Le 24 octobre 2019, la France est le premier pays de l’UE à appliquer une directive européenne sur le « droit voisin ». En clair la presse devait recevoir une rémunération pour les contenus qu’elle produit et qui sont diffusés sur Google, Facebook et autres. À ceci près que Google a envoyé paître éditeurs et politiques français. Plus de 900 journalistes et éditeurs ont signé une pétition de protestation. Se gardant bien de dire que d’un autre côté ils quémandent l’aide de Google qui les subventionne en toute opacité. Contre Google en effet, vraiment tout contre.
Le droit voisin
Dans un article de mars, nous commentions le vote du droit voisin au Parlement européen le 26 mars 2019 et nous reprenions l’expression de Jean-Frédéric Lambert en parlant de « tigre en papier ». Il soulignait trois faiblesses fondamentales :
- La négociation sur la valeur du droit se fera État par État. Le rapport de force sera clairement en faveur des GAFAs et c’était précisément pour échapper à cette négociation que les éditeurs de presse avaient porté le sujet jusqu’à Bruxelles.
- La taille des snippets n’est pas définie et les GAFAs pourraient se contenter du titre et de 3 ou 4 lignes d’article pour échapper à tout paiement tout en s’appropriant la partie du contenu qui les intéresse. (NB Un snippet est un terme de programmation désignant une petite portion de code source ou de texte)
- Les règles de diffusion des agrégateurs restent complètement à la main des GAFAs qui pourront faire la pluie et le beau temps des éditeurs.
Google Hyde and Mr Jekyll
Google a sèchement refusé d’appliquer le droit voisin en France, renvoyant éditeurs et le Ministre de la Culture Franck Riester (fâché et vexé) à leurs chères études, en concluant tranquillement que la directive (en l’absence d’accord entre les parties) lui donne le droit de citer les articles et n’a « pas l’intention de payer une licence pour la reprise d’un extrait d’un contenu ». Pour ceux qui insisteraient un peu, Google réduira la visibilité de leurs contenus à une feuille de vigne. Fermez le ban.
C’est le méchant Google Hyde, mais il a une autre face qu’affectionnent les médias de grand chemin, ce bon Docteur Jekyll. Dr Jekyll Google distribue des aumônes via Google Iniative et son fonds d’aide à la presse. Ce fonds a été créé en 2013, afin de « soutenir le journalisme de qualité » (sic), après une rencontre en février entre Eric Schmidt Président de Google et François Hollande.
Les largesses (modérées pour la société) de Google aux grands groupes
Ce fonds doté au départ de 60Md’€ puis augmenté à 90M€ (une paille par rapport aux impôts exigibles si Google relevait du droit commun de taxation des entreprises) couvrait la période 2013/2015 et a été prolongé en 2016. Certains chiffres sont disponibles, prenons l’année 2016, arrondis en K€:
- Groupe Arnault 900K€ (Les Echos, Le Parisien)
- Groupe Drahi 890K€ (Libération, L’Express, BFM)
- Groupe Le Monde 620K€ (Le Monde, Télérama, la Vie etc)
- (sans compter…….260K€ pour les Inrocks de Matthieu Pigasse)
- Groupe Pinault 396K€ (Le Point)
Parmi les projets retenus pour 2019 :
- Konbini
- La Croix
- Courrier international (groupe Le Monde)
- La Dépêche du Midi (groupe Baylet)
- Vogue, Vanity Fair (groupe Condé Nast)
- Têtu (pour 250K€, mazette)
Google a financé L’Humanité en 2016 puis en 2018 pour des projets qui ne semblent pas avoir aboutis.
Encore plus charmant, c’est Google qui a payé le Decodex du Monde, pour une somme restée inconnue et avec un cahier des charges tout aussi inconnu. C’est Facebook qui finance Check News de Libération, nous pourrions allonger la liste. Il semble difficile de pétitionner d’un côté et de tendre la sébile de l’autre, terrible quadrature du cercle des médias de grand chemin.
La pétition complète est ici « Google a offert aux médias un cynique choix de dupes »
Face au risque d’une perte d’audience importante, tout en continuant de s’opposer au dispositif déployé par Google, beaucoup de médias, dont Le Monde, ont donc déjà renoncé à percevoir le droit voisin, évitant les représailles de l’ogre californien.