S’il fallait encore une preuve de la mainmise croissante des oligarques sur le système médiatique européen et français tout particulièrement, le rachat de l’École Supérieur de Journalisme de Paris par un « groupe d’investisseurs propriétaires de médias » serait certainement celle-ci. Plus ancienne école de journalisme au monde, fondée en 1899, l’ESJ Paris est en effet désormais la propriété d’un consortium composé notamment de la Financière Agache (propriété de Bernard Arnault, détenant Le Parisien et Les Échos), du groupe Bayard presse (La Croix, Phosphore), de Koodenvoi (Habert Dassault finance, propriétaire du Figaro), de Pierre Gattaz, ancien président du Medef, de La Compagnie de l’Odet (propriété de Vincent Bolloré, actionnaire de Canal plus et Prisma média) et de CMA Média propriété de Rodolphe Saadé (La Provence, BFM, RMC…).
Une école prestigieuse mais non reconnue par la profession
Actuellement installée rue de Tolbiac, dans le XIIIe arrondissement, l’ESJ est née au sein de l’École des Hautes Etudes Sociales (EHES), fondée sur les cendres de l’affaire Dreyfus par un groupe d’universitaires parisiens libéraux et laïcs voulant créer une « université du quatrième pouvoir », bénéficiant notamment du soutien du grand sociologue Émile Durkheim. Au cours de sa longue histoire, elle a formé un grand nombre de journalistes reconnus, dont, parmi les plu récents, Samuel Étienne, Audrey Pulvar, Patrick de Carolis ou encore l’iconoclaste Frédéric Taddeï.
La certification professionnelle en ligne de mire
Les nouveaux propriétaires de l’établissement affirment vouloir faire franchir une nouvelle étape à l’école en en faisant « un haut lieu de l’excellence journalistique, un centre de formation de référence où se dessinent les contours du journalisme de demain ». Dans cette optique, l’école aurait dorénavant pour ambition d’obtenir un titre RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles), et d’intégrer le club très fermé des écoles de journalisme reconnues par la profession, aujourd’hui au nombre de 14.
Pour mener à bien cette mission, c’est Elhame Medjahed, actuelle directrice pédagogique qui a été nommée à la direction (avant un possible changement en janvier prochain) et la présidence, elle, a été confiée à Vianney d’Alançon, entrepreneur de 38 ans au profil « conservateur », notamment connu pour avoir un parc à thème sur la Provence, le Rocher Mistral, inauguré en 2021.
La gauche inquiète pour son monopole idéologique
L’annonce de ce rachat a suscité un très vif émoi dans le petit monde des écoles de journalisme et au sein de la gauche qui voit dans cette opération une intolérable « incursion libérale-conservatrice » sur le terrain de sa chasse gardée qu’est la formation des futures « élites journalistiques ».
« L’ESJ Paris va-t-elle devenir la Bolloré School of Journalism ? La reprise de cette école de journalisme par un consortium de propriétaires de médias nous inquiète. Nous alertons sur le risque de formatage conservateur, et favorable aux intérêts des puissants. » s’est ainsi immédiatement inquiété la branche Journalistes du syndicat CFDT sur X (ex-Twitter). Il ne faudrait en effet surtout pas que, avec une école sur plusieurs dizaines en France, le « formatage libéral-conservateur » vienne un tant soit peu écorner le « formatage libéral-libertaire » régnant confortablement depuis des lustres sur l’ensemble de ce paysage universitaire.
Les indicateurs de police angoissés
Même angoisse du côté des antifas indicateurs de police de StreetPress, par la voix de la journaliste Daphné Deschamps qui s’est scandalisée sur les réseaux sociaux en déclarant, apparemment sans rire :
« Personne ne se rend compte du degré de folie de cette annonce. L’indépendance des écoles, c’est un des rares remparts qui restent dans notre profession quasi complètement aux mains des milliardaires et de leur ingérence ».
Par ailleurs, selon Mediapart, les étudiant de plusieurs écoles « reconnues » (par la profession), dont le CUEJ, le CFJ et l’ESJ Lille, envisageraient de « réagir collectivement » pour dénoncer le rachat de l’ESJ Paris, au nom, bien entendu, de la défense de la « pluralité de l’information » et de « l’indépendance des journalistes ».
Une brochure OJIM sur le formatage des écoles de journalisme
Un projet qui ne manque pas de sel ni d’humour involontaire lorsque l’on connaît le degré de conformisme et d’homogénéité idéologique de ces écoles qui constituent un véritable réseau de « formatage » politique et moral, notamment étudié et décrypté par Xavier Eman dans un opus récemment publié par les éditions de la Nouvelle Librairie dans la collection Désintox de l’OJIM.
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