La relation des médias aux gilets jaunes est compliquée et parfois violente, et inversement. Après tant d’années où les médias se sont mués en défenseurs d’un système totalisant, il arrive en effet que des gilets jaunes soient en colère. Ce qui est dit dans les hebdomadaires au sujet du mouvement populaire mérite du coup analyse.
Les gilets jaunes dans L’Obs du 10 janvier 2018
La Une est consacrée au « cancer des fake news, comment il attaque la démocratie ». Avec le partenariat de Public Sénat. Une association qui résume l’état des médias français en général.
On trouve de tout sur les réseaux sociaux, le meilleur comme le pire. Sauf qu’aujourd’hui le pire menace le meilleur.
“Le cancer des fake news”, cette semaine dans “L’Obs”
Pour s’abonner » https://t.co/dNYl0M17aE pic.twitter.com/ZSa7TQ2dMH
— Le Nouvel Obs (@Le_NouvelObs) January 9, 2019
Concernant plus directement les gilets jaunes, L’Obs se penche sur « Le vrai visage d’Éric Drouet ». Ce leader parmi d’autres des gilets jaunes aurait une « page facebook schizophénique ». Bien sûr, il est sympathique mais « son silence est assourdissant sur les violences qui touchent les forces de l’ordre, les journalistes ou les lieux institutionnels ». Drouet n’aurait voté qu’une seule fois dans sa vie, pour Mélenchon, et se défendrait d’une quelconque proximité avec Soral. Non pas une façon de le dédouaner mais de vouloir montrer que Drouet serait un peu bêbête, « je ne sais même pas qui c’est » dit-il au sujet de Soral, et n’aurait « aucune culture politique », selon un proche de Macron. Tant qu’à le dénigrer, L’Obs le soupçonne de penser que 60 millions de migrants vont venir en France, et autant dans 7 autres pays européens. Globalement, Éric Drouet, la tête de file des gilets jaunes ? Un type lambda et quelque peu stupide. Vu de Paris et de L’Obs.
Les gilets jaunes dans L’Express du 9 janvier 2018
De façon étonnante… presque rien sur les gilets jaunes dans un hebdo consacré avant tout au Japon et au prélèvement des impôts à la source.
Au sommaire de l’Express cette semaine:
💰Impôt à la source: une réforme sous haute tension
🇯🇵 20 pages spéciales #Japon: sexe, vieillesse, ce pays qui ne fait rien comme les autres pic.twitter.com/cfa6t6iY0f— L’Express (@LEXPRESS) January 8, 2019
Un dessin montrant Macron guillotiné et une masse de gilets jaunes violents. Il est vrai que dans L’Express Jacques Attali tient tribune. Du coup, l’hebdomadaire propose un gros article consacré à Macron et à la question de savoir s’il peut encore redonner une dynamique à son quinquennat à l’occasion des élections Européennes. Évidemment, le lecteur pense que les gilets jaunes seront évoqués. Que nenni ! Un hebdomadaire qui en pleine crise des gilets jaunes, pour l’un de ses premiers numéros de 2019, n’en dit qu’un dessin… voilà qui indique beaucoup.
Les gilets jaunes dans Le Point du 10 janvier 2018
Tout au contraire de L’Express, Le Point fait sa Une sur la crise des gilets jaunes, de façon claire et nette : « Mais quand est-ce qu’on arrête ça ! », avec une photographie du boxeur frappant le gendarme.
Mais quand est-ce qu’on arrête ça !
Extrême violence, menaces de mort contre des élus, attaque de ministère… Jusqu’où ira le déchaînement de haine ? Plongée dans une France à vif, dans #LePoint » https://t.co/N3Qbnxa4qy #LePoint pic.twitter.com/osEY6YeGfg
— Le Point (@LePoint) January 9, 2019
L’éditorial de Giesbert est tout aussi clair : ce serait « la révolution ». Le dossier parle d’ « escalade » de la violence, des menaces de mort, des attaques contre les ministères. Les mots ne sont guère journalistiques : « De prétendus gilets jaunes, qui cassent, frappent, brûlent, comme revenus à l’état de nature, sans filtres, sans lois, sans civisme ». Viennent ensuite des photographies de lettres de menace, de tags sur des maisons d’élus, de captures d’écran d’insultes. Enfin, une page pour accuser Mélenchon de mettre de l’huile sur le feu. Le Point a depuis longtemps clairement choisi son camp.
