Après l’ambassadeur de Pologne en France en mars dernier, un général polonais à la retraite a à son tour fait réagir les médias russes qui n’hésitent pas à déformer quelque peu la réalité pour crier au loup. Le général Waldemar Skrzypczak, aujourd’hui âgé de 67 ans et général de réserve, est un ancien chef de l’armée de terre polonaise (en 2006–2009) et ancien secrétaire d’État au ministère de la Défense (en 2012–13). Depuis 2010, juste après son départ de l’armée d’active, il tient un blog et commente fréquemment les questions militaires dans les médias polonais.
Un général polonais un peu imprudent
C’est ainsi que le 23 mai, sur la chaîne polonaise d’information en continu Polsat News, le général Skrzypczak avançait l’idée qu’une insurrection armée en Biélorussie était à prévoir et que la Pologne devait s’y préparer. Skrzypczak est en effet persuadé que si la contre-offensive annoncée de l’Ukraine remporte des succès, les Biélorusses qui combattent aujourd’hui les Russes aux côtés des Ukrainiens n’en resteront pas là et voudront bientôt renverser le régime de Loukachenko. Il a aussi expliqué que, à son avis, la Pologne devrait alors les soutenir comme elle soutient les Ukrainiens aujourd’hui. En effet, selon Skrzypczak, Loukachenko ayant agressé la Pologne avec son opération migrants, la Pologne a « de bonnes raisons d’aider [les futurs insurgés biélorusses] comme nous aidons les Ukrainiens et il est déjà temps de s’y préparer pour ne pas laisser passer ce moment ».
Dans une des phrases prononcées face au journaliste de Polsat News qui lui demandait de préciser sa pensée, le général à la retraite a affirmé estimer que ce pourrait également être un soutien en munitions et en armes aux insurgés biélorusses, même si ceux-ci, selon lui, sont déjà de toute façon bien entraînés et armés et que le peuple biélorusse les soutiendra et se dressera « avec enthousiasme » contre Loukachenko. Il a également affirmé que la Russie n’aiderait pas son allié parce qu’elle sera trop occupée à réagir aux actions de soldats russes anti-Poutine comme ceux qui ont attaqué récemment la ville de Belgorod en Fédération de Russie.
Pour le général de réserve polonais, il faut aussi se préparer à un exode de réfugiés biélorusses en direction de la Pologne si ses prévisions se confirment.
Les Russes surinterprètent
Traduction de l’agence de presse russe Ria Novosti le lendemain, en gros titre : « La Pologne confirme les informations sur les préparatifs occidentaux en vue d’un coup d’État en Biélorussie. » Et en sous-titre : « Le général polonais Skrzypczak affirme que Varsovie prépare un coup d’État militaire en Biélorussie ». L’article de l’agence de presse poursuit sur cette idée : « La Pologne se prépare à un coup d’État armé en Biélorussie et participe à son soutien militaire, a déclaré l’ancien vice-ministre de la défense nationale de la Pologne, le général Waldemar Skrzypczak, sur la chaîne de télévision Polsat. Il a ainsi confirmé les propos du président biélorusse Alexandre Loukachenko concernant les projets de l’Occident. » Outre la déformation évidente du sens des propos du Polonais, l’article ne précise pas qu’il s’agit d’un général à la retraite s’exprimant uniquement en son nom propre.
Pas plus que ne le précise le quotidien russe Kommersant dans son article du 24 mai intitulé « L’ancien vice-ministre polonais de la défense : Varsovie se prépare à soutenir un soulèvement contre Loukachenko ».
« “Nous nous préparons à un soulèvement en Biélorussie, car il se produira. Nous devons être prêts à soutenir les troupes qui mèneront l’opération contre Loukachenko”, a déclaré l’ancien vice-ministre polonais de la défense nationale sur Polsat TV. Selon le général polonais, tôt ou tard, les Biélorusses qui se battent pour l’Ukraine retourneront dans leur pays. “J’espère que cela provoquera un soulèvement en Biélorussie, c’est ce que craint Loukachenko”, a déclaré Skrzypczak. Selon lui, la Pologne est prête à aider ces troupes, car elles se battent actuellement pour l’Ukraine. “Il faut être prêts à soutenir les troupes qui mèneront une opération contre Loukachenko. Nous avons des raisons de les aider, tout comme nous aidons les Ukrainiens”, a‑t-il déclaré. »
Un prêté pour un rendu
Kommersant ne précise pas non plus que si le Polonais estime que son pays a de bonnes raisons d’aider d’éventuels insurgés anti-Loukachenko, c’est parce que le régime de ce dernier a, à ses yeux, agressé la Pologne le premier en lançant à l’assaut de sa frontière des vagues de migrants amenés du Moyen-Orient, ce qui a souvent été qualifié dans les médias polonais d’acte de guerre hybride.
« La Pologne affirme que l’Occident envisage d’organiser un coup d’État en Biélorussie », titrait Izvestia également le 24 mai, avec en chapô : « Skrzypczak, ancien vice-ministre polonais de la défense : l’Occident veut organiser un coup d’État en Biélorussie ».
