Rediffusion estivale 2020. Première diffusion le 25 janvier 2020
L’affaire Matzneff est venue rappeler une fois encore le lourd passé d’une presse de gauche, qui dans les années 70 et 80, toute-puissante, avait entrepris sans grande vergogne de repousser plus loin encore les bornes de la « libération sexuelle », en se livrant notamment à l’éloge de la pédophilie, ou en abandonnant au moins certaines de ses pages à des promoteurs des « amours enfantines ».Il faut reconnaître au quotidien Libération, l’organe de presse le plus impliqué alors, de s’être expliqué plusieurs fois, et excusé. Cependant la manière interroge.
Défense et illustration de la pédophilie dans Le Monde
C’est Le Monde qui ouvre les hostilités en publiant le 26 janvier 1977 un communiqué signé d’intellectuels prestigieux volant au secours de trois criminels, Bernard Dejager, Jean-Claude Gallien et Jean Burckhardt, cités à comparaître devant la cour d’assises des Yvelines pour « attentat à la pudeur sans violence sur des mineurs de quinze ans ». Arrêtés depuis l’automne 1973, les hommes ont demeuré plus de trois ans en détention provisoire, ce contre quoi les grands esprits de l’époque s’insurgent : « Trois ans de prison pour des caresses et des baisers, cela suffit ». Le texte, signé notamment par Aragon, Bernard Kouchner, André Glucksmann, François Chatelet, Jack Lang, Félix Guattari, Patrice Chéreau ou Daniel Guérin ne laisse aucune place à l’ambiguïté : « Si une fille de 13 ans a droit à la pilule, c’est pour quoi faire ? » Si la méthode judiciaire peut être critiquée, c’est une première brèche dans la condamnation habituelle de la pédophilie qui est creusée ce jour-là dans le « grand quotidien du soir ». La pétition est relayée illico par Libération.
Quelque temps plus tard, le 23 mai de la même année, c’est une lettre ouverte à la commission de révision du code pénal qui réclame que soient « abrogés ou profondément modifiés » les articles de loi concernant « le détournement de mineur », pour que soit reconnu le « droit de l’enfant et de l’adolescent à entretenir des relations avec les personnes de son choix ». Encore une fois paraphée par les grandes consciences de gauche que sont Louis Althusser, Jean-Paul Aron, Roland Barthes, André Baudry, Simone de Beauvoir, Jean-Claude Besret, Jean-Louis Bory, Bertrand Boulin, François Chatelet, Patrice Chéreau, Copi, Alain Cuny, Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Françoise Dolto, Michel Foucault, Félix Guattari, Michel Leiris, Gabriel Matzneff, Bernard Muldworf, Christiane Rochefort, Alain Robbe-Grillet, Jean-Paul Sartre, le docteur Pierre Simon et Philippe Sollers, et publiée dans Le Monde. Trente ans plus tard, Philippe Sollers affirme ne pas s’en souvenir et affirme : « Il y avait tellement de pétitions. On signait presque automatiquement ».
Pendant ce temps, dans l’émission « Dialogues » diffusée sur France Culture en avril 1978, le philosophe Michel Foucault défend l’idée insidieuse et sophiste qu’interdire la pédophilie pourrait progressivement glisser vers l’interdiction de l’homosexualité.
Changer la vie. Des enfants ?
Ou c’est encore dans Libération un pédophile emprisonné qui écrit qu’« il faut changer la vie ». Une autre fois, toujours dans le même journal et la même année, on défend un moniteur d’éducation physique condamné pour détournement de mineur. Libé estime que cette affaire est une « baudruche », qui va se dégonfler. Le journaliste interroge le juge d’instruction chargé de l’enquête : « Cet homme était-il violent avec les enfants? – Non, répond le juge, mais il les faisait pisser et chier dans les partouzes.» – Mais y a‑t-il proxénétisme ?», continue le journaliste. – Non, mais il leur faisait faire des horreurs, jouer avec leurs excréments, ils en mangeaient ». Le quotidien en profite pour conclure qu’il n’y a rien de répréhensible dans ce dossier et que la seule menace serait un retour de l’ordre moral.
Dans sa lancée, Libé ne désarme pas : le 20 juin 1981, il publie l’interview d’un homme, Benoît, titrée « Câlins enfantins ». Le chapô du papier est clair : « Quand Benoît parle des enfants, ses yeux sombres de pâtre grec s’embrasent de tendresse ». L’entretien est à l’avenant, que l’on hésite à le reproduire ici : « Je faisais un cunnilingus à une amie. Sa fille, âgée de cinq ans, paraissait dormir dans son petit lit mitoyen. Quand j’ai eu fini, la petite s’est placée sur le dos en écartant les cuisses et, très sérieusement, me dit «à mon tour, maintenant». Elle était adorable. Nos rapports se sont poursuivis pendant trois ans ».
Au milieu des années 80, l’esprit libertaire commence à retomber, et Libé se range à son tour, après Le Monde, d’autant que l’affaire du Corral est passée par là. Mais malgré les histoires de Dutroux et consorts, il faut attendre 2001 pour que le quotidien de Serge July tente un premier exercice de repentance. Celui-ci a lieu sous la plume de l’excellent Sorj Chalandon qui affronte l’horreur en face et ne nie rien des péchés passés.
Libéral libertaire un jour, libéral libertaire toujours ?
Mais sinon lui, et quoique le journal soit revenu plusieurs fois sur la question, on a la désagréable impression que c’est à chaque fois pour s’excuser sur le dos du temps et de l’époque. Ainsi Laurent Joffrin, directeur des rédactions, s’il reconnaît qu’autrefois le quotidien « accueillait en son sein un certain nombre de militants qui revendiquaient leur goût pour les relations sexuelles avec des enfants », se défausse en racontant que « Libération, enfant de Mai 1968, professait à l’époque une culture libertaire dirigée contre les préjugés et les interdits de l’ancienne société », ajoutant que cela portait « souvent sur des causes justes » mais conduisait aussi à promouvoir « parfois des excès fort condamnables, comme l’apologie intermittente de la pédophilie ».En somme, la presse de gauche libérale et libertaire, coupable mais avec des circonstances atténuantes.