Lundi 6 juin, Libération publiait une double page d’entretien avec François Ruffin dans lequel le réalisateur du documentaire « Merci patron ! » évoquait son programme politique et déroulait une critique en règle contre le PS.
Aussitôt l’entretien paru dans le quotidien, avec un appel de une, Ruffin se fendait, sur le site de Fakir, d’un billet où il dénonçait la censure de ses propos. « Au cours de nos échanges avec les journalistes, j’avais taclé régulièrement Laurent Joffrin, le directeur de Libération, et surtout Patrick Drahi, l’actionnaire principal, patron de SFR, L’Express, BFM, etc. Rien n’en a été retenu », a‑t-il écrit, évoquant une « censure/autocensure ».
Dans ses propos, il taclait Laurent Joffrin, directeur de Libé. Pour lui, c’est une « imposture » de voir ce dernier « parler sur les plateaux télé au nom de la gauche ». Concernant Drahi, actionnaire majoritaire du quotidien, il s’interrogeait : « Comment veut-on que la presse s’attaque sérieusement au blanchiment d’argent, à la folle finance, alors qu’elle est entre les mains de champions des holdings et des paradis fiscaux ? » Ces passages n’ont effectivement pas été retenus dans l’entretien publié.
Pourtant, il le reconnaît lui-même, « ayant relu l’interviou, je l’ai d’ailleurs acceptée. C’est une règle du jeu médiatique, qu’on peut néanmoins dénoncer : l’impossibilité de critiquer les patrons de presse dans la presse. » Ainsi Ruffin avait-il accepté de jouer le jeu avant de crier à la censure. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé Johan Hufnagel, co-directeur de la rédaction de Libération. Pour puremedias.com, il rappelle que les passages précités n’ont pas été intégrés « en accord » avec le réalisateur. « François Ruffin est libre de penser ce qu’il veut mais le papier avait un angle précis et cela n’y rentrait pas. On ne faisait pas un débat sur Laurent Joffrin ou Patrick Drahi », a‑t-il ajouté, rappelant que la rédaction de son journal était « libre » d’évoquer ce sujet, comme elle l’avait fait pendant le traitement des Panama Papers.
Même discours du côté des deux journalistes ayant réalisé l’entretien. Dans une réponse à Ruffin publiée dans Libé, ces derniers estiment que deux pleines pages « sur le fond, c’était trop beau ». Trop beau, et « tellement contraire à ce qu’il dénonce », à savoir une presse systématiquement aux ordres du pouvoir. Ainsi, dans une « espèce de réflexe pavlovien », Ruffin s’est senti obligé de savourer sa « petite entreprise de dénonciation » de la presse mainstream. Les deux hommes rappellent qu’étant donné la taille de l’entretien brut (quatre pages), il fallait de toute évidence couper.
« Ne soyons cependant pas hypocrites. Nous n’allons pas dire que nous étions ravis de ces passages qui tapaient sur notre média et notre directeur », confessent-ils cependant. Malgré tout, ils jugent que cela aurait mérité un vrai débat, face à Joffrin par exemple. De plus, pour eux, l’accusation liant les activités fiscales douteuses de Drahi à l’indépendance des journalistes de Libé ne tient pas la route. « En quoi la gestion de ses capitaux par notre actionnaire principal, aussi discutable soit-elle, empêcherait-elle les journalistes de Libé d’être impartiaux ? », interrogent-ils, un brin naïfs.
En résumé, bien que le procédé a pu surprendre les journalistes de Libé, le message délivré par le cinéaste quant à la dépendance des rédactions envers leurs propriétaires a le mérite d’être passé.