Docteur Jean-Do et mister Merchet… Les ambiguïtés de l’atypique parcours journalistique de Jean-Dominique Merchet finissent-elles par ressurgir ? C’est ce que laisse penser le traitement, par son blog Secret Défense, de l’affaire dite du général Loustaunau-Lacau, figure emblématique de la Résistance dont le nom avait été donné en 2017 à une promotion de l’École spéciale militaire (ESM) de Saint-Cyr.
Merchet alias Jean-Do
Docteur Jean-Do, car nombre de militaires avaient fini par lui attribuer le diminutif affectif de « Jean-Do », quand ils ne lui préféraient pas le surnom de « Pacha », cette appellation donnée, dans le jargon de « la Royale », aux commandant des navires de guerre. Le Pacha du blog Secret Défense, initialement domicilié au journal Libération avant de migrer à Marianne puis à L’Opinion, avait en-effet pansé quelques plaies de l’institution militaire en traversant certaines tempêtes médiatiques à ses côtés, alors qu’elle sortait tout juste d’une posture de « grande muette » que, bon gré mal gré, elle n’avait pas quitté depuis un siècle et demi. Les militaires gardent au crédit de Jean-Do quelques faits de plume accomplis à leur profit, comme les premières pages de son ouvrage Mourir pour l’Afghanistan, qui comporte sans doute un des plus beaux hommages rendus au sacrifice de la section de parachutistes du 8ème RPIMa tombée le 18 août 2008 dans l’embuscade d’Uzbin, cette vallée du district afghan de Surobi.
Non moins méritantes, parce qu’il lui fallut alors s’exposer au risque d’affronter sa corporation professionnelle, furent ses prises de position en faveur de l’armée lors des polémiques qui opposèrent cette dernière à une partie du milieu journalistique, au sujet des conditions de la capture puis du traitement médiatique de la libération des journalistes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, otages en Afghanistan. Aussi, ces dernières années, le Pacha avait-il su s’imposer comme un interlocuteur et un relais privilégié, car finalement bienveillant, de milieux de Défense d’instinct plutôt méfiants à l’égard d’une corporation journalistique qu’ils avaient longtemps considérée comme hostile.
De Libération à L’Opinion
Les racines de mister Merchet, que l’activité récente du blog Secret Défense avaient fini par faire oublier, sont beaucoup plus lointaines. Ne rejoignant le journal Libération qu’au début des années 90, où il devient rapidement responsable des questions de défense, Merchet appartient à la deuxième génération de ce quotidien lancé en 1973 par Jean-Paul Sartre, Jean-Claude Vernier et Serge July. Si la ligne anticapitaliste initiale, faisant la promotion de la démocratie directe et refusant la publicité comme les actionnaires extérieurs, est rapidement abandonnée avec le départ du tandem Sartre-Vernier et la reprise en main du journal par Serge July, certaines permanences s’accommodent de l’évolution libérale-libertaire du journal. Au cours des 20 années qu’il a passées à la rédaction de Libération, avant de rejoindre Marianne en 2010 puis L’Opinion en 2013, Merchet y a donc côtoyé les historiques du journal. Ces derniers, pendant les années 70, n’avaient pas seulement salué l’entrée des Khmers rouges à Phnom-Penh ou participé à l’éloge des milieux pédophiles, ils avaient également servi de caisse de résonnance médiatique, jusqu’en 1978, aux « comités de soldats ». Sous une apparence sympathique de revendications de billets de train gratuits ou d’amélioration des soldes, ce mouvement d’appelés, de l’ordre de quelques poignées de conscrits, parfois un seul soldat s’autoproclamant « comité » dans quelques régiments, n’en était pas moins une entreprise visant à déstabiliser l’armée. Une campagne de délation, sorte de #BalanceTonSupérieur ou #BalanceTonOfficier avant l’heure, fut alors accompagnée par la rédaction de Serge July, qui ne fut pas trop regardante sur le caractère diffamatoire d’accusations relayées sans vérification, à une époque où l’armée, méritant encore pleinement son surnom de « grande muette », ne s’était pas encore appropriée les outils de communication nécessaires pour résister à ce type de campagne d’intoxication. Est-ce au contact des historiques de Libération qui accompagnèrent la promotion médiatique des comités de soldat que Merchet, quelques années plus tard, conçut l’idée de créer son blog Secret défense, dont une des caractéristiques était d’offrir la possibilité à des militaires d’intervenir et de témoigner publiquement sous la protection numérique de l’usage de pseudonymes ? Si tel fut le dessein premier de mister Merchet, le changement de paradigme militaire auquel ce projet fut confronté, celui d’une armée devenue professionnelle et ouverte à l’idée de s’essayer à l’exercice de la communication, allait vite créer les conditions de la naissance du docteur Jean-Do. Rapidement, la majorité des intervenants sur ce blog fut en-effet celle de défenseurs, et non de détracteurs, de l’institution militaire et de ses acteurs. Le temps du monopole de la parole confisqué par une poignée de conscrits insoumis était définitivement révolu… Avec une part de sincérité qui ne doit pas être niée, le docteur Jean-Do s’était finalement bien accommodé des effets de ce changement de paradigme, et avait même fini par y trouver une place confortable, sinon un privilège de rente.
