Pourquoi les grands médias français ne parlent-ils de la Pologne que du point de vue de la gauche et des libéraux ? Pourquoi ont-ils tant critiqué le gouvernement de coalition dirigé par le parti conservateur Droit et Justice (PiS) des frères Kaczyński en 2005–2007 avant de vanter aveuglement les gouvernements libéraux de Donald Tusk (2007–2014) et Ewa Kopacz (2014–2015), et repartir à la charge dès la constitution du gouvernement majoritaire du PiS en novembre 2015 ?
Si dans la période 2005–2007 l’influence des cercles liés au journal libéral-libertaire polonais Gazeta Wyborcza était très visible, c’est moins le cas aujourd’hui. Le parti-pris actuel des médias français s’explique en fait tout simplement par leur profil idéologique. Les grands médias français se ressemblent tous contrairement d’ailleurs aux médias polonais qu’ils considèrent pourtant comme étant privés de liberté d’expression et étouffés par le PiS. N’en déplaise à Reporters sans frontières, si la France bénéficiait du même pluralisme médiatique que la Pologne, la couverture de l’actualité polonaise serait certainement plus complète et plus diverse.
L’ombre de Soros
On ne s’étonnera bien sûr pas que dans un journal de gauche comme Le Monde le journaliste Piotr Smolar, fils d’Aleksander Smolar, un ancien communiste aujourd’hui président de la Fondation Stefan Batory financée par George Soros et proche du journal Gazeta Wyborcza (lui aussi financé par George Soros) ait été remplacé, après avoir couvert la Pologne pendant plusieurs années, par un produit des écoles françaises, Jakub Iwaniuk (IUT de journalisme à Cannes et Sciences Po Strasbourg, selon son profil Facebook) qui partage comme son prédécesseur les mêmes idées que son employeur et ne présentera donc jamais les arguments et le point de vue du camp conservateur, pourtant majoritaire au pays de Jean-Paul II. On rappellera au passage que Le Monde a un partenariat avec plusieurs journaux de gauche européens, dont Gazeta Wyborcza, dans le cadre du réseau Europa, ce qui explique peut-être pourquoi M. Iwaniuk rapporte à ses lecteurs comment le journal Gazeta Wyborcza est étouffé par le pouvoir conservateur en oubliant de préciser que le même traitement (absence d’abonnements et d’annonces publicitaires de la part du secteur public) était réservé aux journaux conservateurs sous les gouvernement libéraux précédents. Rien n’a changé chez l’autre quotidien de gauche Libération depuis la période 2005–2007, puisque c’est toujours la journaliste de gauche Maja Zolkowska (« Żółkowska » pour les Polonais) qui couvre la Pologne. Pour ces deux journaux et leur correspondant habituel, un conservateur est un ultra-conservateur, un catholique est un ultra-catholique et un patriote est un ultra-nationaliste. Ces trois qualificatifs qui accompagnent ou remplacent généralement le sigle « PiS » évitent ainsi aux lecteurs d’avoir à trop réfléchir sur le fond des choses et dispensent les correspondants en Pologne d’avoir à donner une description objective et complète des événements.
Le Figaro comme les autres
Plus surprenantes sont les sources du Figaro qui se veut être un journal de droite. En effet, quand il ne reproduit pas les informations de l’AFP réputée de gauche, Le Figaro a recours aux services d’une certaine Maya Szymanowska (« Maja » pour les Polonais) qui est aussi la correspondante de Radio France et de France 24, même si Radio France parle aussi de la Pologne par la voix et la plume de Piotr Moszynski qui est en même temps le correspondant en France de… Gazeta Wyborcza. Mme Szymanowska ne cache pas sur son profil Facebook ses opinions féministes, pro-avortement et plutôt de gauche, et elle affirmait dans une interview pour le site Café Babel avant même la victoire du PiS aux élections législatives de 2015 : « C’est vrai qu’il ne faut pas oublier la montée inquiétante du conservatisme. Jaroslaw Kaczynski vient de faire une sortie affreuse en disant que les réfugiés allaient emmener des maladies avec eux. Par ailleurs, il existe aussi une frange de la population qui a peur, qui n’a pas profité de la manne européenne et qui est très mobilisée. Ce sont des gens qui vont à l’église, qui sont très disciplinés et qui deviennent en quelque sorte le bras armé des conservateurs. » Cette hostilité vis-à-vis des conservateurs se traduit chez Maya Szymanowska par une très grande partialité et parfois par de vulgaires mensonges, ainsi lorsqu’elle expliquait par exemple le 17 décembre dernier pour France 24 les projets de la majorité conservatrice vis-à-vis de l’accès des médias au Parlement (des projets expliqués ici).
Le ton de La Croix
Qu’en est-il à La Croix, qui se déclare journal chrétien et donc, pourrait-on supposer, plus conservateur sur le plan sociétal et plus favorable au PiS chrétien-démocrate que les autres médias mainstream français ? Il faut reconnaître à sa correspondante Magdalena Viatteau que ses articles sont plutôt honnêtes et complets en ce sens qu’ils exposent généralement les points de vue des uns et des autres, mais avec tout de même une préférence claire pour ceux de l’opposition libérale-libertaire comme lorsqu’elle cite le chiffre de 200 000 avortements illégaux chaque année en Pologne (chiffre avancé en son temps par la Fédération pour les Femmes et le Planning familial, organisation pro-avortement polonaise, mais qui n’est basé sur aucune étude objective), ou quand elle interroge, pour expliquer la crise parlementaire déclenchée avant Noël, un politologue et commentateur dont l’hostilité virulente au PiS est connue de tous en Pologne. Accessoirement, Mme Viatteau est l’épouse de M. Viatteau qui est le chef du bureau de Varsovie de l’AFP et qui ne cache pas non plus son hostilité au PiS comme dans cet article rédigé en anglais à propos des théories du complot qui seraient selon Michel Viatteau relayées par les conservateurs polonais. Le profil de Magdalena Viatteau convient donc sans doute au rédacteur en chef de La Croix qui parlait le 15 octobre dernier sur le blog Paris Planète de La Croix du « régime » du PiS, une « formation ultra-conservatrice ». Un ton qui ressemble à s’y méprendre à ce qu’on peut lire dans les journaux officiellement de gauche comme Le Monde et Libération.
Pour conclure, si tous les médias mainstream français critiquent les conservateurs du PiS tout comme ils vantaient tous le gouvernement libéral de Donald Tusk, c’est parce que leurs correspondants partagent tous à peu près les mêmes opinions et la même détestation des conservateurs et des souverainistes (même si le souverainisme du PiS ne vise pas à défaire l’UE mais uniquement à bloquer les velléités fédéralistes de Bruxelles). La couverture de la Pologne et de la Hongrie par les grands médias français nous en dit plus sur la nature de ces médias eux-mêmes que sur ce qui se passe réellement dans ces deux pays. Cela vaut aussi bien entendu pour la presse régionale française qui ne se distingue pas particulièrement des médias nationaux, comme par exemple Ouest France et sa correspondante Cécile Réto ou La Voix du Nord qui, pour critiquer la loi sur la décommunisation des noms de rue votée par le PiS se réfère à « l’Association des Amis d’Edward Gierek », c’est-à-dire à l’association des partisans du dictateur communiste polonais des années 1970 !
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