Dans les États de la sous-région aux présidents démocratiquement élus, la liberté de presse et d’expression souffre de biens des couacs. En Guinée Conakry, le régime putschiste au pouvoir sert des interpellations aux journalistes, bâillonne les voix jugées hostiles et procède même à la fermeture de médias. C‘est ce qui ressort de confidences de journalistes, qui ont, de plus en plus, peur de parler ou d’écrire.
La junte marche au pas sur la liberté de la presse
Le régime militaire guinéen n’a pas tardé à arracher les agréments à des groupes de presse, tels que HADAFO-MEDIA, DJOMA MEDIA et Fréquence Média. Une attaque inadmissible contre la liberté de la presse. En réaction, la FIDH, ses organisations membres et partenaires en Guinée en appellent à l’arrêt immédiat de l’acharnement contre les médias et au rétablissement sans délais des agréments retirés. Des tentatives de bâillonnement de la liberté d’expression en Guinée, dans un contexte politique tendu. Pour rappel, l’arrêté N° 686 du 21 Mai 2024 portant sur le retrait des agréments d’installation et d’exploitation des stations des radios et de télévisions privées des groupes HADAFO-MEDIA, DJOMA MEDIA et Fréquence Média a été rendu public le 22 mai 2024. Depuis, la situation est de moins en moins reluisante. Pis, la presse guinéenne peine à sortir de l’ornière. Martyrisés par un régime putschiste, la peur est devenue le sentiment quotidien des journalistes soucieux d’exercer leur profession, conformément à l’éthique et la déontologie qui la régissent.
C’est ainsi un euphémisme que de dire que ces derniers mois ont été particulièrement éprouvants pour les journalistes et les entreprises de presse en Guinée.
Plusieurs radios ou télévisions ont vu leurs fréquences retirées
Pour preuve, plusieurs radios et télévisions ont vu leurs ondes brouillées, leurs fréquences retirées. Des bouquets satellitaires et l’accès à certains médias en ligne ont été bloqués. Ces restrictions, qui ne reposent souvent sur aucune base légale, ont entrainé le chômage de plusieurs centaines d’hommes de media et anéanti plusieurs entreprises de presse. Ces mesures extrêmes prises contre certains médias semblent avoir comme justifications des fautes ou dérapages commis par certains journalistes dans l’exercice de leur métier.
Des « écarts » élevés en faute lourde, même si des journalistes guinéens sont conscients qu’il y a eu quelques fois des dérapages sur les ondes ou dans les colonnes. « Oui, il y a eu quelques fois des fautes professionnelles, des violations de la loi sur la Liberté de la presse et du code d’éthique et de déontologie de la presse. Oui, il y a eu même, mais de plus en plus rarement, des diffamations, des outrages vis-à-vis des gouvernants », confessent des plumes et voix de la presse guinéenne.
N’empêche, « quand on dit qu’un pays a une presse libre, on considère que ses médias et autres formes de publications, ainsi que ses citoyens, ont le droit de communiquer des informations sans être influencés ou contrôlés » par l’État ou d’autres formes de pouvoir et sans craindre des représailles de la part de ces derniers », soutient un journaliste dans l’anonymat.
En tout cas, fondamentalement, « presse libre » ou « journalisme indépendant », ces deux termes sont plus ou moins interchangeables.
Et, pour sûr, sans la liberté de la presse, la démocratie ne peut pas vraiment fonctionner. Car la force d’une démocratie réside dans les mains de son peuple. Et, de ce point de vue, les citoyens doivent être bien informés en vue de prendre les bonnes décisions, notamment lors des élections, et d’avoir une idée précise de ce qu’implique ces décisions. Des « vérités générales », sur lesquelles marche au pas le régime militaire au pouvoir en Guinée Conakry, au grand drame, encore, de la liberté de presse et d’expression dans ce pays, pourtant « don de la nature ».
Paysage médiatique guinéen
Depuis les années 1990, la presse écrite est florissante : sur 65 hebdomadaires existants, dix paraissent régulièrement, qu’il s’agisse de journaux satiriques comme Le Lynx, ou de journaux d’information générale comme L’Indépendant. Le secteur audiovisuel est composé d’au moins 60 radios et d’une dizaine de chaînes de télévision. En ligne, une centaine de sites d’information ont vu le jour en 25 ans. Le paysage médiatique est pluraliste. La loi sur la liberté de presse de 2010 empêche aussi une concentration excessive des médias. Pourtant, la production d’informations critiques est de plus en plus difficile sous les autorités de la transition. Quatre stations de radios privées font l’objet d’un brouillage constant depuis novembre 2023, trois chaînes de télévision privées sont quasiment inaccessibles, et au moins trois sites d’information ont été bloqués pendant plusieurs semaines sans explication en 2023. « Le paysage médiatique est en pleine crise. Les trois grands médiatiques du pays sont fermés par les autorités laissant des centaines de journalistes et techniciens dans le chômage, les journaux ne paraissent presque plus faute de moyens, les seuls médias qui émettent sont ceux de l’État et quelques privés à faible audience les radios communautaires ne sont plus reçues dans le bande FM », se plaint Mamadou Diallo, journaliste indépendant guinéen que nous avons joint au téléphone. Aujourd’hui, dit-il, « les guinéens sont privés de l’information ».