Les gilets jaunes dans Marianne du 11 janvier 2018
Marianne aussi fait sa Une sur la crise des gilets jaunes, et particulièrement sur l’organisation du « grand débat » : « Un débat ? Chiche ! Mais on met tout sur la table. Inégalités, libre-échange, dérégulation, immigration… ».
Voici la Une de Marianne cette semaine #JeudiPhoto pic.twitter.com/XUiy3IxJsB
— Marianne (@MarianneleMag) January 10, 2019
Bien que notant la présence « d’extrémistes » dans le mouvement, Natacha Polony refuse de réduire les gilets jaunes à cela et en appelle « à la juste mesure ». Elle note aussi, ce qui est rare dans les médias de la semaine, que l’actuel pouvoir politique a une responsabilité dans la radicalisation, lui qui ne cesse de vouloir « le décrédibiliser à coup d’accusations grossières ». Elle note aussi que ceux qui critiquent les gilets jaunes prétendent le faire au nom de la défense de la démocratie, ce en quoi elle n’est pas d’accord : les gilets jaunes, comme nombre de Français, ayant le sentiment que leur souveraineté politique a été confisquée. En particulier par une minorité défendant ses « intérêts de classe ». Aux yeux de Polony, Macron agit de la même manière que Clinton face à Trump, provoquant du coup « haine et radicalité ». Le dossier consacré au « débat » n’est pas plus tendre : une « usine à gaz » pensée « pour éviter les sujets du fâchent ». L’introduction de ce dossier rappelle que normalement un débat débouche sur un vote… pour faire mine de se souvenir que la dernière fois le pouvoir politique s’était justement assis sur le vote des Français. Du coup, Marianne apporte ensuite sa contribution au débat mais en choisissant ses thématiques : démocratie locale, fiscalité et cadeaux fiscaux, RIC, zone euro, échec du système éducatif, transition écologique… Marianne ne mâche pas ses mots : le mal-être est profond.
Les gilets jaunes dans Valeurs Actuelles du 11 janvier 2018
En Une, Michel Houellebecq, « l’écrivain national », et Marine Le Pen pour un entretien exclusif sur la thématique « le quinquennat Macron est terminé ». L’éditorial de François d’Orcival en appelle à l’action gouvernementale, et critique l’incapacité des ministres et du président à conserver le contrôle de leurs propos, ainsi quand Benjamin Griveaux déclarait que pour sortir de la crise il fallait « être encore plus radicaux dans nos méthodes ».
[En couverture] Houellebecq, l’écrivain national » https://t.co/MXHr539Awq pic.twitter.com/SIEVT8CH03
— Valeurs actuelles ن (@Valeurs) January 9, 2019
À ce degré de surdité, il n’est guère étonnant que Griveaux ait été obligé de fuir précipitamment de son ministère attaqué. D’Orcival note ensuite que l’acte 8 était moins fourni en gilets jaunes mais que cependant les autorités avaient sous-estimé sa vigueur, entraînant la possibilité pour de petits groupes de se livrer à de la casse. S’agit-il du reste seulement de gilets jaunes ? Plus avant, Catherine Nay demande : « Ça s’arrête quand ? ». Ce qui ressort de la crise, de son point de vue, ce sont les 58 000 salariés mis au chômage partiel. Elle insiste sur la responsabilité du président, en particulier quand il évoquait « les foules haineuses ». Peu adroit, il est vrai.
Il y a cependant pire en la personne de Mélenchon, ici accusé de jeter de l’huile sur le feu du fait de son intérêt pour le gilet jaune Éric Drouet. Catherine Nay a par ailleurs le courage d’avouer sa peur des gilets jaunes, laissant cependant entendre que cette peur serait le fruit de la crainte d’oser dire son ras-le-bol. Les gilets jaunes limitant la liberté d’expression du 16e arrondissement, il fallait oser. Catherine Nay finalement ne craint rien, du côté des mots. En dehors de cela, et à l’exception de ce que Houellebecq peut en dire, lui dont le roman n’est pas sans liens avec ce qui se passe actuellement, Valeurs Actuels a un peu délaissé les gilets jaunes en ce numéro de début d’année.
Globalement, les hebdomadaires semblaient se lasser des gilets jaunes, si l’on excepte Marianne. Ils sont sans doute soucieux de passer à une autre « séquence », comme ils aiment à dire. Pourtant, au vu de la mobilisation de l’acte 9, il y a fort à parier que les gilets jaunes vont revenir en Une sous peu.
Crédit photo : Jean-Paul Corlin via Wikimedia (cc)