Nous reprenons un article du blog (digital) de la revue Éléments, paru le 26 novembre 2020 sous la signature de François Bousquet. Un papier qui nous semble significatif de l’état de la liberté d’expression en France fin 2020.
« J’étais au procès de Renaud Camus, l’ambiance n’était pas vraiment Charlie »
Quatre mois de prison avec sursis requis contre Renaud Camus. Voilà le prix de la liberté d’expression en France ! L’objet du délit ? Un tweet de 280 caractères, génial il est vrai. « Une boîte de préservatifs offerte en Afrique c’est trois noyés en moins en Méditerranée, cent mille euros d’économie pour la Caf, deux cellules de prison libérées et trois centimètres de banquise préservés. » On n’embastille plus Voltaire ? Détrompez-vous.
Le 25 novembre 1970, Mishima se donnait la mort par seppuku. Cinquante ans plus tard, le 25 novembre 2020, allait-on assister à la mise à mort d’un autre écrivain, Renaud Camus, convoqué au tribunal judiciaire de Paris. Inauguré en 2018, ce tribunal archi-moderne est une horreur architecturale sortie de Buffet froid, le film de Bertrand Blier. Il domine le quartier flambant neuf des Batignolles. Tout ici est sinistrement neuf : le quartier, le tribunal, la population. Une sorte de raccourci saisissant du remplacisme global, loin, très loin, des boiseries de l’ancienne XVIIe chambre du Palais de justice, sur l’île de la Cité. Une heure au moins, rien que pour se garer, pour trouver l’entrée. Bienvenue dans le nouveau Paris d’Anne Hidalgo. Jean-Yves Le Gallou (de Polémia, de l’Institut Iliade, d’I‑Média et j’en oublie), que je retrouve, compare le tribunal à la « Loubianka », QG de toutes les polices politiques soviétiques. Il a raison, c’est la Loubianka en Plexiglass. Pas un tribunal, une usine.
L’audience se tient dans la salle 422, j’allais dire la chambre 422, pour parler comme Renaud Camus (voir son Discours de chambre, sur ses procès à la XVIIe). La salle est froide, alignant des rangées de bancs blancs. On se croirait dans un gymnaste Paul Vaillant-Couturier de la couronne parisienne ou une salle d’attente de la SNCF : chacun attend son tour, mais il n’y a pas de tickets. On ne sait pas si on va en prendre pour une heure ou trois heures. Le confinement interdit la présence du public. Il n’y a personne, sauf la clique des parties civiles, pas moins de six, toutes mobilisées contre Renaud Camus : la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), J’accuse… ! Action internationale pour la justice (AIPJ), le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) et la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) – la meute des chiens de garde et des chasseurs de prime.
Renaud Camus est mauvais pour la santé
Nous ne sommes que deux « journalistes », le merveilleux Jean-Yves et moi. Les autres journaleux, absents. Pas un pour sauver l’autre. La honte, quoi ! La liberté d’expression, la liberté d’expression, ressassent-ils jusqu’à asséchement des glandes salivaires, mais la liberté d’expression, c’est comme les champignons, le cholestérol et les potirons : il y a la bonne et la mauvaise. Charlie Hebdo c’est bon, Renaud Camus c’est mauvais, toxique même. Consommer du Renaud Camus n’est pas sans risque pour la santé mentale. Ses livres ont des pouvoirs sombres et maléfiques. Si par mégarde vous vous aventuriez à en lire un, Le Grand Remplacement par exemple, sachez par avance que vous encourez le risque de vous retrouver dans la peau d’un célèbre loup-garou à moustaches des années trente.
On l’a tellement démembrée, cette bonne vieille fille publique qu’est la liberté d’expression, tellement désossée, décharnée, depuis un demi-siècle, depuis la loi Pleven de 1972, depuis la loi Gayssot, depuis la loi Taubira. La liberté d’expression aujourd’hui, ce n’est plus qu’un moignon repoussant. Ce moignon, c’est un dessin de Charlie, baveux, dégueu, chassieux, du genre : le pape enculant un enfant. Et je devrais m’extasier sur ça ? Allez vous faire foutre ! Qu’on m’explique la différence entre un dessin de haine et un discours de haine, quand bien même cette haine convoquée à tout bout de champ est une ineptie. Où finit la liberté d’expression et où commence le discours de haine ? Voltaire s’y retrouverait-il ? Il est permis d’en douter. Qu’on me comprenne, je suis pour la liberté d’expression pleine et entière, mais pourquoi la réserver exclusivement à Charlie ? Et pas à Renaud Camus. Allez savoir.