Non-respect des engagements de la junte militaire
Pour le journaliste guinéen, Mamadou Diallo, « il faut dire que la junte militaire au pouvoir a fait toutes les voix discordantes ». Car, fait-il dénoncer, « tous les principaux leaders politiques sont contraints à l’exil ». Du côté de la société civile, il nous informe que « deux responsables du FNDC sont portés disparus, depuis leur contestation par des hommes cagoulés ». Il laisse croire « qu’on prête au colonel Doumbya le chef de la junte l’intention de se présenter aux futurs élections contrairement à ses engagements ». Parce que, dit-il, « des mouvements de soutien à sa candidature commencent même à naître dans le pays ». Dans ce contexte, il déclare que « les journalistes ne sont pas en sécurité ».
Alors que le gouvernement de transition s’était engagé auprès de RSF à respecter la liberté de la presse, juste après son arrivée au pouvoir en octobre 2021, les atteintes commises par les autorités se sont multipliées ces derniers mois, notamment via la censure de plusieurs médias à grande audience. Les médias concernés ont tous en commun de suivre une ligne éditoriale libre et critique. L’organe de régulation des médias, la Haute Autorité de la communication (HAC), a retiré en décembre 2023 trois chaînes de télévision de bouquets télévisuels pour des raisons de “sécurité nationale”. C’est également un “problème sécuritaire” que le ministre des Affaires étrangères avait invoqué pour expliquer le blocage de l’accès aux réseaux sociaux dans le pays durant trois mois.
Cadre légal
La fin des peines privatives de liberté pour les délits de presse consacrée dans la loi sur la liberté de la presse promulguée en 2010 constitue une avancée majeure pour protéger les journalistes. Toutefois, des journalistes continuent de faire l’objet de convocations ou d’arrestations, comme ce fut le cas pour une dizaine de journalistes en octobre 2023, puis en janvier 2024. La loi organique portant sur le droit d’accès à l’information publique et instaurant le principe de transparence n’est toujours pas en vigueur malgré son adoption en novembre 2020. En septembre 2022, la Haute Autorité de la communication (HAC) a suspendu cinq journalistes sans respecter les procédures légales.
Contexte économique
En Guinée, les médias de service public sont favorisés aux dépens des médias privés, l’État leur donnant la priorité dans l’accès aux événements officiels et pour effectuer les communications gouvernementales. Les subventions accordées aux médias privés sont jugées insuffisantes. Les médias privés fonctionnent surtout grâce aux annonceurs. Mais lorsqu’ils sont restreints ou censurés, ces annonceurs se montrent frileux et résilient les contrats. Les médias concernés sont obligés de réduire leurs programmes ou de cesser complètement de fonctionner, mettant les journalistes en chômage technique, faute de moyens.
Contexte socioculturel
Quelques sujets comme l’homosexualité la polygamie ou les violences conjugales sont traités avec une certaine prudence, voire de la retenue pour ne pas heurter la morale publique. Il arrive également que des journalistes abordant la question de la lutte contre les mutilations génitales féminines ou du mariage forcé soient ciblés par des groupes d’intérêt religieux.
Sécurité des journalistes guinéens
Les journalistes sont régulièrement victimes d’agressions et de violences, particulièrement lors de manifestations politiques. Ils sont également fréquemment victimes de menaces de mort et de harcèlement sur les réseaux sociaux. Les auteurs de ces actes de violence, souvent des agents des forces de l’ordre mais aussi des militants de partis politiques, restent dans l’immense majorité impunie. Les arrestations de professionnels des médias sont aussi régulières. Le secrétaire général du principal syndicat de la presse, Sékou Jamal Pendessa, a passé plus d’un mois en détention pour avoir voulu organiser une manifestation pour la liberté de la presse. Le journaliste français Thomas Dietrich a été expulsé début 2024 alors qu’il enquêtait sur des faits de corruption au sein de la Société nationale des pétroles (SONAP). La presse dans nos têtes et dans les faits, est associée à la démocratie. Ce lien ne va pas de soi ; il y a dans le monde, de nombreux pays où la presse prospère dans des environnements non démocratiques. Les dirigeants africains doivent respecter la presse qui joue un rôle fondamental dans un pays.
Mapote Gaye