Ojim.fr
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Les mésaventures africaines de Jeune Afrique

4 avril 2025

Temps de lecture : 4 minutes
Accueil | Veille médias | Les mésaventures africaines de Jeune Afrique

Les mésaventures africaines de Jeune Afrique

Temps de lecture : 4 minutes

Les médias français ne finis­sent pas de subir de plein fou­et les con­tre­coups des boule­verse­ments qui agi­tent la région de l’Afrique sub­sa­hari­enne, sur fond de dégra­da­tion des rela­tions entre la France et les pays du Sahel. Après RFI en 2022, et France 24 en 2023, c‘est autour de l’hebdomadaire Jeune Afrique d’être pro­scrit par les autorités offi­cielles du Burk­i­na Faso.

Le 20 mars 2025, le chef de la junte au Burk­i­na Faso, Ibrahim Tra­oré, s’en est pris au mag­a­zine panafricain, l’accusant de «chan­tage», suite à la paru­tion, dans les colonnes de cet heb­do­madaire, d’une série d’articles cri­tiques envers son régime. Selon Tra­oré, Jeun Afrique aurait, entre 2022 et 2023, sol­lic­ité des finance­ments en échange d’articles élo­gieux. Il affirme détenir des preuves de ces accu­sa­tions et se dit prêt à les ren­dre publiques  «si néces­saire ».

Censure et mercenariat

La direc­tion de Jeune Afrique a riposté, dans un édi­to­r­i­al au vit­ri­ol, inti­t­ulé : « Ibrahim Tra­oré ou l’art de la diver­sion ». Le directeur de pub­li­ca­tion, Mar­wane Ben Yahmed, qual­i­fie la sor­tie du dirigeant burk­in­abé de « diver­sion » visant à détourn­er l’at­ten­tion des dif­fi­cultés internes de son pays. Pour Ben Yahmed, Tra­oré cherche à « cacher son incom­pé­tence et ses exac­tions » en attaquant la presse. L’attitude des nou­velles autorités de ce pays africain envers le mag­a­zine avait com­mencé à se dur­cir, depuis sep­tem­bre 2023, suite à la pub­li­ca­tion d’une enquête évo­quant des remous au sein de l’armée. Ce qui avait valu à l’hebdomadaire une pre­mière suspension.

Cela dit, le Burk­i­na Faso n’est pas le seul pays où Jeune Afrique est con­fron­té à des pres­sions ou à des mesures de cen­sure. En Algérie, le mag­a­zine est inter­dit depuis 2018. Le gou­verne­ment algérien lui reprochait son par­ti pris pour les thès­es maro­caines sur des sujets litigieux comme celui du Sahara Occi­den­tal, alors qu’il béné­fi­ci­ait de cer­taines largess­es et notam­ment d’importantes rétri­bu­tions, en forme d’encarts pub­lic­i­taires réguliers. Durant les années 1980–90, Jeune Afrique était en rival­ité  notam­ment avec le men­su­el tiers-mondiste Afrique Asie, dirigé par Majed Nehmé, pour gag­n­er les faveurs d’Alger.

Signe d’une rancœur tenace envers l’hebdomadaire, son ancien cor­re­spon­dant à Alger – qui con­tin­ue à cou­vrir les événe­ments depuis Paris – Farid Alilat, a été ren­voyé par les autorités algéri­ennes dès son arrivée à l’aéroport d’Alger, en avril 2024.

Au-delà des argu­ments avancés par le gou­verne­ment Burk­in­abé pour jus­ti­fi­er la mesure de sus­pen­sion visant Jeune Afrique, et qui trou­vent échos au sein de l’élite locale, cette nou­velle mésaven­ture pose la ques­tion de l’avenir de la lib­erté de la presse dans la région.

État des lieux de la liberté de la presse en Afrique francophone

Après l’euphorie des change­ments de pou­voir au Mali, au Niger, en Guinée et au Burk­i­na Faso, entre 2020 et 2023, la désil­lu­sion com­mence à s’installer, notam­ment chez les défenseurs de la lib­erté d’expression. Les attaques ayant visé, au départ, des jour­nal­istes et des organes de presse inter­na­tionaux, et notam­ment français, ont eu comme effet direct d’instaurer un cli­mat d’autocensure dans les rédac­tions locales. «On est vrai­ment à une phase d’autocensure incroy­able qui dépasse le cas de l’autosuffisance pro­fes­sion­nelle », résume Mous­sa Sawado­go, chercheur en com­mu­ni­ca­tion burkinabé.

Au Burk­i­na Faso, la pre­mière mesure prise par les nou­velles autorités, dès sep­tem­bre 2002, a été la sus­pen­sion de RFI, suiv­ie de France 24 en mars 2023, suite à la dif­fu­sion d’un entre­tien avec un chef dji­hadiste.  Un mois plus tard, deux jour­nal­istes du Monde et de Libéra­tion ont été expul­sés, et la dif­fu­sion de ces deux jour­naux a été sus­pendue. Plus récem­ment, en mars 2025, les autorités ont annon­cé la dis­so­lu­tion de l’Association des jour­nal­istes du Burk­i­na (AJB), et deux de ses mem­bres ont été arrêtés.

Au Niger, la sit­u­a­tion n’est guère plus reluisante. Depuis le coup d’É­tat de juil­let 2023, les autorités ont ren­for­cé leur emprise sur les médias les plus en vue. En févri­er 2025, l’émis­sion «Presse Plus » dif­fusée par Canal 3 TV a été sus­pendue sans expli­ca­tion offi­cielle. Des jour­nal­istes ont été arrêtés pour des motifs tels que la dif­fu­sion d’informations «sus­cep­ti­bles de trou­bler l’or­dre pub­lic. » Par ailleurs, le gou­verne­ment a mis sur pied un comité de ges­tion des médias dirigé par un cadre du min­istère de l’In­térieur. L’information est, dans ce pays, perçue d’abord comme une ques­tion de sécurité.

Même poli­tique de ver­rouil­lage appliquée au Mali. En plus des mesures de cen­sure en vigueur, les médias sont con­fron­tés aux men­aces ter­ror­istes, dans ce pays infesté de groupes armés et de mil­ices étrangères. L’enlèvement, en 2021, du reporter français Olivi­er Dubois à Gao, par un groupe dji­hadiste, affil­ié à Al-Qaï­da, et l’assassinat du jour­nal­iste Abdoul Aziz Djib­ril­la et l’enlèvement de deux de ses con­frères, en novem­bre 2023, illus­trent les dan­gers du tra­vail des jour­nal­istes au Mali.

Voir aus­si : Jeune Afrique, recen­trage et licenciements

Mus­sa A.

Mots-clefs : ,

Voir aussi

Vidéos à la une

Marine Turchi ou l'art de l'objectivité subjective. Portrait
Olivier Legrain, du blé de gauche à moudre. Portrait
Portrait : Glenn Greenwald, au cœur de la nébuleuse des lanceurs d’alerte
Laure Mandeville : bons baisers de Washington. Portrait

Derniers portraits ajoutés