Son avocat, le redoutable Yohann Rimokh, a demandé à ce que le procès soit reporté, confinement oblige. Autant parler à un sourd. Résultat : deux fois 800 km pour apprendre que le ministère public réclame contre vous quatre mois de prison avec sursis, 5 000 euros d’amendes, plus les étrennes destinées aux parties civiles. Ne manquerait plus qu’ils l’envoient en cellule de déconfinement à Fleury-Mérogis. C’est un récidiviste. Son casier n’est pas vierge, il a récolté deux mois de prison avec sursis, le 16 janvier dernier, au tribunal d’Auch, pour des discours prononcés à Colombey et à Baix. Pour couronner le tout, Amazon, nouveau censeur, vient de dépublier Le Grand Remplacement.
Renaud Camus est in-nocent
Renaud Camus est là, masqué. Il nous adresse, à Jean-Yves Le Gallou et à moi, un petit signe de la main. La dernière fois que je l’ai vu, c’était aux obsèques de Jean Raspail en l’église parisienne de Saint-Roch, à la mi-juin. Il était terriblement affaibli par la Covid, blanchi, émacié, adossé à un pilier, comme Claudel, peut-être converti. À quoi ? À une illumination soudaine. La beauté intérieure, la discipline spirituelle, l’ascèse de tous les instants. Est-ce que j’ose : il était ce jour-là rayonnant en dépit de la fatigue. Tant pis pour les butors à plafond bas, les vulgaires. Que comprendraient-ils à la beauté, le dieu de Camus ?
Aujourd’hui, il est tel qu’en lui-même, suprêmement délicat, jusqu’à l’étouffement de soi, jusqu’à l’épure, jusqu’au cristal. Sa sidérante clarté d’expression est d’une espèce particulière, elle est lunaire, diaphane, atonale, si le mot avait un sens ici. Il attend patiemment son tour, comme un enfant sage, mains croisées. C’est ainsi du reste qu’il se présentera à la barre, pareil à un écolier, à un martyr, à un ascète adepte de la non-violence. Désarmé assurément, inébranlable aussi. Il faut toujours prendre au sérieux les hommes tels que lui, habités par une exigence de beauté. Comment pourrait-il être coupable de ce dont on l’accable, lui le président du parti de l’in-nocence, lui qui est fondamentalement in-nocent ? La nocence, c’est étymologiquement ce qui nuit. L’in-nocence : ce qui nuit à ceux qui nuisent.
La mauvaise surprise du jour, c’est que la présidente du tribunal n’est rien d’autre que Sophie Combes qui fut secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature à l’époque du « mur des cons ». Une anti-conne donc, expressément tapageuse, dont on ne doute pas de l’impartialité !
La bonne surprise, c’est la présentation de l’œuvre de Camus par la juge assesseur, sans hostilité, consciente d’avoir face à elle un écrivain, un grand manifestement, qui outrepasse les divisions partisanes. C’est nouveau. D’ordinaire les juges sont incultes et vindicatifs. La plupart d’entre eux ne connaissent de Renaud Camus que Le Grand Remplacement, pardon : l’auteur de la « théorie complotiste » du Grand Remplacement. « Une espèce de youtubeur à la mode, une sorte d’Alain Soral », s’amuse auprès de nous Me Rimokh.
