Que le Libération de Laurent Joffrin soit un journal social libéral est une évidence que l’OJIM évoquait au mois de mai 2018, en analysant les Unes du quotidien. Pour terminer l’année 2018, Libération n’a ainsi pas manqué à sa réputation en affichant une dernière Une toute en autosuffisance, une caractéristique du monde libéral culturel.
A la une de @libe ce lundi 31 décembre :
Le meilleur de @CheckNewsfr https://t.co/TozdLdIYlF pic.twitter.com/FMo4raXwgB— Libération (@libe) December 30, 2018
Ce numéro du quotidien daté des 31 décembre et 1er janvier 2018 pose ainsi que l’événement premier de ce jour, la Une à couvrir par des journalistes, serait « le meilleur de CheckNews en 2018 ». CheckNews, l’OJIM s’est déjà penché sur cet espace dédié à la vérification par des journalistes de Libération de la fiabilité d’informations en circulation. Le principe étant que n’importe qui peut poser une question à ce service, une équipe de sept journalistes œuvrant à donner des réponses. Publicité déguisée ? Pas de doute : « Florilège des sujets qui ont marqué l’année, et plongée dans les coulisses de notre plateforme ». Les choses sont dites sans ambiguïté : Libération propose un reportage sur lui-même.
Autopromotion en couverture de Libération
Libération fait donc, en ce dernier numéro de 2018, la promotion de l’un des services qu’il propose, par le biais d’une compilation des « questions les plus fines et les plus folles », fines et folles étant des mots loin d’être anodin en ces lieux, du moins pour qui est au fait de l’histoire sulfureuse des pages de Libération, pages longtemps sexuées. Autopromotion et même autoglorification, ce dont l’éditorial de Joffrin, qui mérite d’être cité en entier tant il contient de lieux communs attendus, est la parfaite illustration :
« Un rayon d’espoir en cette sombre fin d’année: le succès de CheckNews, notre service de vérification de l’info, montre qu’il existe encore en France des internautes nombreux et curieux qui préfèrent l’enquête à la rumeur, l’article informé à l’accusation sans preuves, la précision factuelle à l’à peu-près du buzz, le fait au préjugé, la démocratie à la démagogie. On finissait par douter. La prolifération des fake news sur la Toile laissait penser que les mensonges en ligne, décidément, allaient noyer l’info étayée, que les « vérités alternatives » allaient chasser la vérité tout court, comme la mauvaise monnaie chasse la bonne, que les vitupérations de l’extrême droite et de l’extrême gauche allaient devenir la nouvelle doxa de la scène publique. Il n’en est rien. Sur un an, près de 2000 questions ont été posées à CheckNews par des dizaines de milliers d’internautes (ils sont souvent nombreux à poser la même question) et reçu une réponse circonstanciée. Ainsi, cet artisanat imparfait qu’est le journalisme, et dont l’approche honnête des faits est la religion séculière, démontre non seulement son utilité, mais aussi son audience. Il repose sur une conviction issue des Lumières : dans une société libre, ouverte, plurielle, les opinions, les interprétations, les idéologies concurrentes, les philosophies opposées, les religions les plus variées ont parfaitement droit de cité. Mais cette diversité suppose, à moins de faire régresser la démocratie, qu’on s’accorde au moins sur une approche rationnelle de la réalité factuelle, qui serve de référence et de socle au débat public. Les démagogues et les dogmatiques cherchent – entre autres par le dénigrement systématique du journalisme– à se libérer de cette contrainte. L’expérience de CheckNews montre qu’ils n’ont pas gagné d’avance. »
Le lecteur peine à croire que ce ne soit pas une blague de fin d’année …
Les questions retenues pour ce florilège ?
Sous le titre « Un an de chasse aux rumeurs », ce sont les supposées immenses qualités de CheckNews qui sont mises en avant par… CheckNews, l’entité signant l’article de présentation, à sa propre gloriole. Une structure « détecteur de tendances, de peurs, de pratiques et de mouvements » qui aurait repéré dès le début la naissance, entre autres, du mouvement des gilets jaunes. Comme pour l’éditorial, la métaphore religieuse (sectaire ?) domine, ainsi au sujet de ce fait vérifié par Libération/Checknews, celui d’un gilet jaune tué sur les réseaux sociaux et « que nous avons ressuscité ». Sept pages d’auto regard sur la beauté, la qualité, la nécessité, l’importance etc de son propre travail, de mémoire d’observateur des médias l’OJIM n’avait encore jamais croisé une telle autosatisfaction, laquelle, vu le vocabulaire religio-sectaire en usage dans ces sept pages, pose question sur l’état de surcharge mentale de la rédaction. L’un des articles est fortement révélateur, il est intitulé « Quand Checknews répond aux questions sur Libé ». Personne n’en sera surpris, l’article vise simplement à démontrer que le quotidien est transparent (c’est le mot employé), une transparence qui serait même « l’une des marques de fabrique du journal depuis sa création »? Et plus encore !
Laurent Joffrin avoue sans avouer tout en avouant en pleine transparence
Rendez-vous compte ! Même Joffrin « s’est toujours plié de bonne grâce aux questions de CheckNews, même lorsque celles-ci étaient plus périlleuses. Comme cette fois où, à la machine à café, nous lui avons demandé s’il avait bien relu et remanié le dernier livre de François Hollande, Les Leçons du pouvoir. Mais aussi s’il avait, par mégarde, envoyé l’introduction de ce même livre à l’Élysée, comme l’avait affirmé quelques minutes plus tôt France Inter dans la matinale (…) Le directeur de la rédaction assure avoir simplement repatouillé l’introduction du livre. Oubliant simplement au passage de nous préciser que l’éditrice du livre était aussi sa femme. » On se frotte de nouveau les yeux devant une telle lecture et tant d’aveux en creux, quant aux pratiques du monde libéral libertaire, celui de CheckNews, de Libération, de France Inter…Lisons donc les histoires de discussions près de la machine à café de Libération… France Inter balance donc une fakenews… Joffrin est bien le nègre d’un ancien président… il l’est au service de sa propre femme… CheckNews est fier d’obtenir des réponses du patron… tout cela serait gage de transparence.
C’est surtout gage de l’extraordinaire décalage d’avec le réel dans lequel vivent ces médias, et ce décalage n’est pas sans rappeler la fameuse Une de Libération par laquelle le quotidien en appelait à la diversité, avec une photographie de l’ensemble de sa rédaction, laquelle montrait justement combien la diversité en était absente. Ce à quoi, ainsi que le lien précédent le montre, Checknews répondait qu’évidemment non… Libération, Guy Debord aurait adoré : de la capacité à vivre dans une image fausse du réel que l’on croit fermement être le vrai.