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Les médias en Guinée Conakry

15 septembre 2024

Temps de lecture : 8 minutes
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Les médias en Guinée Conakry

Temps de lecture : 8 minutes

Dans les États de la sous-région aux présidents démocratiquement élus, la liberté de presse et d’expression souffre de biens des couacs. En Guinée Conakry, le régime putschiste au pouvoir sert des interpellations aux journalistes, bâillonne les voix jugées hostiles et procède même à la fermeture de médias. C‘est ce qui ressort de confidences de journalistes, qui ont, de plus en plus, peur de parler ou d’écrire.

La junte marche au pas sur la liberté de la presse

Le régime mil­i­taire guinéen n’a pas tardé à arracher les agré­ments à des groupes de presse, tels que HADAFO-MEDIA, DJOMA MEDIA et Fréquence Média. Une attaque inad­mis­si­ble con­tre la lib­erté de la presse. En réac­tion, la FIDH, ses organ­i­sa­tions mem­bres et parte­naires en Guinée en appel­lent à l’arrêt immé­di­at de l’acharnement con­tre les médias et au rétab­lisse­ment sans délais des agré­ments retirés. Des ten­ta­tives de bâil­lon­nement de la lib­erté d’expression en Guinée, dans un con­texte poli­tique ten­du. Pour rap­pel, l’arrêté N° 686 du 21 Mai 2024 por­tant sur le retrait des agré­ments d’installation et d’exploitation des sta­tions des radios et de télévi­sions privées des groupes HADAFO-MEDIA, DJOMA MEDIA et Fréquence Média a été ren­du pub­lic le 22 mai 2024. Depuis, la sit­u­a­tion est de moins en moins reluisante. Pis, la presse guinéenne peine à sor­tir de l’ornière. Mar­tyrisés par un régime putschiste, la peur est dev­enue le sen­ti­ment quo­ti­di­en des jour­nal­istes soucieux d’exercer leur pro­fes­sion, con­for­mé­ment à l’éthique et la déon­tolo­gie qui la régissent.

C’est ain­si un euphémisme que de dire que ces derniers mois ont été par­ti­c­ulière­ment éprou­vants pour les jour­nal­istes et les entre­pris­es de presse en Guinée.

Plusieurs radios ou télévisions ont vu leurs fréquences retirées

Pour preuve, plusieurs radios et télévi­sions ont vu leurs ondes brouil­lées, leurs fréquences retirées. Des bou­quets satel­li­taires et l’accès à cer­tains médias en ligne ont été blo­qués. Ces restric­tions, qui ne reposent sou­vent sur aucune base légale, ont entrainé le chô­mage de plusieurs cen­taines d’hommes de media et anéan­ti plusieurs entre­pris­es de presse. Ces mesures extrêmes pris­es con­tre cer­tains médias sem­blent avoir comme jus­ti­fi­ca­tions des fautes ou déra­pages com­mis par cer­tains jour­nal­istes dans l’exercice de leur métier.

Des « écarts » élevés en faute lourde, même si des jour­nal­istes guinéens sont con­scients qu’il y a eu quelques fois des déra­pages sur les ondes ou dans les colonnes. « Oui, il y a eu quelques fois des fautes pro­fes­sion­nelles, des vio­la­tions de la loi sur la Lib­erté de la presse et du code d’éthique et de déon­tolo­gie de la presse. Oui, il y a eu même, mais de plus en plus rarement, des diffama­tions, des out­rages vis-à-vis des gou­ver­nants », con­fessent des plumes et voix de la presse guinéenne.

N’empêche, « quand on dit qu’un pays a une presse libre, on con­sid­ère que ses médias et autres formes de pub­li­ca­tions, ain­si que ses citoyens, ont le droit de com­mu­ni­quer des infor­ma­tions sans être influ­encés ou con­trôlés » par l’État ou d’autres formes de pou­voir et sans crain­dre des repré­sailles de la part de ces derniers », sou­tient un jour­nal­iste dans l’anonymat.

