Ojim.fr
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Liberté de la presse : la revue Compact interdite en Allemagne

26 juillet 2024

Temps de lecture : 4 minutes
Accueil | Veille médias | Liberté de la presse : la revue Compact interdite en Allemagne

Liberté de la presse : la revue Compact interdite en Allemagne

Temps de lecture : 4 minutes

Dans un contexte politique tendu en Allemagne alors que les partis considérés comme populistes gagnent du terrain à droite et à gauche, la revue Compact a été interdite au motif de ce que l’on nommerait en France une incitation à la haine.

Compact, 40.000 exemplaires par mois

Accusé d’at­tis­er la « haine con­tre les per­son­nes juives et les per­son­nes issues de l’im­mi­gra­tion », le mag­a­zine alle­mand Com­pact a été inter­dit par le min­istre fédéral de l’In­térieur, Nan­cy Faeser.

Cette dernière s’est félic­itée dans une vidéo postée sur ses réseaux soci­aux : « Notre inter­dic­tion est un coup dur porté à la scène de l’ex­trême droite. ».

Cette mem­bre du SPD (par­ti social-démoc­rate, gauche alle­mande) estime que la revue agis­sait « de manière inde­scriptible con­tre les Juifs, con­tre les musul­mans et con­tre notre démocratie ».
L’arsenal lourd a été déployé pour l’occasion avec des perqui­si­tions dans les locaux du jour­nal et la con­fis­ca­tion du matériel. Fondé en 2010, Com­pact revendique 40 000 ventes par mois.

Voir aus­si : En Alle­magne : Nan­cy Faeser, min­istre de l’Intérieur et antifa (1/2)

Un positionnement international qui dérange

Son rédac­teur en chef Jür­gen Elsäss­er, 67 ans avait pu pren­dre des posi­tions orig­i­nales de ce côté de l’échiquier poli­tique en se félic­i­tant par exem­ple de l’élection de Mah­moud Ahmadine­jad en 2019.

Très cri­tique des États-Unis et de leur poli­tique au Proche-Ori­ent, il est égale­ment un sou­tien des man­i­fes­ta­tions en faveur de la paix en Ukraine.

C’est prob­a­ble­ment plus du côté de ses pris­es de posi­tion inter­na­tionales qu’il con­vient d’envisager la cen­sure alle­mande. Favor­able à Moscou et cri­tique vis-à-vis de l’OTAN, le jour­nal sou­tient égale­ment les nation­al­istes alle­mands de l’AfD sur qui s’abat une dure répres­sion depuis plusieurs mois. Arrivée en deux­ième posi­tion der­rière la droite (CDU) mais devant le SPD aux élec­tions européennes de juin 2024, la droite patri­ote et sou­verain­iste alle­mande voit ses mem­bres et ses sou­tiens traqués.

Le jour­nal était cepen­dant déjà visé avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie puisqu’en 2021 les ser­vices de ren­seigne­ments intérieurs alle­mands avaient déjà classé la société qui détient le jour­nal comme « extrémiste assuré, nation­al­iste et hos­tile aux minorités ». La ligne du jour­nal s’apparente en réal­ité à celle de ce que l’on nomme la nou­velle droite alle­mande et qui est inspirée du mou­ve­ment völkisch qui préex­iste large­ment au nation­al-social­isme. C’est ici le spec­tre du III Reich qui est injuste­ment agité comme une men­ace, pré­texte à l’interdiction.

Comme pour un cellule terroriste islamiste

Le site de Com­pact a été rapi­de­ment mis hors-ligne et le matériel de la rédac­tion embar­qué par une équipe d’agents de la « Polizei » cagoulés comme lors d’une perqui­si­tion chez un deal­er ou dans une cel­lule ter­ror­iste islamiste. Pas de kalach­nikov ou de dra­peaux dou­teux ici mais des tables, des chais­es et des ordinateurs.

Dans sa vidéo explica­tive de cette mesure, le min­istre de l’Intérieur se félicite que cette inter­dic­tion « mon­tre que nous agis­sons égale­ment con­tre les incen­di­aires intel­lectuels qui attisent un cli­mat de haine et de vio­lence à l’é­gard des per­son­nes en fuite et des migrants et qui veu­lent venir à bout de notre État démoc­ra­tique ». Une jus­ti­fi­ca­tion qui fleure bon le délit d’opinion dans un pays qui n’a pour­tant con­nu que des atten­tats islamistes au cours des dix dernières années. Si une ten­ta­tive de coup d’État provenant d’une « cel­lule d’extrême droite » aurait été déjouée par les autorités fédérales en 2022, aucun pas­sage à l’acte n’a été constaté.

Des émules en France ?

Reste désor­mais à savoir si la cen­sure alle­mande peut faire des émules en France. La loi con­tre les ingérences dont la mise en appli­ca­tion devrait avoir lieu avant l’été 2025 don­nera les moyens d’un plus grand con­trôle de l’État sur des hypothé­tiques inter­férences étrangères dans les médias et pour­rait servir d’outil pour réduire au silence des médias qui ne seraient pas alignés sur les posi­tions otani­ennes — si le con­flit en Ukraine venait à s’intensifier ou sim­ple­ment à se poursuivre.

Dans la recom­po­si­tion médi­a­tique, opérée avec l’apparition des médias alter­nat­ifs essen­tielle­ment en ligne, au cours des dix dernières années et désor­mais avec le groupe Bol­loré qui con­tre­bal­ance l’influence tou­jours dom­i­nante de la galax­ie pro­gres­siste dans les médias, les ingré­di­ents d’une cen­sure pour­raient être réu­nis ; d’autant qu’en matière de cen­sure, le cor­po­ratisme a ten­dance à s’effacer sérieuse­ment lorsque le jour­nal­iste penche un peu à droite.

Voir aus­si : Le syn­di­cat des jour­nal­istes alle­mands pour la censure