Entretien : cinq questions à Romaric Sangars, rédacteur en chef des pages Culture du magazine L’Incorrect.
Observatoire du journalisme : Romaric Sangars, comment devient-on rédacteur en chef Culture du nouveau mensuel L’Incorrect qui sort son cinquième numéro ?
Mon expérience dans le milieu culturel est déjà ancienne, puisque j’ai commencé d’écrire pour le magazine Chronic’art en 2003, époque où sévissaient plusieurs revues, parfois devenues mythiques, depuis, comme Immédiatement, ou Cancer ! De ces trois revues très différentes, mais toutes épinglées comme « anars de droite » par Philippe Nassif en ce début de millénaire où la chasse au réac’ était déjà un sport national, proviennent, par exemple, quelques uns des collaborateurs de l’actuel Incorrect. Son rédacteur en chef, Jacques de Guillebon, s’il est connu comme un fougueux essayiste, est également un ancien d’Immédiatement. Par ailleurs, j’ai fondé, en 2011, avec l’excellent écrivain et excellent ami, Olivier Maulin, le Cercle Cosaque. Nous avons reçu, au sein de ce « cabaret littéraire », tout ce qui nous semblait vraiment vivant dans la littérature de notre époque (François Taillandier, Richard Millet, Gabriel Matzneff, Sylvain Tesson, Maurice Dantec, entre autres…). Lorsque Jacques, devenu entre temps un intime, a été sollicité pour prendre la rédaction en chef de L’Incorrect, au printemps dernier, il m’a aussitôt demandé de m’occuper de la rubrique culture. Tout s’est ensuite déployé comme une évidence.
Comment justifiez vous votre titre insolent L’Incorrect dans les pages culturelles du journal ?
Notre avantage principal par rapport à la plupart des publications culturelles, c’est que nous avons mauvaise réputation. Nous sommes dispensés d’en entretenir une bonne, et donc libres de tirer à volonté – et il est vrai avec une certaine complaisance -, sur tout ce qui nous semble médiocre et survendu par un système médiatico-culturel dont la plupart de ceux qui l’ont approché connaissent le degré de corruption. En quelques numéros nous avons déjà un palmarès de descentes dont aucun autre magazine culturel ne peut aujourd’hui se targuer, parmi quoi l’écrivain norvégien Knausgaard que tout le monde s’est cru obligé d’acclamer à la rentrée, mais aussi deux prix Nobel — Le Clézio et Modiano. En revanche, nous avons défendu des livres dont très peu de journalistes ont parlé parce qu’ils étaient trop exigeants (Pagnier), trop gros (Jung), trop subtils (Bassmann) ou l’œuvre de proscrits (Millet). Pour ne parler que du domaine littéraire. Je crois que l’on ne peut nous reprocher de galvauder l’épithète.
Qui sont vos collaborateurs ?
Des écrivains, des essayistes, des poètes, des dessinateurs, des musiciens, des universitaires, des journalistes. La plupart ont déjà une importante expérience de critique, soit en revues, soit dans des médias mainstream (Rock’n’Folk, Citizen K., Paris Première). Certains écrivent également dans Causeur, le magazine d’Élisabeth Lévy, où nous sommes nombreux à avoir fait nos armes – comme Pierre Lamalattie, par exemple, qui nous a donné un article pour le numéro de janvier. Ce peut être un ami écrivain, comme Olivier Maulin, qui nous a offert un très beau texte de défense de la pipe, en novembre, à l’occasion du mois sans tabac. Ce peut être l’écrivain franco-suisse Samuel Brussell, qui a édité Gomez Davila au Rocher, et nous a traduit un article jubilatoire d’un réalisateur italien dans le numéro de janvier. Ce peut être encore Patrick Eudeline, grande figure nationale de l’underground et du rock, qui prépare un long papier pour février. Ce peut être aussi un talentueux autodidacte comme notre « Monsieur Cinéma », Arthur de Watrigant. Ce peut être, enfin, une flingueuse redoutable comme Marie Di Meco, qui semble jouer un rôle important dans le milieu culturel parisien, mais dont personne, pas même nous, ne parvient à percer l’identité véritable. Ainsi, s’il y a une énergie d’assaillants de notre côté, qui stimule certaines qualités juvéniles, la rédaction est pourtant composée de nombreuses personnes d’expérience, même si venues de milieux parfois très éloignés. On notera une évidente surreprésentation d’écrivains, mais un bel exemple de diversité et d’écrire-ensemble.
Quel est le dossier central de votre numéro de janvier 2018 ?
Nous attaquons l’année sur la question de Dieu. D’abord, parce que nous n’avons pas peur d’aborder les grandes questions, ensuite, parce que nous avons, je crois, les moyens de le faire différemment des autres. Par l’espace, d’abord, que nous consacrons à un grand entretien sur le sujet entre deux intellectuels de haute altitude : Rémi Brague et Pierre Manent, lequel constitue le cœur du dossier. Par la perspective, enfin, parce que nous sortons des oppositions laïcards vs obscurantistes, ou cathos fachos vs musulmans victimes, qui limitent en général le débat français sur la question religieuse, en prenant au sérieux autant le besoin de sacré que les réelles difficultés de cohabitation ou les singularités religieuses.
Ce thème semble correspondre également à des aspirations personnelles, c’est un peu le sujet de votre second roman qui vient de sortir chez Léo Schreer ?
Tout à fait. Mais je crois que ce thème, comme l’avait annoncé Malraux, sera le thème essentiel du siècle à venir. Conversion ressortit plutôt au récit autobiographique, et relate, en effet, la double quête initiatique qui fut la mienne, en tant qu’homme et en tant qu’artiste, me menant, pour déployer le verbe profane et assumer ma vocation littéraire, à me rallier au Verbe divin et Son incarnation. Cette confession intime possède néanmoins une véritable dimension générationnelle, ou plus largement collective, dans le sens que le dépassement du nihilisme et de la faillite de tous les idéaux dits « modernes », n’est possible, à mon sens, qu’à condition de nous resituer dans le cadre de l’option fondamentale. Ma confrontation à une crise personnelle se doublait naturellement d’une confrontation à notre crise civilisationnelle. Voilà en tout cas, comment, pour ma part, j’ai traversé ces crises : par la Lumière qui luit dans les ténèbres et que les ténèbres n’ont pas saisie.
Crédit photo : © Benjamin de Diesbach