Retour de vieilles habitudes ?
Mais des circonstances récentes ont fait ressurgir mister Merchet, peut-être malgré lui. La similitude avec le tableau offert par ses idéaux de jeunesse était peut-être trop forte pour qu’il puisse résister à cette tentation. Ce ne fut toutefois pas à un comité de soldats mais plutôt à un comité de civils que Merchet offrit une caisse de résonance. Se sentant pousser une âme de résistants en herbe, et voyant sans doute la possibilité de la mettre à l’épreuve à moindres frais, deux personnels civils du Service historique de la Défense (SHD), Jean de Préneuf et Claire Miot, s’investirent dans le rôle de lanceurs d’alerte, dans des conditions suffisamment déloyales pour que leur hiérarchie cherche à les punir pour ce qui apparut rapidement, aux yeux de leurs pairs, comme une félonie. Ils s’efforcèrent donc de prévenir qui voulait les entendre, dans les milieux politiques, médiatiques, ou auprès de leurs collègues historiens extérieurs au SHD, qu’au moment où notre président entrait en croisade contre le nationalisme en dressant l’éloge du pacifisme et du rapprochement franco-allemand, une promotion de Saint-Cyr portait le nom du général Loustaunau-Lacau qui, comme l’écrasante majorité des Résistants de la toute première heure dont il faisait partie, avait eu des sympathies et des convictions nationalistes et d’extrême-droite, avec tout ce que cela pouvait représenter, avant-guerre.
Au moment où le chef d’État-Major de l’armée de Terre, cédant sous la pression des circonstances, se lançait dans une communication maladroite annonçant la volonté du ministère des armées de débaptiser la promotion qui avait reçu le nom de ce héros de la Résistance, Merchet commit sur son blog l’interview assassin d’une historienne militante, Johanna Barasz, déléguée adjointe à la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH). Cette dernière, caractérisée par une conception suffisamment baroque du devoir de réserve pour animer des comptes à son nom, sur les réseaux sociaux, où elle relaye à la fois les communications de la DILCRAH et des appels à la haine contre les personnalités politiques ou publiques dont elle ne partage pas les opinions, n’eût aucune retenue pour injurier la mémoire du général Loustaunau-Lacau, dans les colonnes du blog de Merchet, sans avoir un seul argument historique sérieux à faire valoir à l’appui de ses propos insultants.
Merchet se faisait ainsi la caisse de résonance de milieux politiques militants ayant visiblement beaucoup moins de sympathie intellectuelle pour les Résistants nationalistes de la première que pour les collaborationnistes largement issus, en 40, des milieux pacifistes de gauche et d’extrême-gauche. Comme devait le souligner sur ces entrefaites le première promotion de l’Institut des sciences sociales, économiques et politiques (ISSEP), dans une tribune publiée dans Valeurs actuelles pour annoncer qu’elle reprenait le nom de Loustaunau-Lacau comme parrain de promotion. Les pouvoirs publics s’étaient en-effet montrés beaucoup moins regardants sur le nom de promotion donné, la même année à la promotion de l’ENA dont la directrice était alors Nathalie Loiseau : Louise Weiss, une militante féministe, pacifiste, favorable, avant-guerre, aux idées de gauche et au rapprochement franco-allemand, avant de finir la seconde guerre, en 1944, à Sigmaringen, aux côtés du dernier carré des collaborationnistes français.
Sans savoir, dans ce contexte de rechute idéologique, qui va l’emporter, du docteur Jean-Do ou de mister Merchet, voilà en tout cas un sévère coup de canif dans l’idylle que le temps avait fini par nouer entre les armées et le Pacha du blog Secret Défense, qui devrait laisser quelques cicatrices durables, notamment auprès de quelques promotions de jeunes officiers.