La défense, on pourrait dire la promotion, de la pédophilie par Libération remonte aux lendemains de la libération sexuelle. Depuis quelques années, le quotidien tente par à‑coups de modifier son image. Le sujet est d’autant plus important que le consentement est aujourd’hui une notion plus regardée qu’hier, et que l’on a établi qu’un enfant ne peut jamais consentir à une relation sexuelle avec un adulte. Check News, l’organe de Libération supposé faire du « fact-checking », mouille donc la chemise en répondant régulièrement aux questions des abonnés, qui s’offusquent à juste titre de ce qu’a pu défendre Libération. Il affirme notamment que le titre « a consacré plusieurs pages » à l’affaire Matzneff, « sans omettre d’aborder frontalement » les liens du média avec la pédophilie, dans une « salutaire introspection ». Pourtant, le mea culpa de Libération est loin d’être exhaustif, et suit en réalité les scandales qui éclatent les uns après les autres. Deuxième partie.
Gabriel Matzneff, et Daniel Cohn-Bendit
Nous sommes maintenant en 2004, trois ans après l’enquête de 2001 sur les petits arrangements de Libération avec la pédophilie, et le journal publie le portrait de Gabriel Matzneff. À en croire l’article, « Gaby » est un dandy séduisant et séducteur qui affole la bourgeoisie. C’est un « amateur de jeunes filles en fleur », qui « irrite une société au moralisme de plus en plus sourcilleux. » Une belle façon de dire que les parents qui se plaindraient des viols qu’ont subis leurs filles ne sont que des grenouilles de bénitier. D’ailleurs, on ne peut parler de viol dans le cas de Gabriel Matzneff, puisqu’il « n’aime rien tant que les mettre dans son lit. Mais seulement si elles en ont très envie… » « Ses ados à lui étaient volontaires et fières de l’être », martèle Libération. Alors comment qualifier Matzneff ? « Le néo-senior est resté fixé au stade ado et s’interdit tout accès d’autorité, tout abus de pouvoir. » Néo-senior, c’est joli, cela évoque un homme qui serait resté dans la fleur de l’âge malgré les ans, et surtout qui n’est pas réactionnaire, le péché mortel pour Libé. Le journal le dépeint comme une « cible parfaite » pour « une société gâteuse et infantile, qui voit des pédophiles partout. »
À la lecture du portrait, on finit par se demander si Gabriel Maztneff n’est pas l’homme idéal pour Libération. Il ne vieillit jamais, contrairement à ses « amantes », il « brandit à jamais les attitudes et les convictions » de la jeunesse, bref, c’est un nouveau Peter Pan. Ecrivain maudit, il aurait choisi le « dénuement », bien que son enfance ait profité d’un hôtel particulier à Neuilly et qu’il vive, adulte, à Saint-Germain des Prés. Il « méprise la gauche puritaine », ce que Libération ne peut qu’applaudir. En un mot comme en cent, en 2004, Gabriel Matzneff est la nouvelle égérie de Libération, le poète maudit qui se pose en opposition à une société trop rigide, ce qui doit lui donner le droit d’être défendu sans conditions par la gauche.
Daniel Cohn-Bendit, une chasse aux sorcières ?
Gabriel Matzneff est loin d’être le seul pédophile à être défendu par Libération pendant notre siècle, lorsque les Français sont un peu revenus de l’ivresse de mai 68. En 2001, certains découvrent, bien tard, les passages problématiques du grand Bazar, livre publié par Daniel Cohn-Bendit en 1975. A l’époque, il travaille dans des « crèches alternatives », donc avec de très jeunes enfants. Il écrit dans Le grand Bazar qu’il est arrivé plusieurs fois que « certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller » et que « s’ils insistaient, je les caressais. » Il s’agit toujours de la même thèse : les enfants ont des désirs sexuels qui ont le droit d’être satisfaits, et ils peuvent consentir à des relations avec les adultes. Une idée qui évacue complètement le fait que les enfants ne mettent pas les mêmes réalités derrière les mots des adultes, et qu’ils évoluent dans un monde tout à fait différent. Un enfant qui pose une fourchette sur les yeux de quelqu’un n’a pas pour intention de lui crever les yeux.
Daniel Cohn-Bendit, adulte parfaitement conscient de ce que sont des relations sexuelles et probablement au fait de la psychologie enfantine, puisqu’il travaillait dans une crèche, a donc choisi d’avoir des relations sexuelles avec des enfants. Il se défend pourtant d’être pédophile auprès de Libération, qui reprend complaisamment sa défense et précise que ni les parents, ni les enfants, n’ont porté plainte contre lui. Prudent, le journal évite de demander leur avis à des pédopsychologues et pédopsychiatres qui risqueraient peut-être de mettre en doute la capacité d’un enfant de moins de cinq ans à consentir à une relation sexuelle dont il est incapable d’appréhender toutes les dimensions.
Comment la gauche fait de ses vices une règle commune
Pour comprendre comment Libération voyait la pédophilie, en supposant que le titre ait changé d’avis, il suffit de lire la tribune de Simone Korff-Sausse, psychanalyste et chargée d’enseignement à Paris VII, publiée le 2 juillet 1997. Elle commençait par l’affirmation que « la pulsion pédophile existe en chacun de nous. » Ainsi, d’après elle, « tous les adultes qui s’occupent d’enfants ont à s’interroger sur leurs motivations, leurs attitudes, leurs limites, leur vigilance et leur rigueur. » Soit. Une baby-sitter peut être motivée par l’envie de rendre service, de gagner de l’argent, d’acquérir des compétences de puériculture, ou simplement avoir envie de jouer avec des enfants. L’affirmation de Simone Korff-Sausse insinue cependant que la pulsion sexuelle pour des mineurs est quelque part dans cette liste, et pas nécessairement en dernière position. Une technique classique à gauche, qui consiste à faire croire que ses propres vices sont en réalité cachés en chacun.
Simone Korff-Sausse martèle tout au long de sa tribune que cette pulsion pédophile existe chez chacun de nous, y compris envers les bébés que nous aurions « envie de croquer, embrasser, dévorer, câliner, sucer, malaxer, pénétrer, triturer. » N’allez pas croire que ces idées vous dégoûtent. Non. Pour Libération, elles vous excitent. Au reste, elles ne sont pas à l’œuvre que dans les écoles et les lieux où l’on trouve des enfants, mais dans les rues, plus précisément sur les panneaux d’affichage publicitaire. Il est habituel, pour vendre une crème ou des couches, d’afficher un bébé nu sur la poitrine de sa mère.
Une façon d’illustrer la douceur ou le bien-être suscité par le produit que l’on veut vendre. D’après Simone Korff-Sausse, ces images sont « utilisées d’une manière équivoque pour susciter des besoins de consommation en exaltant le pouvoir de séduction de l’enfant, par une utilisation de la beauté troublante de son corps et de ce qu’il nous inspire. » Le procédé à l’œuvre dans cette thèse pour le moins étrange est classique à gauche : tordre la réalité pour faire croire à ceux qui nous lisent qu’ils portent en eux le même vice que les auteurs, et que dès lors, ceux-ci ne sont pas condamnables. En l’occurrence, on pervertit la tendresse que l’on ressent pour un enfant, faisant croire que, parce que l’on voudrait le câliner, on voudrait le violer.
Voir aussi : Libération et la pédophilie, une longue histoire. Première partie