Outre les rues de France et de Navarre, les gilets jaunes ont envahi plateaux de télévision, studios de radio, pages des quotidiens et des hebdomadaires. D’une certaine façon, ils ont permis à ces derniers, dont l’usuelle médiocrité, sauf exception, n’est plus à démontrer, de trouver des acheteurs. Que disent-ils des gilets jaunes, ces hebdos ? Tour de piste sur les deux premières semaines de décembre 2018.
L’Obs
Dans son édition du 6 au 12 décembre, L’Obs à la couverture tout de jaune vêtue accuse Macron de « faute fiscale » au sujet de la non réactivation de l’ISF. Trois thèmes accompagnent cette Une : « Où est passé l’argent ? » (pourtant, au sein de la rédaction de L’Obs gauche caviar, on doit bien avoir une petite idée), « La tension Macron-Philippe » et « L’analyse d’un conflit inédit » (on lit trop peu de livres d’histoire consacrés aux Jacqueries à L’Obs). L’hebdomadaire note que « la fronde des gilets jaunes reste très populaire », malgré les violences venues d’éléments extérieurs, car « les Français se révoltent par procuration ». Il y a un « péché originel » de Macron avec la suppression de l’ISF. L’Obs a bien compris que la fronde est celle des « travailleurs pauvres », et que les choix politiques de Macron sont liés à ses conseillers « brillants technocrates » mais sans liens avec le vrai peuple. L’hebdo en appelle à une « inflexion sociale » malgré l’obstacle de taille que représente « l’impératif de rigueur budgétaire voulu par la droite du gouvernement et exigé par Bruxelles ».
L’analyse en tant que telle se défend. Cependant, L’Obs oublie un élément important : l’hebdo a contribué, et même appelé, à faire élire tous les présidents qui ont mené des politiques conduisant à la situation actuelle, et de même a soutenu le projet bruxellois libéral culturel à l’origine de la rigueur en question. L’Obs au fond n’oublie qu’une chose : sa collaboration à la souffrance des classes populaires. Dans son édition du 13 au 19 décembre, L’Obs met les gilets jaunes au second plan de sa Une, insistant sur « La vérité sur les aliments bidons ». Pour les gilets jaunes, la question est celle du « récit d’un crash politique ». Au bord du « précipice », « il l’a fait » nous dit l’hebdo. Fait quoi ? Infléchir socialement sa politique. Il en suffisait de peu pour que L’Obs, supposé de gauche, se satisfasse des annonces du président. Un grand article reprend la chronologie des événements, avec un ton volontairement dramatique, usant de mots liés au « tragique », et se félicite de « la vaste consultation populaire à venir » ainsi que de l’attention nouvelle supposément portée par le président aux corps intermédiaires « négligés ». Pour L’Obs, tout rentre dans l’ordre et c’est bien.
Le Point
L’édition du 6 décembre titre sur « Les derniers jours du modèle Français », par-dessus la photographie du buste de Marianne brisé à l’Arc de Triomphe. L’hebdomadaire s’interroge aussi sur « Ce qui coûte vraiment un pognon de dingue » et « Pourquoi Macron doit tout changer ». Comme pour L’Obs, l’observateur pouvait imaginer plutôt une sorte de mea culpa du type : « Pourquoi diantre avons-nous fait élire Macron ? ». Mais non. D’ailleurs, dans les 55 pages de ce dossier, Le Point insiste sur les « agitateurs » qui attiseraient la colère, de Mélenchon à Todd en passant par Ruffin ou Marine Le Pen, puis sur le fait que l’idée de « révolte des élites », issue des travaux maintenant fort lus en France de Christopher Lasch, selon qui les « élites » font socialement « sécession », serait plus que discutable, tant la France ne serait pas « duelle » mais diverse. Globalement, Macron est plutôt soutenu, même si les revendications des gilets jaunes quant à l’impôt sont acceptables.
