Les Presses universitaires de France (PUF), maison d’édition plus que centenaire, à la respectabilité et au sérieux indiscutables, ayant publié des classiques dans tous les domaines de la pensée (avec des collections mythiques telles que Que Sais-Je ? Quadridge), et qui semblaient se réinventer depuis une quinzaine d’années, sont entrées dans la tourmente polémique.
Un ouvrage déprogrammé
L’objet du délit ? La déprogrammation de dernière minute d’un ouvrage collectif — dirigé par l’historien Pierre Vermeren et les professeurs de lettres Emmanuelle Hénin et Xavier-Laurent Salvador — qui avait demandé trois années de travail à un collectif d’universitaires : Face à l’obscurantisme woke. Censure dans la culture et l’édition ?
Pression sur les PUF
Selon Paul Garapon, l’éditeur, sa décision s’expliquerait par le fait que les trois co-directeurs de Face à l’obscurantisme woke contribueraient à l’Observatoire de l’éthique universitaire, lequel serait soutenu par le projet Périclès du milliardaire Pierre-Edouard Stérin. Si tel est le cas, cette explication vaut confirmation de la censure puisque la déprogrammation s’expliquerait ainsi par des éléments extérieurs au contenu de l’ouvrage (commandé par l’éditeur il y a trois ans afin de, justement, dénoncer les dérives du wokisme).
La réalité est sans aucun doute ailleurs, probablement dans le changement de climat politique général depuis l’élection de Donald Trump. Elle est aussi à chercher du côté du rôle joué par un historien, omniprésent sur les plateaux de télévision — de Radio France à Arte — dans la presse de gauche, partout où polémique il y a, depuis son élection au Collège de France : Patrick Boucheron. Ce dernier, soutenu par une minuscule poignée de journalistes et d’universitaires, paraît bien être à l’origine du rétropédalage de Paul Garapon et des éditions PUF, sans doute inquiètes en termes de ventes, l’université française et ses étudiants étant un client important.
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Sur le site du Journal du Dimanche, en date du 14 mars 2025, l’historien Jean-Marc Albert a montré que Patrick Boucheron aurait fait pression sur les PUF en vue de la censure de l’ouvrage. Il explique cette intervention par la conception politique « postcoloniale » de l’Histoire de Patrick Boucheron et des pressions exercées tandis que ce dernier prêche dans le même temps partout contre les attaques que subirait la liberté d’expression aux États-Unis. En arrière-plan, la question est celle d’une vision « décoloniale » de l’Histoire qui se prétend vérité contre une vision liée au « roman national ».
« Une censure préalable »
Décoloniser, décentrer, se repentir. Un seul exemple suffit à comprendre : Patrick Boucheron se propose de débaptiser la station de Métro Gallieni, à Paris pour lui donner le nom de Maurice Audin, militant communiste français de l’indépendance de l’Algérie. Quiconque n’adhère pas au projet de déconstruction du nouveau pontife du Collège de France risque donc les foudres de la censure.
Selon l’un des co-directeurs de Face à l’obscurantisme woke, Pierre Vermeren, historien reconnu et professeur à la Sorbonne, les causes de la censure sont bien sûr liées à l’intervention de Patrick Boucheron. Elles sont aussi plus profondes. C’est ce qu’il expliquait sur le plateau du Club Le Figaro Idées, lors d’un débat en compagnie de Christophe Guilluy.
Pierre Vermeren indique qu’il s’agit d’une « censure préalable », ce qui est « original car elle provient d’un éditeur qui avait lui-même commandé l’ouvrage il y a trois ans, qui avait même trouvé le titre. » Et de détailler : « Il voulait Manifeste contre le wokisme, nous on l’a rendu un peu plus voltairien en parlant de l’obscurantisme. Le contexte, il y a trois ans, n’était pas du tout le même qu’aujourd’hui. Et au-delà du contexte trumpien et autre, il y a eu la question d’une intimidation qui est venue du Collège de France à travers la voix de Monsieur Boucheron qui a mis une “honte” sur le nom des PUF s’ils venaient à publier ce livre ».
Selon Pierre Vermeren, l’éditeur, « prenant peur et voulant sauver sa maison », a donc finalement « préféré déplacer la sortie du livre ». « Une censure préalable d’un livre qui n’a pas été distribué, que personne n’a lu en dehors de l’éditeur qui d’ailleurs était très content, qui nous a félicités, qui nous a dit que cela correspondait exactement à ce qu’il voulait », dénonce Pierre Vermeren.
Et d’ajouter : « On vit dans un étrange pays où les gens qui travaillent au Collège de France ont un pouvoir d’intimidation sur un éditeur privé (…), un ouvrage universitaire, trois ans pour avoir un beau corpus sur le wokisme. Manifestement cela gêne. On a reçu en 24 heures dix propositions, parmi les principales maisons de la place parisienne. En théorie, il sera publié ».
La déferlante Trump en cause ?
