Le numéro 143 de l’hebdo Le 1 daté du 22 février 2017 et consacré au thème « Banlieues. Retour sur un Apartheid » symbolise une semaine « antiraciste » ponctuée par la cérémonie des Césars. Samedi 25 février, les stations de Radio France sont unanimes : si la cuvée des Césars n’est pas un grand cru cinématographique, elle est une vraie réussite pour la lutte contre le « racisme » des policiers et « l’apartheid » des banlieues.
Politique antiraciste d’abord
Le monde médiatique est empêtré dans les affaires Théo et Méklat, causées par un « apartheid » selon l’hebdo Le 1 dirigé par Éric Fottorino, journaliste et écrivain, ancien PDG du groupe Le Monde. Les Césars ne pouvaient y échapper. La cérémonie a cédé à l’ambiance de la semaine et des applaudissements unanimes ont été réservés aux discours militants consacrés à la lutte « antiraciste ». François Cluzet a ainsi déclaré : « Si on peut dire bamboula c’est convenable, on doit pouvoir dire enculé de raciste c’est un compliment ». Applaudissements nourris de participants qui n’ont pas souhaité relever l’homophobie de l’expression « enculé de raciste ». La soirée a eu son lot de temps forts. L’émotion de Déborah Lukumuena, César du meilleur second rôle féminin pour son interprétation de Maimouna dans Divines. Le premier film de Houda Benyamina est par ailleurs le grand gagnant des Césars d’après Europe 1. Ce film avait déjà obtenu la Caméra d’or du dernier Festival de Cannes dans un autre contexte d’engagement pour la profession : en faveur des « réfugiés ». Peu avant, un grand éclat de rire a secoué la salle quand le maître de cérémonie, Jérôme Commandeur, a déclaré : « Pour remettre le César du meilleur film étranger, j’appelle Florian Philippot ». L’engagement politique du cinéma français atteignait cependant son point d’orgue avec l’intervention de la lauréate du César du meilleur court-métrage, la réalisatrice d’origine sénégalaise Alice Diop qui a dédié son trophée aux plus récentes victimes du racisme policier en banlieue. Émotion perceptible puis applaudissements nourris.
Le 1, l’hebdo dans le sens du vent
L’hebdo de Fottorino peut se targuer d’avoir anticipé la grande soirée de la bobosphère sur Canal +. Dans son numéro du mercredi 22 février, le magazine se propose de faire « retour sur l’apartheid » et le racisme policier qui séviraient dans les banlieues. Les médias mainstream utilisent l’expression « apartheid » de préférence à celle de « territoires perdus de la république », considérée comme trop marquée politiquement. Le dessin de Une montre un jeune enfermé dans une banlieue et contrôlé par six policiers : « Après l’agression du jeune Théo, Le 1 revient sur l’hostilité entre police et jeunes des banlieues ». Ce « retour sur un apartheid » suit la ligne de l’hebdo : « Chaque semaine, une question d’actualité, plusieurs regards », donnant la parole à des personnes issues de la diversité migratoire des banlieues. Un habitant de Gennevilliers explique ainsi n’avoir pas imaginé qu’un policier « pourrait lui tirer dessus ». Ambiance tendue : « Il y a six ans, un copain à moi qui roulait en voiture volée s’est fait poursuivre par la police. Ils l’ont interpellé et l’ont frappé au sol, avec leurs pieds et avec une matraque ». Des « petits » regardent et risquent d’être traumatisés, les jeunes demandent poliment aux policiers d’arrêter, une mère de famille intervient… Rien n’y fait. Menacé par un policier, le jeune témoin s’enfuit et se fait tirer dessus. Blessé, il précise : « Je sais que j’aurais dû me rendre mais j’étais fiché parce que j’avais fait des conneries avant. J’ai pris du sursis pour agression, menace et défaut de permis (…) Pour l’histoire de Théo (..) il faut vraiment avoir de la haine pour faire ça ». Un regard parmi d’autres proposé par l’hebdo, dont ceux de jeunes en réussite à l’université, d’une enseignante de banlieue, d’un habitant d’Aubervilliers racontant l’entrée des policiers des stups dans son appartement, avec fusils à pompe, d’un éducateur sportif, de deux « politistes » et de deux policiers. Le chapeau qui introduit les divers témoignages indique que Manuel Valls avait raison en 2015 d’utiliser le mot « apartheid » pour désigner « la situation des quartiers sensibles ».
La bande dessinée comme arme culturelle
Le racisme à l’encontre des populations de banlieue est aussi illustré par une planche de bande dessinée signée Julien Revenu. L’auteur a toute légitimité : il a « grandi en Seine-Saint-Denis, à Aulnay-sous-Bois et Livry-Gargan ». Le 1 ne précise pas s’il y a un lien entre Revenu, Théo ou l’association du frère de ce dernier. La planche raconte les événements survenus le 2 février à Aulnay. Le texte dit : « Théo Luhaka est gravement blessé lors d’une interpellation. Le lendemain, la radio reprend directement la version policière invoquant un accident. De nouveau, les banlieues s’embrasent. Le président de la République appelle au calme (il dit : “Il faut respecter la police”). Quand on sait que quelques bretons en colère peuvent faire capoter une loi fondamentale, on se demande qui sont ces citoyens de seconde zone dont la colère ne mérite même pas une réponse politique ». Plus loin : « Bien sûr, des travaux ont été engagés pour désenclaver les quartiers et rénover l’habitat… mais le vrai travail symbolique reste à faire. Influencée par la culture américaine et l’héritage de la pensée coloniale, notre génération est racialisée (…) L’universalisme, s’il est un idéal à atteindre, sert parfois à masquer les différences de traitement appliquées aux minorités. Nous devons affirmer haut et fort notre nouvelle identité nationale, ouverte et multiculturelle, en réponse aux fractures de la société ». Julien Revenu conclut sur les mots que les jeunes issus des migrations veulent entendre : « Vous êtes la France ». À l’exclusion des autres bien entendu.