Le 18 octobre 2020, un long reportage de RFI l’affirmait : « France, des disparités et des manques dans l’enseignement de l’histoire de l’esclavage ». Un reportage posant deux biais principaux : il est fondé sur une source unique et très engagée, la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, et c’est une infox. Analyse du reportage et regard porté sur l’enseignement de l’esclavage en France permettent au contraire de montrer comment l’enseignement de l’esclavage entre avec vigueur dans le cerveau de nos têtes blondes au sein de l’Éducation nationale.
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La réalité des lycées, selon le texte officiel, est, elle aussi, très éloignée de ce que prétend RFI :
« Ce document d’éducation à la citoyenneté autour de la « Mémoire de l’esclavage et des abolitions de la traite négrière » fait aussi mention de la présence de la question dans les programmes de lycée. »
En histoire et géographie
- niveau seconde : le texte souligne le commentaire du programme sur les « limites de la citoyenneté athénienne » et propose une mise au point « sur la situation de l’esclavage au moyen âge et les différences avec le servage féodal dans le cadre du thème sur La Méditerranée au XIIe siècle carrefour des civilisations. Le thème V est celui qui permet de revenir sur « la difficile abolition de l’esclavage, la première abolition avec la Révolution, son rétablissement en 1802, la seconde abolition en 1848 ». Le texte mentionne aussi que, « l’indépendance d’Haïti de 1804 peut être évoquée » et trois personnalités doivent l’être, l’Abbé Grégoire, Toussaint-Louverture et Victor Schoelcher. De plus, les thèmes d’Éducation civique juridique et sociale « citoyenneté et travail » et « citoyenneté et intégration » peuvent porter sur l’esclavage.
- niveau première : le texte propose « l’analyse des nouvelles formes de domination lors de l’étude de la colonisation en histoire ainsi que la possible prise en compte des anciennes sociétés coloniales au moment de l’étude des DOM-TOM en géographie. »
En français
- niveau seconde : une « réflexion autour de l’esclavage » peut se conduire dans le cadre d’un travail sur l’argumentation. Les documents d’accompagnement du programme indiquent explicitement l’opportunité d’étudier « l’esclavage et la traite négrière à travers la question de l’altérité ». Le texte mentionne ensuite des textes littéraires ou documents pouvant être choisis par les enseignants : « Jean de Léry, Histoire d’un voyage en terre de Brésil ; La Boétie, Discours de la servitude volontaire ; Montaigne ; Diderot et d’Alembert ; Voltaire, Candide ; Hugo, Bug Jargal ; Césaire, Cahier de retour au pays natal ; Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique ; Styron, Les confessions de Nat Turner ; Le Code noir de 1685 ; Condorcet, Réflexions sur l’esclavage des nègres ; Schoelcher, Décret d’abolition de l’esclavage de 1848 ; Todorov, La conquête de l’Amérique, Nous et les autres…
- niveau première : le programme prévoit l’étude d’« un mouvement littéraire et culturel ». Le texte propose donc d’autres ouvrages comme « Bernadin de Saint-Pierre, Paul et Virginie ; Marivaux, L’Ile aux esclaves ou encore Primo Levi, Si c’est un homme ; Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Race et Histoire ; Angé, La traversée du Luxembourg ; Césaire, La tragédie du roi Christophe ; Alejo Carpentier, Le siècle des Lumières. »
En langues anciennes
Ce document ministériel rappelle que l’enseignement des langues anciennes « permet l’étude des divers aspects de la condition d’esclave à partir des textes fondateurs comme l’Odyssée en classe de 6ème et en grec en classe de première. En latin l’étude de la vie quotidienne en 5ème, de la vie de la cité en 4ème et de la fin de la République en 3ème, avec la révolte de Spartacus, peuvent aussi donner l’occasion d’aborder l’esclavage. Il peut aussi être vu en grec en première avec la Vie de Crassus de Plutarque. Il en est de même pour l’étude des auteurs latins Plaute et Juvénal en seconde ou Pétrone et Sénèque en terminale. »
L’enseignement professionnel est aussi concerné : la question de l’esclavage et de la traite se trouve dans les programmes d’éducation civique juridique et sociale de BEP et Baccalauréat professionnel à travers l’étude des Droits de l’Homme. Pour le français en CAP, les enseignants peuvent « choisir des textes qui envisagent la question au sein des parties consacrées à « s’insérer dans la cité » ou « découvertes des cultures et des représentations de l’autre ». En BEP, le programme préconise des œuvres qui peuvent être choisies en fonction de cette problématique. Les documents d’accompagnement du baccalauréat professionnel proposent « une séquence sur L’Ile aux esclaves de Marivaux. »
En réalité, les élèves des établissements scolaires entendent autant parler de l’esclavage que de la Shoah au cours de leur scolarité. Ils le savent bien, eux. Il n’est d’ailleurs pas rare, qu’après le bac, certains osent dire « en avoir soupé ».
