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Libération prend le temps de se cirer les pompes

12 janvier 2019

Temps de lecture : 6 minutes
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Libération prend le temps de se cirer les pompes

Temps de lecture : 6 minutes

Que le Libération de Laurent Joffrin soit un journal social libéral est une évidence que l’OJIM évoquait au mois de mai 2018, en analysant les Unes du quotidien. Pour terminer l’année 2018, Libération n’a ainsi pas manqué à sa réputation en affichant une dernière Une toute en autosuffisance, une caractéristique du monde libéral culturel.

Ce numéro du quo­ti­di­en daté des 31 décem­bre et 1er jan­vi­er 2018 pose ain­si que l’événement pre­mier de ce jour, la Une à cou­vrir par des jour­nal­istes, serait « le meilleur de Check­News en 2018 ». Check­News, l’OJIM s’est déjà penché sur cet espace dédié à la véri­fi­ca­tion par des jour­nal­istes de Libéra­tion de la fia­bil­ité d’informations en cir­cu­la­tion. Le principe étant que n’importe qui peut pos­er une ques­tion à ce ser­vice, une équipe de sept jour­nal­istes œuvrant à don­ner des répons­es. Pub­lic­ité déguisée ? Pas de doute : « Flo­rilège des sujets qui ont mar­qué l’année, et plongée dans les couliss­es de notre plate­forme ». Les choses sont dites sans ambiguïté : Libéra­tion pro­pose un reportage sur lui-même.

Autopromotion en couverture de Libération

Libéra­tion fait donc, en ce dernier numéro de 2018, la pro­mo­tion de l’un des ser­vices qu’il pro­pose, par le biais d’une com­pi­la­tion des « ques­tions les plus fines et les plus folles », fines et folles étant des mots loin d’être anodin en ces lieux, du moins pour qui est au fait de l’histoire sul­fureuse des pages de Libéra­tion, pages longtemps sex­uées. Auto­pro­mo­tion et même auto­glo­ri­fi­ca­tion, ce dont l’éditorial de Jof­frin, qui mérite d’être cité en entier tant il con­tient de lieux com­muns atten­dus, est la par­faite illustration :

« Un ray­on d’espoir en cette som­bre fin d’année: le suc­cès de Check­News, notre ser­vice de véri­fi­ca­tion de l’info, mon­tre qu’il existe encore en France des inter­nautes nom­breux et curieux qui préfèrent l’enquête à la rumeur, l’article infor­mé à l’accusation sans preuves, la pré­ci­sion factuelle à l’à peu-près du buzz, le fait au préjugé, la démoc­ra­tie à la dém­a­gogie. On finis­sait par douter. La pro­liféra­tion des fake news sur la Toile lais­sait penser que les men­songes en ligne, décidé­ment, allaient noy­er l’info étayée, que les « vérités alter­na­tives » allaient chas­s­er la vérité tout court, comme la mau­vaise mon­naie chas­se la bonne, que les vitupéra­tions de l’extrême droite et de l’extrême gauche allaient devenir la nou­velle doxa de la scène publique. Il n’en est rien. Sur un an, près de 2000 ques­tions ont été posées à Check­News par des dizaines de mil­liers d’internautes (ils sont sou­vent nom­breux à pos­er la même ques­tion) et reçu une réponse cir­con­stan­ciée. Ain­si, cet arti­sanat impar­fait qu’est le jour­nal­isme, et dont l’approche hon­nête des faits est la reli­gion séculière, démon­tre non seule­ment son util­ité, mais aus­si son audi­ence. Il repose sur une con­vic­tion issue des Lumières : dans une société libre, ouverte, plurielle, les opin­ions, les inter­pré­ta­tions, les idéolo­gies con­cur­rentes, les philoso­phies opposées, les reli­gions les plus var­iées ont par­faite­ment droit de cité. Mais cette diver­sité sup­pose, à moins de faire régress­er la démoc­ra­tie, qu’on s’accorde au moins sur une approche rationnelle de la réal­ité factuelle, qui serve de référence et de socle au débat pub­lic. Les dém­a­gogues et les dog­ma­tiques cherchent – entre autres par le dén­i­gre­ment sys­té­ma­tique du jour­nal­isme– à se libér­er de cette con­trainte. L’expérience de Check­News mon­tre qu’ils n’ont pas gag­né d’avance. »

Le lecteur peine à croire que ce ne soit pas une blague de fin d’année …

Les questions retenues pour ce florilège ?