Le président serait plutôt victime de son entourage. Le Point, soucieux de ne pas trop égratigner le président, propose aussi un reportage sur les casseurs du Puy-en-Velay, fief de Wauquiez, possible adversaire à venir de Macron. De quoi douter de Wauquiez. Un autre article s’inquiète des menaces de mort proférées à l’encontre de députés et du chef de l’État. Le ton d’ensemble est à la défense du pouvoir en place, d’autant que les révoltes fiscales ne sauraient être imputées au pouvoir actuel tant elles s’apparentent à une passion française. Ce dernier point est une réalité historique peu discutable. Son utilisation ici éclaire cependant sur le positionnement du Point. L’édition du 13 décembre titre d’ailleurs « La France face à son histoire ». Outre le fait d’insister sur « les vrais patrons » (deux proches conseillers du président), Le Point s’inquiète de l’intervention d’un président qui sacrifierait l’Europe aux gilets jaunes et ramènerait malheureusement la France à son point de départ en ayant cédé. Il fallait oser. Pire, le fait d’avoir cédé marquerait la fin de « la comète Macron » et aurait comme défaut d’ouvrir les vannes du populisme en Europe. C’est que selon Le Point, nous serions au bord de la faillite, ce qui n’engage pourtant pas l’hebdomadaire à s’interroger sur une chose simple : la manière dont la richesse est répartie en France. Plus encore, de peur que de mauvaises idées se développent, Le Point donne la parole à Nicolas Baverez afin que ce dernier explique combien « La décroissance n’est pas la solution ». Au contraire, décroître creuserait les inégalités. Au fond, Le Point a cru en Macron, puis a cru qu’il résoudrait la crise, puis a été déçu de tout ce qu’il aurait cédé. Car, au Point, ce qui prime c’est que chacun poursuive la marche en cours dans le mur de Bruxelles.
L’Express
L’édition du 5 décembre titre sur « À quoi sert vraiment l’homéopathie ? », thème sans aucun doute fort louable dans la période que nous vivons à l’échelle mondiale. Les gilets jaunes sont en couverture mais en second plan, avec cette accroche : « Gilets jaunes, casseurs…Macron face au chaos politique » accompagnée de la photo d’une voiture retournée et brûlant, un homme cagoulée à proximité. Pour l’hebdomadaire « Le président fait face à quatre crises. La première, c’est l’explosion de la fracture territoriale ; la deuxième, la remise en question de la démocratie représentative ; la troisième, celle du macronisme. Et la dernière, c’est celle du vide : face à lui, pas d’opposition crédible ». Un angle de vue pour le moins… original, en ceci qu’il évacue allègrement la réalité : la souffrance populaire. À cette date, L’Express choisit d’insister sur le fait que des gilets jaunes disent qu’ils reviendront « avec des armes », ce qui sera le mantra du gouvernement ces mêmes jours, armes dont quelques exemplaires (marteaux, masques…) ont été exhibés ensuite par BFM, saisies dans une ou deux voitures. Pas de quoi renverser une République, et sans doute bien moins qu’un samedi soir normal à Paris.
Au sommaire de l’Express cette semaine :
- À quoi sert vraiment l’homéopathie ?
- Gilets jaunes, casseurs : Macron face au chaos politique
- @Orel_san : dossier de 10 pages sur le rappeur qui parle à la France pic.twitter.com/iUeJEBQdjM— L’Express (@LEXPRESS) December 4, 2018
Reste que pour L’Express, le vrai risque serait dans la remise en cause de la légitimité du président élu. Il est vrai que L’Express, à l’instar de l’immense majorité des médias, a fait beaucoup en vue de cette élection. L’édition du 12 décembre met Macron en couverture, le visage soucieux, avec ce titre : « La haine anti Macron : d’où vient-elle ? Jusqu’où ira-t-elle ? ». C’est vrai cela, pourquoi tant de haine ? Quelqu’un voit-il une raison au fait de cette haine du peuple envers les « élites » ? Bien sûr, il y aurait le rôle manipulateur de Marine Le Pen, mais pas seulement. C’est surtout son impopularité, non pas liée à des faits réels, dit-on ici, mais à une « perception » : Macron serait vu comme un « monarque » enfermé dans ses certitudes. Tout ne serait en réalité que question de positionnement, pas de politique ni de projet de société. Bien sûr, il y a les « petites phrases », mais ce n’est pas vraiment suffisant. Il faudrait simplement qu’il sorte de sa « citadelle », avec un zeste de pédagogie et de proximité. Le souci ne serait ainsi pas dans ce qui est joué mais dans la manière dont le rôle est joué. L’Express n’a toujours pas compris les raisins de la colère et les causes profondes du divorce, autrement dit ce fait que les « élites » ne cessent justement de jouer des rôles tandis que le peuple veut de la chair. L’hebdomadaire détaille les divers petits faits qui ont attisés la colère, depuis la vaisselle jusqu’à la piscine, mais ne pose pas non plus la question fondamentale : celle de la répartition des richesses. Une insistance aussi, toujours la même : le président échouerait à cause de son entourage. A suivre…