Focus sur le collège et les ressources de l’Éducation nationale
RFI reconnaît que l’esclavage et la traite des noirs sont enseignés au collège. Cependant, la radio reprend les arguments de la Fondation : pour elle, ce serait insuffisant, minime. C’est tout aussi faux. L’esclavage intervient à trois reprises dans les programmes d’histoire de 4e :
Dans l’énorme chapitre de départ de l’année scolaire intitulé « Bourgeoisies, commerce, traite et esclavage au 18e siècle ». La problématique posée, dans le manuel Nathan 4e par exemple, est « Comment le commerce, la traite et l’esclavage enrichissent-ils l’Europe au XVIIIe siècle ? ». Loin de minimiser l’esclavage, le questionnement proposé induit bien plus que la responsabilité européenne, évidemment partagée avec les peuples noirs eux-mêmes et les musulmans, ce que tous les manuels n’indiquent par contre pas : il suppose que la domination contemporaine de l’Europe et plus généralement de l’occident serait issue du commerce des esclaves. C’est une façon de mettre en avant les concepts de dette et de repentance, et de donner raisons aux militants raciaux et post-coloniaux qui envahissent de plus en plus les amphithéâtres des universités et l’espace public, avec comme symbole la députée de LFI Danièle Obono.
Ce chapitre n’occupe pas seulement une place importante dans le programme mais aussi dans le principal support utilisé dans les classes : le manuel scolaire. Ainsi, ce même manuel Nathan, le plus utilisé avec le manuel Hatier, propose un chapitre composé de 20 pages. L’élève entend parler : des empires coloniaux européens et du commerce triangulaire, du code noir, de la traite négrière, de l’enrichissement de l’Europe par le commerce des esclaves, de l’enrichissement de certains ports, Bordeaux en particulier, et de familles par l’esclavage, un lien est même fait avec le développement de la viticulture, des routes de l’esclavage depuis l’Afrique jusqu’aux Amériques, avec des documents terrifiants, dont une reproduction d’un navire négrier et de l’entassement géométrique des esclaves afin de rentabiliser les traversées, de la vie dans les plantations, des conditions de travail et des punitions, des traces de l’esclavage en Guadeloupe, de la mise en oeuvre d’un lieu de mémoire… Un ensemble très complet.
Dans ce même manuel :
- Un imposant exercice de deux pages, composé de 6 documents, considéré comme une « tâche complexe », vise à répondre à cette question : « La Révolution a‑t-elle libéré les esclaves ? ». C’est dans cet exercice que la biographie de Toussaint Louverture est proposée aux élèves.
- Un chapitre de 18 pages est consacré au thème « Conquêtes et sociétés coloniales (19e siècle) » dans lequel le lien est explicitement fait entre esclavage et colonies, par une autre « tâche complexe » de deux pages intitulée « L’abolition de l’esclavage en France, 1848 ». La question posée est : « Comment l’esclavage est-il définitivement aboli en France ? ».
Plus loin, dans la partie géographie, l’élève trouvera aussi un chapitre sur « L’Afrique dans la mondialisation », avec une double page, intégrée à son « parcours citoyen », intitulée « L’Afrique des idées reçues ». La question est cette fois : « Comment lutter contre les préjugés sur l’Afrique ? ».
Et ce n’est pas tout.
Les ressources mises à la disposition des enseignants par l’Éducation nationale, outre les journées mémorielles et le concours déjà évoqués, sont elles aussi nombreuses. Elles sont concentrées sur la plate-forme éducative directement utilisable en classe, mais aussi à la maison, Lumni.
Si l’on recherche le mot « esclavage », l’on tombe sur 78 résultats, autrement dit au moins 78 ressources, la plupart étant des vidéos. Elles concernent tous les niveaux où l’esclavage est enseigné, n’en déplaise à un reportage de RFI visiblement réalisé à la va-vite.
Parmi ces ressources :
- Un dossier de 4e et de CM1, « l’esclavage, comprendre son histoire », composé de 29 documents, vidéos, films d’animation (dont un portrait de Toussaint Louverture). Parmi les vidéos ? Un document de 5 minutes présentant les « noirs de France » manifestant sous la banderole « Nous sommes tous les filles et fils d’esclaves ».
- Outre ce dossier, des ressources qui s’adressent aux classes de CE1, CE2, CM1, CM2, 6e, 5e, 4e, 3e, seconde, première et terminale, l’une faisant l’apologie de la loi Taubira.
Ainsi, et contrairement aux affirmations de RFI et à la note de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, note sur laquelle le reportage s’appuie sans mener de réel travail journalistique, en allant par exemple enquêter sur ce qui est enseigné en réalité dans les établissements scolaires, l’esclavage et la traite négrière sont enseignés durant toute la scolarité des élèves des écoles, collèges et lycées français, dans des matières comme l’Histoire, la Géographie, l’éducation morale et civique, le Français mais aussi en langues – en Anglais et en Allemand en particulier.
La liberté pédagogique visée
Pourquoi un reportage aussi tendancieux venant à l’appui d’une note orientée politiquement ? RFI le dit : « Au-delà des manuels et des programmes, l’enseignement reçu par les élèves dépend beaucoup des choix de leurs professeurs. Ils bénéficient en effet d’une marge de manœuvre importante dans leur application des programmes, dans le choix de leurs sources et dans le temps passé à approfondir un sujet, ce qui concourt à renforcer les disparités dans la pratique. » Ce qui est visé ? La liberté pédagogique.
Exactement le type de reportage qui, en creux, donne quitus aux thèses farfelues des indigénistes et des courants post-coloniaux dont les concepts racistes menacent la démocratie et la liberté d’expression en France.
RFI n’hésite d’ailleurs pas à se contredire en insistant sur le « succès » du concours « Flamme de l’égalité » (211 classes et près de 6000 élèves y ont participé en 2019). L’ensemble forme finalement un bel exemple de propagande qui fait le lit des idéologies de type post-coloniales et indigénistes, espaces de militantisme politique dont le danger n’est pas anodin. Même le ministre de l’éducation nationale en a parlé fin octobre 2020, c’est dire…