Sous le titre « Un an de chas­se aux rumeurs », ce sont les sup­posées immenses qual­ités de Check­News qui sont mis­es en avant par… Check­News, l’entité sig­nant l’article de présen­ta­tion, à sa pro­pre glo­ri­ole. Une struc­ture « détecteur de ten­dances, de peurs, de pra­tiques et de mou­ve­ments » qui aurait repéré dès le début la nais­sance, entre autres, du mou­ve­ment des gilets jaunes. Comme pour l’éditorial, la métaphore religieuse (sec­taire ?) domine, ain­si au sujet de ce fait véri­fié par Libéra­tion/Checknews, celui d’un gilet jaune tué sur les réseaux soci­aux et « que nous avons ressus­cité ». Sept pages d’auto regard sur la beauté, la qual­ité, la néces­sité, l’importance etc de son pro­pre tra­vail, de mémoire d’observateur des médias l’OJIM n’avait encore jamais croisé une telle autosat­is­fac­tion, laque­lle, vu le vocab­u­laire reli­gio-sec­taire en usage dans ces sept pages, pose ques­tion sur l’état de sur­charge men­tale de la rédac­tion. L’un des arti­cles est forte­ment révéla­teur, il est inti­t­ulé « Quand Check­news répond aux ques­tions sur Libé ». Per­son­ne n’en sera sur­pris, l’article vise sim­ple­ment à démon­tr­er que le quo­ti­di­en est trans­par­ent (c’est le mot employé), une trans­parence qui serait même « l’une des mar­ques de fab­rique du jour­nal depuis sa créa­tion »? Et plus encore !

Laurent Joffrin avoue sans avouer tout en avouant en pleine transparence

Ren­dez-vous compte ! Même Jof­frin « s’est tou­jours plié de bonne grâce aux ques­tions de Check­News, même lorsque celles-ci étaient plus périlleuses. Comme cette fois où, à la machine à café, nous lui avons demandé s’il avait bien relu et remanié le dernier livre de François Hol­lande, Les Leçons du pou­voir. Mais aus­si s’il avait, par mégarde, envoyé l’introduction de ce même livre à l’Élysée, comme l’avait affir­mé quelques min­utes plus tôt France Inter dans la mati­nale (…) Le directeur de la rédac­tion assure avoir sim­ple­ment repa­touil­lé l’introduction du livre. Oubliant sim­ple­ment au pas­sage de nous pré­cis­er que l’éditrice du livre était aus­si sa femme. » On se frotte de nou­veau les yeux devant une telle lec­ture et tant d’aveux en creux, quant aux pra­tiques du monde libéral lib­er­taire, celui de Check­News, de Libéra­tion, de France Inter…Lisons donc les his­toires de dis­cus­sions près de la machine à café de Libéra­tionFrance Inter bal­ance donc une fak­e­news… Jof­frin est bien le nègre d’un ancien prési­dent… il l’est au ser­vice de sa pro­pre femme… Check­News est fier d’obtenir des répons­es du patron… tout cela serait gage de transparence.

C’est surtout gage de l’extraordinaire décalage d’avec le réel dans lequel vivent ces médias, et ce décalage n’est pas sans rap­pel­er la fameuse Une de Libéra­tion par laque­lle le quo­ti­di­en en appelait à la diver­sité, avec une pho­togra­phie de l’ensemble de sa rédac­tion, laque­lle mon­trait juste­ment com­bi­en la diver­sité en était absente. Ce à quoi, ain­si que le lien précé­dent le mon­tre, Check­news répondait qu’évidemment non… Libéra­tion, Guy Debord aurait adoré : de la capac­ité à vivre dans une image fausse du réel que l’on croit fer­me­ment être le vrai.

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