« L’ancien vice-ministre polonais de la défense nationale, le général Waldemar Skrzypczak, a déclaré que l’Occident préparait un coup d’État en Biélorussie. Il a fait cette déclaration sur la chaîne de télévision polonaise Polsat le 23 mai. “Vous devez être prêts à soutenir les troupes qui mèneront l’opération contre [le président biélorusse Alexandre] Loukachenko”, a déclaré le général. Plus tôt dans la journée, l’analyste politique Kiryl Averyanov a déclaré que Moscou et Minsk allaient renforcer leur coopération militaire, alors que Varsovie s’est déclarée prête à un coup d’État armé en Biélorussie. Il a attiré l’attention sur le fait que, dans une telle situation, la principale garantie de paix et de calme dans la république [biélorusse] est l’Union de la Russie et de la Biélorussie. Début mai, Loukachenko a souligné que la situation autour de la Biélorussie restait compliquée. Il a souligné que le potentiel militaire de l’OTAN se développait près des frontières du pays et que des provocations avaient lieu à la frontière. En février, le président biélorusse avait déclaré que l’Occident continuerait à financer l’opposition biélorusse à l’étranger afin d’organiser un coup d’État. »
Ici non plus, on ne trouve mot du fait que les propos de l’officier polonais avaient été prononcés – dans leur version non déformée, où le général de réserve polonais appelait de ses vœux des préparatifs polonais pour soutenir une insurrection interne à la Biélorussie mais n’affirmait pas que de tels préparatifs étaient en cours – par un général à la retraite qui n’exerce plus aucune fonction officielle depuis maintenant plus de treize ans.
Ces paroles étaient d’ailleurs passées plutôt inaperçues dans les médias polonais, habitués aux affirmations parfois osées du général Skrzypczak, avant que les dirigeants russes et biélorusses n’y réagissent en s’appuyant sur leur version donnée par les trois grands médias russes cités plus haut, reprise en boucle par de nombreux autres médias des deux pays.
Plus d’émotion en Russie qu’en Pologne
Sous le titre « Le Kremlin indigné par les propos du général Skrzypczak. Les médias de l’Est parlent de préparatifs de Varsovie en vue d’un coup d’État », le quotidien polonais Gazeta Wyborcza écrivait dans le chapô de son article publié le 25 mai que « Les propos du militaire ont rencontré un large écho dans les médias de propagande de l’Est qui affirment que la Pologne planifie un coup d’État armé en Biélorussie. » Le journal reproduisait ensuite pour ses lecteurs, sans les déformer, les propos du général Skrzypczak sur Polsat News, y compris sur l’opportunité d’un soutien militaire polonais à une future insurrection armée en Biélorussie, puis expliquait que les mots du général « ont immédiatement fait réagir les médias de propagande et les représentants du Kremlin qui ont entrepris de convaincre l’opinion publique de l’existence de plans de Varsovie pour organiser un coup d’État. »
Loukachenko surenchérit
Et comme les médias polonais suivent de près ce qui se dit dans les médias russes, le lecteur trouve des précisions supplémentaires : « La déclaration de l’officier polonais a également fait réagir le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov, qui a ouvertement déclaré que “la Pologne est un pays hostile à la Russie”. “Le gouvernement polonais est littéralement en train de tomber dans une hystérie russophobe et nous voyons que ce pays hostile parle ouvertement de son intention d’interférer directement, y compris par la force, dans les affaires intérieures d’un État voisin”, a‑t-il déclaré lors d’un entretien avec Pavel Zaroubine, journaliste de la télévision d’État Rossiya 1. » Peskov a par ailleurs signalé que la Russie interviendrait en Biélorussie en cas de besoin, informe également Gazeta Wyborcza.
Toujours dans un article du 25 mai, le quotidien polonais Rzeczpospolita donne à ses lecteurs la réaction du dirigeant biélorusse, Alexandre Loukachenko : « Les autorités biélorusses sont prêtes à faire face à une éventuelle tentative de putsch, a déclaré Alexandre Loukachenko, commentant une déclaration de l’ancien commandant de l’armée de terre polonaise, le général Waldemar Skrzypczak. » Selon Rzeczpospolita, le président biélorusse « assure que les autorités de Minsk “savent depuis longtemps que Varsovie se prépare à organiser une révolte ou quelque chose du même style sur le territoire biélorusse”. »
Le journal polonais cite ensuite les propos tenus par le dirigeant biélorusse : « Malheureusement, on n’écoute pas ce que je dis. Il y a quelques mois, j’ai dit qu’ils se préparaient – à une révolte, à une révolution, je ne sais pas ce qu’ils préparent en Biélorussie. Nous savons depuis longtemps qu’ils se préparent, peut-être, à une autre révolution. Ils forment leurs troupes, des régiments entiers, des bataillons. Nous savons où ils se trouvent, nous connaissons leurs noms. Nous sommes prêts, qu’ils y viennent”, a déclaré Loukachenko. »
C’est ainsi que les propos d’un général-blogueur polonais auront alimenté le mythe de la forteresse assiégée entretenu par les pouvoirs russes et aujourd’hui également par le pouvoir biélorusse, un ancien apparatchik soviétique qui s’inscrit dans la même tradition. Ces propos tombaient d’ailleurs à point : juste avant l’annonce par le président Loukachenko que le transfert d’armes nucléaires tactiques russes vers la Biélorussie avait débuté.