En tout cas, fon­da­men­tale­ment, « presse libre » ou « jour­nal­isme indépen­dant », ces deux ter­mes sont plus ou moins interchangeables.

Et, pour sûr, sans la lib­erté de la presse, la démoc­ra­tie ne peut pas vrai­ment fonc­tion­ner. Car la force d’une démoc­ra­tie réside dans les mains de son peu­ple. Et, de ce point de vue, les citoyens doivent être bien infor­més en vue de pren­dre les bonnes déci­sions, notam­ment lors des élec­tions, et d’avoir une idée pré­cise de ce qu’implique ces déci­sions. Des « vérités générales », sur lesquelles marche au pas le régime mil­i­taire au pou­voir en Guinée Conakry, au grand drame, encore, de la lib­erté de presse et d’expression dans ce pays, pour­tant « don de la nature ».

Paysage médiatique guinéen

Depuis les années 1990, la presse écrite est floris­sante : sur 65 heb­do­madaires exis­tants, dix parais­sent régulière­ment, qu’il s’agisse de jour­naux satiriques comme Le Lynx, ou de jour­naux d’information générale comme L’Indépendant. Le secteur audio­vi­suel est com­posé d’au moins 60 radios et d’une dizaine de chaînes de télévi­sion. En ligne, une cen­taine de sites d’information ont vu le jour en 25 ans. Le paysage médi­a­tique est plu­ral­iste. La loi sur la lib­erté de presse de 2010 empêche aus­si une con­cen­tra­tion exces­sive des médias. Pour­tant, la pro­duc­tion d’informations cri­tiques est de plus en plus dif­fi­cile sous les autorités de la tran­si­tion. Qua­tre sta­tions de radios privées font l’objet d’un brouil­lage con­stant depuis novem­bre 2023, trois chaînes de télévi­sion privées sont qua­si­ment inac­ces­si­bles, et au moins trois sites d’information ont été blo­qués pen­dant plusieurs semaines sans expli­ca­tion en 2023. « Le paysage médi­a­tique est en pleine crise. Les trois grands médi­a­tiques du pays sont fer­més par les autorités lais­sant des cen­taines de jour­nal­istes et tech­ni­ciens dans le chô­mage, les jour­naux ne parais­sent presque plus faute de moyens, les seuls médias qui émet­tent sont ceux de l’État et quelques privés à faible audi­ence les radios com­mu­nau­taires ne sont plus reçues dans le bande FM », se plaint Mamadou Dial­lo, jour­nal­iste indépen­dant guinéen que nous avons joint au télé­phone. Aujourd’hui, dit-il, « les guinéens sont privés de l’information ».

Non-respect des engagements de la junte militaire

Pour le jour­nal­iste guinéen, Mamadou Dial­lo, « il faut dire que la junte mil­i­taire au pou­voir a fait toutes les voix dis­cor­dantes ». Car, fait-il dénon­cer, « tous les prin­ci­paux lead­ers poli­tiques sont con­traints à l’exil ». Du côté de la société civile, il nous informe que « deux respon­s­ables du FNDC sont portés dis­parus, depuis leur con­tes­ta­tion par des hommes cagoulés ». Il laisse croire « qu’on prête au colonel Doum­bya le chef de la junte l’intention de se présen­ter aux futurs élec­tions con­traire­ment à ses engage­ments ». Parce que, dit-il, « des mou­ve­ments de sou­tien à sa can­di­da­ture com­men­cent même à naître dans le pays ». Dans ce con­texte, il déclare que « les jour­nal­istes ne sont pas en sécurité ».

Alors que le gou­verne­ment de tran­si­tion s’était engagé auprès de RSF à respecter la lib­erté de la presse, juste après son arrivée au pou­voir en octo­bre 2021, les atteintes com­mis­es par les autorités se sont mul­ti­pliées ces derniers mois, notam­ment via la cen­sure de plusieurs médias à grande audi­ence. Les médias con­cernés ont tous en com­mun de suiv­re une ligne édi­to­ri­ale libre et cri­tique. L’organe de régu­la­tion des médias, la Haute Autorité de la com­mu­ni­ca­tion (HAC), a retiré en décem­bre 2023 trois chaînes de télévi­sion de bou­quets télévi­suels pour des raisons de “sécu­rité nationale”. C’est égale­ment un “prob­lème sécu­ri­taire” que le min­istre des Affaires étrangères avait invo­qué pour expli­quer le blocage de l’accès aux réseaux soci­aux dans le pays durant trois mois.