Le « tweet banquise sur le gril »
Tout le contraire de notre juge assesseur. Elle semble avoir conscience que le tribunal a convoqué ce jour-là la littérature française en personne. Depuis quand un tribunal doit-il statuer sur le génie d’un auteur ? Embastille-t-on Voltaire ? Arouet peut-être, pas Voltaire. Camus n’est plus Arouet depuis longtemps. Comment résumer cette œuvre-fleuve ? On n’en connaît généralement que des petits bouts, comme les méandres d’un cours d’eau. Dieu sait si pourtant cette œuvre est canalisée, ordonnée, majestueuse. C’est la plus grande entreprise littéraire contemporaine, la plus ambitieuse, la seule qui fasse écho, dans sa tonalité et sa totalité, au monument aux morts des grands écrivains français.
Si du reste il y a un auteur dont on est à peu près sûr qu’on le lira dans cent ans, c’est lui. On aura oublié Twitter, mais on se rappellera des tweets de Renaud Camus. Ciselé, celui qui lui vaut de passer devant la 17e chambre correctionnelle est taillé dans le quartz de sa langue transparente, somptueuse, limpide, cristalline. C’est beau, imparablement beau ; drôle, indéniablement drôle. « Une boîte de préservatifs offerte en Afrique c’est trois noyés en moins en Méditerranée, cent mille euros d’économie pour la Caf, deux cellules de prison libérées et trois centimètres de banquise préservés. » Son auteur l’appelle le « tweet banquise ». Il est réfrigérant.
L’avocat de Camus pulvérise l’adversaire
Me Rimokh a été de bout en bout splendide. Il a survolé les débats. Le fond et la forme, la littérature et le droit – la classe, dans les deux sens du mot : avoir la classe et faire la classe de droit à ses confrères. Franchement, les avocats des parties civiles, il les a broyés. Pfuit ! Il a peut-être même démoli leur fonds de commerce, si cela se pouvait. Car si jamais le premier point soulevé par lui, technique, procédural, devait faire jurisprudence, la liberté d’expression retrouverait peut-être en France droit de citée. Qu’a‑t-il pointé ? L’inflation des parties civiles : six, autant de métastases, autant d’abus de pouvoir, représentées par quatre avocats médiocres, des nullités du barreau inconnues et destinées à le rester. Me Rimokh a été chercher sa réfutation dans les débats parlementaires de 1972, quand la loi Pleven fut votée. Certes, le législateur a alors délibérément voulu donner un droit d’agir aux associations contre le racisme, convient Rimokh, mais sous réserve qu’elles ne se multiplient pas et qu’elles agissent à bon escient, faute de quoi il y aurait abus du droit d’action, abus en tant que tel sanctionnable. Ce qui autorise Me Rimokh a demandé au tribunal d’en débouter au moins cinq, moyennant des dommages et intérêts pour son client.
En finir avec le charognage associatif
De fait, que vient faire l’UEJF dans ce procès ? Sa présidente, une certaine Noémie Madar, est même venue sangloter à la barre. Mais que fait-elle là ? À quel titre ? Renaud Camus s’est-il adressé dans son tweet aux étudiants juifs de France ? C’est elle, le procureur ? Il faut dire que l’UEJF n’est pas servie. Son avocat, une authentique nullité, Me Stéphane Lilti, une sorte de compteur Lilti de la pleurniche, aura passé son temps à interrompre la plaidoirie de Maître Rimokh, au point de se faire rappeler à l’ordre par le tribunal. Résultat : les avocats des parties civiles ont pris cher. À croire que les arguments de Yohann Rimokh ont porté. À la fin de l’audience, ses confrères n’étaient-ils pas unanimement outrés, eux qui vivent sur le fromage du harcèlement judiciaire et de l’accusation de racisme ? Le Liltiti trépignait ; l’avocate de la Licra se tenait prête à expulser tous ses collègues pour peu que la LICRA, doyenne du charognage associatif, soit la seule partie civile reconnue.
Au sortir de l’audience, Rimokh nous a avoué que, si jamais ses conclusions étaient retenues, c’est tout un système d’extorsion de dommages et intérêts qui menacerait de tomber.
« C’est leur business. Ce sont des fonctionnaires du droit qui produisent, quelles que soient les circonstances et les acteurs, les mêmes plaidoiries standardisées. »
Une usine, on vous le dit.
Rendez-vous le 10 février 2021 pour le jugement.
D’ici là, lisez Renaud Camus.