encourt trois ans de prison. Elle est accusée par le parquet d’avoir distribué des produits pharmaceutiques sans autorisation et d’avoir fourni une aide pour réaliser un avortement illégal. Son organisation, l’Abortion Dream Team, agit au grand jour et fait notamment la publicité d’un numéro de téléphone permettant d’obtenir une assistance pour se faire avorter à l’étranger. »
Changement chez Libération
Chez Libération, on ne trouve plus d’articles signés de la plume de la très gauchiste Maja Zolkowska (« Żółkowska » pour les Polonais) que nous avions évoquée dans notre article de 2017 sur les correspondants des médias français en Pologne, alors qu’elle couvrait ce pays pour le journal de gauche français depuis fort longtemps : c’était déjà elle qui y disait du mal des premiers gouvernements (de coalition) du PiS en 2005-07.
Maja Zolkowska a été remplacée par un journaliste canadien, Patrice Sénécal, qui travaille également pour le quotidien québécois Le Devoir. Au risque de se répéter, on précisera ici que « sans surprise, Patrice Sénécal collabore également avec le Courrier d’Europe centrale dont nous avons récemment souligné le rôle pour alimenter les grands médias français en informations sur les pays du Groupe de Visegrád ».
Les verts allemands à la rescousse
Il est donc bon de savoir que, quand ils ne reproduisent pas les mêmes dépêches de l’AFP, l’agence de presse publique dont le biais libéral libertaire n’est un secret pour personne, les grands journaux français ont recours aux services de correspondants travaillant ensemble au sein d’un même média de gauche financé par le gouvernement allemand par le biais d’une fondation politique allemande affiliée aux Verts allemands (Bündnis 90/Die Grünen).
Bien évidemment, les angles de ces correspondants ne diffèrent pas vraiment, comme on le constatera aisément dans l’article « Les réfugiées ukrainiennes contraintes à avorter dans la clandestinité en Pologne » signé de la plume de Patrice Sénécal dans Le Devoir. Pas étonnant que la loi polonaise sur l’avortement le choque puisque dans son pays, le Canada, l’IVG (l’interruption volontaire de grossesse, hein, pas l’IMG) est autorisée jusqu’au neuvième mois de gestation, c’est-à-dire tant que le bébé n’est pas entièrement sorti du ventre de sa mère, comme c’est aussi le cas en Chine ou en Corée du Nord. Et donc pour Sénécal, « Le calvaire de certaines réfugiées se prolonge au-delà des frontières de leur Ukraine en guerre. Elles pensaient pouvoir retrouver une relative sérénité, loin des bombardements, dans un pays frontalier membre de l’Union européenne ; en vain. Elles découvrent la réalité national-conservatrice de la Pologne et, avec elle, sa loi sur l’avortement, l’une des plus sévères d’Europe. » Quant au lobby pro-vie très présent en Pologne, il n’est pas appelé « pro-vie » par Sénécal mais simplement « lobby antichoix ».
On notera au passage le qualificatif « national-conservateur », le même que celui utilisé par le correspondant du Monde Jakub Iwaniuk, son collègue du Courrier d’Europe centrale.
Même ton de Sénécal dans les colonnes de Libération, sous le titre « Droits des femmes – IVG en Pologne: «Quand j’ai appris que j’étais enceinte, c’était la fin du monde» » (à propos d’un drame expliqué sous un autre angle par le Visegrád Post, dans l’article : « La Pologne injustement attaquée par les partisans de l’avortement après le décès d’une femme enceinte »).
Dans d’autres domaines, le correspondant de Libération n’affiche pas un point de vue moins engagé contre le gouvernement conservateur polonais que ses concurrents du Monde (et collègues du Courrier d’Europe centrale) dont il semble partager les vues, que ce soit à propos de « l’implacable machine à refoulement des gardes-frontières polonais » à l’automne dernier contre les vagues de migrants moyen-orientaux envoyées par la Biélorussie (« Entre Pologne et Bélarus, des migrants «en hypothermie, affamés et déshydratés» ») ou à propos des réformes de la justice au centre de la dispute avec Bruxelles (« Résistance – Face aux dérives du PiS, les juges polonais se mettent hors la loi »).
Fin de la première partie. À suivre.
Voir aussi : Les correspondants de presse en Europe centrale : Hongrie, Tchéquie, Slovaquie (I)