C’est un bien curieux rapport que les médias de grand chemin, généralement de gauche libérale libertaire comme Le Monde, entretiennent avec la réalité et les mots qui la nomment. L’emploi récent d’ensauvagement constitue un bon exemple de cette relation quasi névrotique.
Ensauvagement et « droite radicale »
Ainsi, Lucie Soullier, chargée dans le quotidien du soir de travailler sur les droites, titrait-elle le 2 septembre 2020 « La droite radicale se réjouit de la banalisation du mot « ensauvagement » ». De ce simple terme employé par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, la journaliste infère donc une « banalisation », qui n’est évidemment pas sans vouloir renvoyer à la « banalité du mal » chère à Hannah Arendt. À son habitude, la presse libérale libertaire, plutôt que de se pencher sur les faits, la réalité, la vie des Français qui est pourrie par une banalisation de la violence, préfère s’étendre sur ce qui fait « le jeu de l’extrême droite ». Antique aveuglement qui trouve à se régénérer dès que quelqu’un ose dire que le roi est nu.
Ne pas nommer ou mal nommer
Ne pas nommer les choses qui dérangent, ou alors les mal nommer, semble être devenu le cœur de métier de ce journalisme, qui doit finalement plus à la propagande et au formatage des esprits qu’à la vérité. Le regretté Philippe Murray aurait dit « le réel attendra demain ».
Pour répondre à la suspicion de « droitisation » du gouvernement de Jean Castex est alors convoquée la grande conscience de gauche du même gouvernement, le ministre de la Justice Dupont-Moretti, qui s’est précipité pour affirmer dans une reviviscence tellement années 80, ou tellement années Jospin que « l’ensauvagement, c’est un mot qui (…) développe le sentiment d’insécurité ». Voilà le Français à la fois sauvé – il ne va rien lui arriver – et bien puni en même temps : personne ne se précipitera pour le protéger, puisqu’il ne se passe rien.
Sauvages et banlieues coloniales
À l’appui de notre Garde des sceaux, Lucie Soullier sollicite alors une linguiste, Michelle Lecolle, comme on utiliserait un anthropologue pour essayer de comprendre les mœurs bizarres et déconcertantes d’une peuplade récemment découverte. Donc la dame, « enseignante-chercheuse à l’université de Lorraine », de nous délivrer sa docte analyse : « Quand Darmanin reprend le terme, il n’a pas besoin de préciser “ensauvagement de qui, de quoi ?” On pense automatiquement “banlieues, immigration, etc”. Ce ne sont pas les mots qui disent ça, mais ceux qui se les sont appropriés qui les ont chargés de ce sens. »
Une autre chercheuse nous explique ensuite que dans sauvage on entend colonisation. La boucle est bouclée, monsieur Darmanin est raciste, et voilà pourquoi votre fille est muette.
Usage univoque de la parole
Ce délicieux article du Monde déroule ensuite la liste de toute la « droite radicale » susceptible d’avoir travaillé à la pollution du débat public par l’emploi de mots qu’elle a chargés de sens comme Daech bourre ses voitures d’explosifs : d’Obertone à Marion Maréchal en passant par Damien Rieu et Valeurs actuelles, sans oublier l’inoubliable Éric Zemmour, responsable des maux de l’univers, tous sont coupables de libérer la parole dans l’espace public. Usurpation impardonnable laisse entendre l’article puisqu’en réalité seule la doxa libérale libertaire, bonne et intelligente, a le droit de répandre des termes et de leur donner un sens.
Et Lucie Soullier conclut ainsi son cours d’éducation morale et civique : « User de certaines expressions orienterait donc déjà le débat sécuritaire dans l’opinion publique ». Circulez, il n’y pas d’insécurité. Ça fait trente ans qu’on vous le dit, ça n’est qu’un (mauvais) sentiment. Ou une passion triste pour paraphraser notre président.
Voir ici notre entretien sur les médias avec Laurent Obertone.
Voir ici notre portrait de Lucie Soulllier