Le jeudi 25 févier entre 7h et 9h sur France Culture, le journaliste Guillaume Erner s’est efforcé, sous l’intitulé « État de droit : que se passe-t-il en Pologne ? », de convaincre ses auditeurs que, de démocratie libérale, la démocratie polonaise était en train de se transformer en régime autoritaire.
En guise d’introduction, Guillaume Erner a expliqué que si l’émission « Les Matins de France Culture » avait été organisée dans un studio de la radio privée Tok FM, c’est parce que la radio publique Polskie Radio lui avait refusé un studio. Serait-ce pour des motifs politiques après la reprise en main des médias publics par la nouvelle majorité ? Le journaliste français posera la question à plusieurs reprises au cours de son émission. L’OJIM s’est renseigné auprès de la direction de Polskie Radio et à appris qu’il y avait bien eu une demande de France Culture le vendredi 19 février, soit 6 jours avant l’émission, mais qu’il n’avait pu être proposé qu’un studio jugé trop petit par la radio publique française, les studios avec les paramètres demandés étant déjà occupés. Les raisons seraient donc purement techniques et non politiques mais on ne pouvait rêver d’une meilleure entrée en matière pour une émission menée de manière partisane.
C’était d’ailleurs très pratique de faire cette émission chez Tok FM car l’émission a pu se dérouler en comité restreint. L’un des trois invités de la deuxième partie, Jaroslaw Kurski, est le rédacteur en chef adjoint du journal Gazeta Wyborcza qui a son siège à la même adresse que Tok FM et qui a aussi le même propriétaire, le groupe Agora S.A. Ces deux médias critiquent violemment le PiS (parti conservateur au pouvoir) après avoir été un soutien précieux du gouvernement précédent. La deuxième invitée de Guillaume Erner était une certaine Monika Lisiewicz, vice-présidente de la Fondation Geremek et coordinatrice de projet pour les réfugiés. Donc forcément opposée au PiS qui n’accepte pas la politique européenne de quotas de réfugiés. D’autant plus que la Fondation Geremek est proche de Gazeta Wyborcza et que la présidente de cette fondation, Jolanta Kurska, écrit aussi dans ce journal de centre gauche. Le dernier invité devait se sentir à l’aise, lui aussi. Il s’agit de Paul Gradvohl, directeur du centre de civilisation française et d’études francophones de l’université de Varsovie. Il a déjà participé à des colloques organisés par Gazeta Wyborcza et il lui est arrivé de qualifier la politique de Viktor Orbán en Hongrie d’ultra-nationaliste. En un mot, tous les invités de Guillaume Erner se connaissaient déjà et avaient peu ou prou la même vision des choses.
Dans la première partie de son émission, Guillaume Erner avait tout de même invité Marek Magierowski, le porte-parole du président Andrzej Duda, qui a pu défendre la politique du gouvernement du PiS. Quand M. Magierowski en eut terminé, M. Erner a toutefois tenu à mettre ses auditeurs en garde contre les arguments des partisans du gouvernement polonais actuel : « Vous l’avez entendu avec le porte-parole du président Duda Marek Magierowski, tout cela est dit avec une grande modernité, on est rompu aux techniques de communication ». Avant cette mise en garde, il a encore permis au journaliste Brice Couturier d’expliquer toutes les dérives du gouvernement polonais actuel qui « fait main basse sur les médias publics », qui croit que « l’onction majoritaire lui donne tous les droits ». Puis de citer un certain Sławomir Sierakowski, forcément connaisseur de la situation puisque Polonais (mais sans préciser qu’il s’agit du rédacteur en chef de Krytyka Polityczna, une revue très à gauche), qui a « fait le rapprochement qui s’impose avec les deux régimes problématiques d’Europe centrale : celui de Viktor Orban en Hongrie et celui de Robert Fiko en Slovaquie ». Robert Fiko est un socialiste, mais il s’exprime contre les frontières ouvertes aux « migrants », ce qui explique sans doute qu’il soit classé dans ce groupe de trublions. Et M. Couturier de nous invoquer la ressemblance avec l’UKiP et le FN car « on peut redouter que ces démocraties autoritaires ne présagent notre propre avenir ».
Le porte-parole du président Duda, qui connaît pourtant très bien les médias français, a clairement été soufflé d’apprendre de Guillaume Erner que si le PiS avait décidé d’augmenter à nouveau l’âge de l’école obligatoire pour les enfants de 6 à 7 ans, c’était une manière sournoise d’obliger les femmes à rester à la maison. L’école obligatoire dès 6 ans était une réforme du gouvernement précédent qui avait suscité de nombreuses protestations et une pétition contre cette réforme avait recueilli plus d’un million de signatures. En réalité, la contre-réforme du PiS donne le choix aux parents (c’était une promesse électorale) et on peut difficilement imaginer propagande plus grossière que cette supposition formulée sur France Culture.
C’est la journaliste Amélie Perrot qui était chargé d’expliquer la vraie nature du PiS dès le début de l’émission : « Le PiS est un parti qu’on peut décrire comme populiste, ultra-conservateur, eurosceptique ». Guillaume Erner parlera même plusieurs fois de parti « europhobe ». Des qualificatifs contestés par Marek Magierowski, mais les invités de Guillaume Erner ont ensuite eu trois quarts d’heure pour démonter ses explications et ses arguments. En son absence, cela va de soi. Mis à part Marek Magierowski, toutes les personnes interrogées dans cette émission appartenaient à l’opposition la plus agressive : Tomasz Lis, journaliste très anti-PiS, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Newsweek en Pologne (qui avait son émission grassement payée par la télévision publique sous le gouvernement précédent), Kamil Dąbrowa, directeur de la première station de Polskie Radio (Jedynka) avant début janvier (il avait organisé une action de protestation à l’antenne contre la nouvelle loi sur les médias publics) et Mateusz Kijowski, leader des « comités de défense de la démocratie » (KOD) qui organisent les protestations de rue contre le gouvernement PiS.
Les seules voix pro-PiS en dehors de celle de Marek Magierowski appartenaient à des anonymes interrogés par Amélie Perrot dans la rue. Il est évidemment plus difficile d’obtenir une telle disproportion d’opinions contre le gouvernement que les Polonais se sont choisis en octobre quand on sort des locaux des médias d’opposition. Est-ce la raison pour laquelle les auteurs de l’émission de France Culture ont préféré limiter ces sortes de micro-trottoir à de courtes séquences ?