Le 10 mars 2025, dans Le Figaro, le journaliste Paul Sugy signale que « les Presses universitaires de France ont décidé de suspendre la publication, début avril, d’un livre sur “l’obscurantisme woke”, après une campagne menée par quelques intellectuels et journalistes contre la parution de cet ouvrage collectif. »
Il précise qu’après la « déferlante Trump […], dans une forme de maccarthysme inversé, trois universitaires français viennent d’en faire les frais, après des accusations de proximité avec les thèses trumpistes. ».
Paul Sugy précise que le lien avec Pierre-Edouard Stérin était connu depuis longtemps par l’éditeur et que cela n’avait rien dérangé. La question de la censure est donc clairement ailleurs. À commencer dans l’intervention de Patrick Boucheron devant un parterre de journalistes, où il déplorait ceci : « Une partie importante de l’espace médiatique est saturée par des entrepreneurs d’approximations et d’inexactitudes, qui disent que ce qui nous menace aujourd’hui, c’est l’islamo-gauchisme ou le wokisme… »
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Et d’ajouter en élevant la voix : « Pardon, mais allumez votre télévision ! Là, on est entre nous… Mais on trouve aussi quelques idiots utiles, dans l’université. Il y a des livres qui continuent de paraître. Il y en a un aux PUF qui s’appelle Face à l’obscurantisme woke. Aux PUF ! Aux PUF ! ».
La presse tente de délégitimer les auteurs
Autre ton dans d’autres médias. Pour Le Nouvel Obs, le 10 mars 2025, « à deux doigts de se trumpiser en publiant un pamphlet anti-woke, les éditions PUF rétropédalent ». Le titre est clair. Si Face à l’obscurantisme woke a été déprogrammé, ce serait car le livre s’inscrirait « dans le droit fil de la conception trumpienne de l’université ». Difficile de comprendre comment le journaliste auteur du papier, Eric Aeschimann, peut affirmer cela étant donné qu’il n’a pu lire l’ouvrage.
Pour FranceInfo, « le livre entendait alerter sur la “pénétration des idéologies décoloniales, des théories de la race et du genre dans les milieux actuels de la recherche en lettres et sciences humaines, en droit et même dans les sciences dures”. Les Presses universitaires de France ont suspendu la parution d’un livre intitulé Face à l’obscurantisme woke, qui devait être publié le 9 avril, a appris Franceinfo auprès de l’éditeur, confirmant une information de Libération ».
FranceInfo tente de délégitimer les auteurs en indiquant qu’ils contribuent à l’ancien Observatoire du Décolonialisme, renommé Observatoire d’éthique universitaire, prétendument régulièrement pointé du doigt pour des questions de méthodologie selon le site… Arrêt sur Images, sans doute incontestable quant à lui.
Pour Libération, et ses quelques lecteurs, c’est l’action anti-woke actuelle du président Trump qui « invaliderait les thèses principales du livre », soit la pénétration du wokisme et des théories décoloniales dans les lieux de pouvoir médiatiques, culturels et universitaires. L’ouvrage ne serait d’un coup plus d’actualité. Au vu des bouleversements actuels et rapides du monde, gageons que des dizaines de livres vont être sous peu déprogrammés par des dizaines d’éditeurs….
Sans surprise, Libération considère que le souci ne réside pas dans la déprogrammation mais dans le fait que Cnews, le JDD, Valeurs Actuelles ou encore L’Incorrect y voient un cas de censure sur fond de « cancel culture ». Le problème ne serait pas l’interdiction des idées développées par l’ouvrage mais les réactions des médias dits d’extrême-droite. Notons que pour Libération, tout ou presque est d’extrême-droite.
Le projet Périclès dans le viseur
Selon Le Monde, le 12 mars 2025, la suspension de la parution du livre s’explique ainsi : « L’éditeur souligne d’abord “le contexte politique national et international actuel”. Aux États-Unis, sous couvert de lutte contre le wokisme, l’administration américaine mène depuis l’élection du président Donald Trump, en novembre 2024, une purge inédite dans la recherche scientifique et les documents publics. Cette lutte idéologique passe désormais par des coups de rabot financier ou des licenciements dans tous les champs universitaires qui explorent les inégalités sociales, les discriminations raciales ou le climat et le réchauffement de la planète.Vendredi 7 mars, à l’occasion de l’initiative américaine « Stand up for Science », qui dénonce les conséquences du trumpisme sur le débat d’idées, l’historien Patrick Boucheron, en ouvrant une journée de soutien à ses collègues américains au Collège de France, s’est moqué des livres qui continuent à paraître en France contre le wokisme. »
Mais aussi par le rôle du projet Périclès, lequel viserait à instaurer « une droite dure » en France. C’est donc bien une censure relative à des conceptions différentes du monde dont il s’agit. Ce que n’hésitait pas à affirmer clairement le Journal du Dimanche (JDD), dans son édition du 10 mars 2025 : « Une censure clairement revendiquée ».
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Paul Vermeulen