Cadre légal

La fin des peines pri­v­a­tives de lib­erté pour les dél­its de presse con­sacrée dans la loi sur la lib­erté de la presse pro­mul­guée en 2010 con­stitue une avancée majeure pour pro­téger les jour­nal­istes. Toute­fois, des jour­nal­istes con­tin­u­ent de faire l’ob­jet de con­vo­ca­tions ou d’arrestations, comme ce fut le cas pour une dizaine de jour­nal­istes en octo­bre 2023, puis en jan­vi­er 2024. La loi organique por­tant sur le droit d’accès à l’information publique et instau­rant le principe de trans­parence n’est tou­jours pas en vigueur mal­gré son adop­tion en novem­bre 2020. En sep­tem­bre 2022, la Haute Autorité de la com­mu­ni­ca­tion (HAC) a sus­pendu cinq jour­nal­istes sans respecter les procé­dures légales.

Contexte économique

En Guinée, les médias de ser­vice pub­lic sont favorisés aux dépens des médias privés, l’État leur don­nant la pri­or­ité dans l’accès aux événe­ments offi­ciels et pour effectuer les com­mu­ni­ca­tions gou­verne­men­tales. Les sub­ven­tions accordées aux médias privés sont jugées insuff­isantes. Les médias privés fonc­tion­nent surtout grâce aux annon­ceurs. Mais lorsqu’ils sont restreints ou cen­surés, ces annon­ceurs se mon­trent frileux et résilient les con­trats. Les médias con­cernés sont oblig­és de réduire leurs pro­grammes ou de cess­er com­plète­ment de fonc­tion­ner, met­tant les jour­nal­istes en chô­mage tech­nique, faute de moyens.

Contexte socioculturel

Quelques sujets comme l’homosexualité la polyg­a­mie ou les vio­lences con­ju­gales sont traités avec une cer­taine pru­dence, voire de la retenue pour ne pas heurter la morale publique. Il arrive égale­ment que des jour­nal­istes abor­dant la ques­tion de la lutte con­tre les muti­la­tions géni­tales féminines ou du mariage for­cé soient ciblés par des groupes d’intérêt religieux.

Sécurité des journalistes guinéens

Les jour­nal­istes sont régulière­ment vic­times d’agressions et de vio­lences, par­ti­c­ulière­ment lors de man­i­fes­ta­tions poli­tiques. Ils sont égale­ment fréquem­ment vic­times de men­aces de mort et de har­cèle­ment sur les réseaux soci­aux. Les auteurs de ces actes de vio­lence, sou­vent des agents des forces de l’ordre mais aus­si des mil­i­tants de par­tis poli­tiques, restent dans l’immense majorité impunie. Les arresta­tions de pro­fes­sion­nels des médias sont aus­si régulières. Le secré­taire général du prin­ci­pal syn­di­cat de la presse, Sék­ou Jamal Pen­dessa, a passé plus d’un mois en déten­tion pour avoir voulu organ­is­er une man­i­fes­ta­tion pour la lib­erté de la presse. Le jour­nal­iste français Thomas Diet­rich a été expul­sé début 2024 alors qu’il enquê­tait sur des faits de cor­rup­tion au sein de la Société nationale des pétroles (SONAP). La presse dans nos têtes et dans les faits, est asso­ciée à la démoc­ra­tie. Ce lien ne va pas de soi ; il y a dans le monde, de nom­breux pays où la presse prospère dans des envi­ron­nements non démoc­ra­tiques. Les dirigeants africains doivent respecter la presse qui joue un rôle fon­da­men­tal dans un pays.

Mapote Gaye