Dans un premier article, nous avons analysé les réactions de L’Obs, Le Point, L’Express dans leurs parutions de la première moitié de décembre 2018. Des réactions que l’on pourrait qualifier de globalement hostiles au mouvement des gilets jaunes et macrono-compatibles. Voyons maintenant ce qu’on écrit Le Figaro Magazine, Marianne et Valeurs Actuelles.
Le Figaro Magazine
Après avoir proposé une analyse intéressante des racines de la crise, signée Alain Finkielkraut, qui soutient les gilets jaunes et pour qui « l’ancien monde fait de la résistance », dans son édition du 7 décembre, le Figaro Magazine fait sa couverture du 14 décembre sur l’allocution télévisée du président et interroge : « Peut-il encore réformer ? Macron face au mur ». La réforme, autrement dit la mise en conformité de la France à l’idéologie libérale libertaire (dans sa composante surtout libérale sur le plan éonomique) de Bruxelles est la préoccupation principale du Figaro Magazine.
Pour le Figaro Magazine, la France n’explose pas et ne souffre pas du fait des actions du président Macron mais avant tout du manque de réformes, justement ; une France qui, en termes de dépenses publiques, est le mauvais élève de l’Europe et dans laquelle il y a des emplois mais pas de moyen de les pourvoir. Le problème est le « modèle Français ». Position sur le fil de l’hebdomadaire qui comprend les gilets jaunes, à grand renfort de photos montrant combien ils sont le peuple, tout en considérant que la source du mal est a contrario de ce qu’ils veulent. Le vrai souci ce seraient les 35 heures, le trop plein d’aides sociales, le trop d’État… Rien de bien neuf au fond dans le Figaro Magazine, sur le plan de l’analyse des mouvements sociaux, quels que soient ces derniers. Une défense des possédants, assez classique (avec parfois des exceptions) dans ce journal.
Marianne
Depuis l’arrivée de Natacha Polony, en remplacement de Renaud Dély, à la tête de la rédaction, Marianne est en grande partie redevenu l’hebdomadaire qu’il fut autrefois, ne mâchant ni ses mots ni ses tabous. Un peu de vent frais dans la presse hebdomadaire française. C’est évident avec la couverture datée du 7 décembre 2018, mettant en avant une douzaine de photos de gilets jaunes, clairement issus de diverses catégories sociales, avec en plein centre : « Nous sommes le peuple et nous ne nous tairons plus ». Marianne a saisi de quoi il s’agit, d’autant que toutes les photos sont celles de « de souche ». La question est bien ici celle de la souveraineté populaire, laquelle ne doit pas être masquée par des « pillards opportunistes » ou des « groupuscules violents ». Surtout, Marianne note que la violence est parfois violence en retour, tant les classes moyennes ne sont pas écoutées en France. Ce qui est véritablement en cause c’est la chape de plomb qui pèse sur la France : le refus de débattre « sereinement » d’un choix de société possible en dehors de « l’intégration européenne » et de « la mondialisation heureuse », autrement dit de la diabolisation de toute pensée autre que celle des tenants du libéralisme culturel et politique.
Pour Marianne, la réponse passe par la réaffirmation des valeurs de la République et un véritable jeu démocratique non pollué par une oligarchie mimant la démocratie à son seul profit. Être ou ne pas être « populiste », difficile équation pour l’hebdomadaire, qui reste cependant logiquement sur sa ligne souverainiste républicaine, autrement dit celle de la gauche jacobine. Surtout, le « Bien commun » doit primer sur « les intérêts particuliers ». La question est bien celle de la prédation exercée par une minorité sur la masse du peuple. L’édition du 14 décembre enfonce le clou, dans la foulée de l’intervention télévisée du président : « Tout ça… pour ça ! Et pourtant on pourrait taxer les multinationales en France, introduire la proportionnelle et le tirage au sort, contester les traités européens ». Macron a peut-être « éteint l’incendie mais sur le fond n’a apporté aucune réponse ». Autrement dit, le peuple en gilets jaunes ou non est de nouveau le dindon d’une farce. Le prochain épisode risque de gagner en violences.
Valeurs Actuelles
L’édition du 6 décembre titre « Au bord du gouffre. Président dépassé, État débordé… Comment l’insurrection des gilets jaunes révèle la faillite d’un système ». L’axe de départ s’apparente à celui de Marianne. Cependant, Valeurs Actuelles insiste sur une « présidence périmée », avec une photo choc de Macron marchant dans un « Paris dévasté », et rappelle une des sources lointaines et cependant efficiente : la trahison des « élites » de 2005, quand le peuple Français ayant voté « non » s’est retrouvé pourvu d’un « oui » suite à usage de poudre de perlimpinpin. Les gilets jaunes, c’est le peuple qui a de la mémoire. L’hebdomadaire indique aussi que 40 % des électeurs des présidentielles de 2017 ne sont finalement représentés, aux législatives, que par 24 députés sur 577. Autrement dit, le fond du problème réside dans la mainmise antidémocratique d’une oligarchie sur le pays « La population refuse d’être gouvernée par ceux qui incarnent à leurs yeux une minorité : la majorité en sièges ne suffit plus à la légitimité. La France est malade et le médecin de permanence dépassé ».
L’édition du 13 décembre donne à voir un président le regard tendu et perdu vers l’horizon, avec comme accroche « Macron sur le volcan français ». Les autres mots de la couverture disent bien le fond du malaise « insurrection, réformes, dépenses publiques, immigration… L’impossible équation du quinquennat ». Valeurs Actuelles donne longuement la parole à Patrick Buisson, lequel montre, à l’instar de Marianne, que la « révolte des ronds-points réclame une restauration de la souveraineté populaire ». L’hebdomadaire précise cependant, et il est le seul, que Macron, après son intervention télévisée, n’a pas arrêté de trahir ce peuple, pourtant dans la rue contre les trahisons, en signant le pacte de Marrakech sur les migrations, pacte au sujet duquel les « élites » mentent à longueur d’ondes.
Point peu noté, que toutes les images montrent pourtant : la révolte des gilets jaunes est en effet celle du petit peuple Français blanc, le poor white trash à la française, et ce fait simple devrait amener à s’interroger sur la question identitaire, ce que les hebdomadaires ne font pas, à l’exception de Valeurs Actuelles, et d’une certaine manière de Marianne. L’échec du macronisme est celui de l’incarnation d’une idéologie sociale libérale, dite progressiste, dépassée. Les hebdomadaires s’en font l’écho, parfois à leur corps défendant. Le monde nouveau du jeune président ressemble au vieux monde. En pire.