Les médias français ne finissent pas de subir de plein fouet les contrecoups des bouleversements qui agitent la région de l’Afrique subsaharienne, sur fond de dégradation des relations entre la France et les pays du Sahel. Après RFI en 2022, et France 24 en 2023, c‘est autour de l’hebdomadaire Jeune Afrique d’être proscrit par les autorités officielles du Burkina Faso.
Le 20 mars 2025, le chef de la junte au Burkina Faso, Ibrahim Traoré, s’en est pris au magazine panafricain, l’accusant de «chantage», suite à la parution, dans les colonnes de cet hebdomadaire, d’une série d’articles critiques envers son régime. Selon Traoré, Jeun Afrique aurait, entre 2022 et 2023, sollicité des financements en échange d’articles élogieux. Il affirme détenir des preuves de ces accusations et se dit prêt à les rendre publiques «si nécessaire ».
Censure et mercenariat
La direction de Jeune Afrique a riposté, dans un éditorial au vitriol, intitulé : « Ibrahim Traoré ou l’art de la diversion ». Le directeur de publication, Marwane Ben Yahmed, qualifie la sortie du dirigeant burkinabé de « diversion » visant à détourner l’attention des difficultés internes de son pays. Pour Ben Yahmed, Traoré cherche à « cacher son incompétence et ses exactions » en attaquant la presse. L’attitude des nouvelles autorités de ce pays africain envers le magazine avait commencé à se durcir, depuis septembre 2023, suite à la publication d’une enquête évoquant des remous au sein de l’armée. Ce qui avait valu à l’hebdomadaire une première suspension.
Cela dit, le Burkina Faso n’est pas le seul pays où Jeune Afrique est confronté à des pressions ou à des mesures de censure. En Algérie, le magazine est interdit depuis 2018. Le gouvernement algérien lui reprochait son parti pris pour les thèses marocaines sur des sujets litigieux comme celui du Sahara Occidental, alors qu’il bénéficiait de certaines largesses et notamment d’importantes rétributions, en forme d’encarts publicitaires réguliers. Durant les années 1980–90, Jeune Afrique était en rivalité notamment avec le mensuel tiers-mondiste Afrique Asie, dirigé par Majed Nehmé, pour gagner les faveurs d’Alger.
Signe d’une rancœur tenace envers l’hebdomadaire, son ancien correspondant à Alger – qui continue à couvrir les événements depuis Paris – Farid Alilat, a été renvoyé par les autorités algériennes dès son arrivée à l’aéroport d’Alger, en avril 2024.
Au-delà des arguments avancés par le gouvernement Burkinabé pour justifier la mesure de suspension visant Jeune Afrique, et qui trouvent échos au sein de l’élite locale, cette nouvelle mésaventure pose la question de l’avenir de la liberté de la presse dans la région.
État des lieux de la liberté de la presse en Afrique francophone
Après l’euphorie des changements de pouvoir au Mali, au Niger, en Guinée et au Burkina Faso, entre 2020 et 2023, la désillusion commence à s’installer, notamment chez les défenseurs de la liberté d’expression. Les attaques ayant visé, au départ, des journalistes et des organes de presse internationaux, et notamment français, ont eu comme effet direct d’instaurer un climat d’autocensure dans les rédactions locales. «On est vraiment à une phase d’autocensure incroyable qui dépasse le cas de l’autosuffisance professionnelle », résume Moussa Sawadogo, chercheur en communication burkinabé.
Au Burkina Faso, la première mesure prise par les nouvelles autorités, dès septembre 2002, a été la suspension de RFI, suivie de France 24 en mars 2023, suite à la diffusion d’un entretien avec un chef djihadiste. Un mois plus tard, deux journalistes du Monde et de Libération ont été expulsés, et la diffusion de ces deux journaux a été suspendue. Plus récemment, en mars 2025, les autorités ont annoncé la dissolution de l’Association des journalistes du Burkina (AJB), et deux de ses membres ont été arrêtés.
Au Niger, la situation n’est guère plus reluisante. Depuis le coup d’État de juillet 2023, les autorités ont renforcé leur emprise sur les médias les plus en vue. En février 2025, l’émission «Presse Plus » diffusée par Canal 3 TV a été suspendue sans explication officielle. Des journalistes ont été arrêtés pour des motifs tels que la diffusion d’informations «susceptibles de troubler l’ordre public. » Par ailleurs, le gouvernement a mis sur pied un comité de gestion des médias dirigé par un cadre du ministère de l’Intérieur. L’information est, dans ce pays, perçue d’abord comme une question de sécurité.
Même politique de verrouillage appliquée au Mali. En plus des mesures de censure en vigueur, les médias sont confrontés aux menaces terroristes, dans ce pays infesté de groupes armés et de milices étrangères. L’enlèvement, en 2021, du reporter français Olivier Dubois à Gao, par un groupe djihadiste, affilié à Al-Qaïda, et l’assassinat du journaliste Abdoul Aziz Djibrilla et l’enlèvement de deux de ses confrères, en novembre 2023, illustrent les dangers du travail des journalistes au Mali.
Voir aussi : Jeune Afrique, recentrage et licenciements
Mussa A.