Le barrage républicain semble prendre l’eau : jusque dans les rédactions, qui sont pourtant faites d’un bois rude. L’inéligibilité de Marine Le Pen fait couler beaucoup d’encre, et celle-ci tend parfois vers le bleu marine.
Une dénonciation du gouvernement des juges
Marianne a publié la tribune de Jean-Eric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, titrée « Le Pen inéligible : les juges se rebellent contre le Conseil constitutionnel… et contre les électeurs ». Cette tribune émet l’hypothèse que le tribunal judiciaire de Paris, qui a prononcé une inéligibilité de cinq ans contre Marine Le Pen, ait « outrepassé ses prérogatives ». Selon Jean-Eric Schoettl, la décision, « juridiquement discutable, politiquement lourde », « soulève de sérieuses questions sur le respect du droit d’éligibilité, la souveraineté populaire… et la tentation d’un gouvernement des juges. » Il conclut en rappelant que « en démocratie, c’est à l’électeur de dire qui est digne de ses suffrages. Nous basculerions dans le gouvernement des juges si nous admettions que le peuple est incapable de discernement moral et qu’il appartient en conséquence à la magistrature de filtrer les candidats selon l’idée qu’elle se fait de leur vertu. »
Pour les médias de droite, une décision politique
Le Point, de son côté, publie une interview d’Alain Jakubowicz, ancien président de la Licra. Il se dit « abasourdi », assure que « l’inéligibilité immédiate de Marine Le Pen est un coup porté à l’État de droit » et « considère que cela porte atteinte à la présomption d’innocence, même dans un dossier accablant. Je comprends pourquoi le RN, Marine Le Pen et ses proches parlent d’une décision politique. » Alain Jakubowicz ne mâche pas ses mots et parle d’une « énorme sottise », d’un prétexte « ridicule et insultant pour l’intelligence ». Il estime cependant que les faits reprochés à Marine Le Pen sont graves et que son électorat aurait dû être « heurté par sa culpabilité ». « Cet électorat est tellement acquis à sa cause qu’il ne perçoit pas la gravité des faits. Ce ne sont plus des électeurs mais des “aficionados”, des “groupies” », assène-t-il, ajoutant qu’on « observe le même phénomène chez Jean-Luc Mélenchon ».
Le Figaro rejoint Alain Jakubowicz sur la lecture du verdict comme un coup politique. Dans son édito, Vincent Trémolet de Villers affirme ainsi que « en France, la tolérance zéro, cette exigence de la droite et du Rassemblement national, ne s’applique jamais, sauf dans des cas exceptionnels. Avant-hier François Fillon, hier Nicolas Sarkozy, aujourd’hui Marine Le Pen. Le maximalisme judiciaire est chirurgical et tombe toujours du même côté. Cela va finir par se voir… ». Nicolas Beytout quant à lui, affirme dans son éditorial pour L’Opinion que « la justice fait entrer le pays dans un moment de grand danger démocratique. »
La révolte gronde, mais à qui la faute ?
Certains médias aiment dépeindre le Rassemblement national comme un danger pour la démocratie. La manœuvre est utilisée jusqu’à l’abus à chaque élection, mais on peut également se souvenir de Marlène Schiappa qui, en plateau TV, avait qualifié le RN de « parti de putschistes » lors de la publication de la tribune des généraux. Dans l’affaire de l’inéligibilité de Marine Le Pen, France info cite ses électeurs qui « se disent prêts à “se révolter” en cas de condamnation ». Au reste, Vincent Trémolet de Villers avertit également dans Le Figaro contre « la vexation élitaire, qu’elle soit médiatique, culturelle ou judiciaire » qui « est l’engrais le plus efficace pour faire pousser l’insurrection civique. » Pour France info, gare au Rassemblement national car ils sont mauvais. Pour Le Figaro, gare au Rassemblement National car ils sont Français. Et les Français savent faire la révolution.
Certains titres profitent également de l’affaire d’inéligibilité de Marine Le Pen pour rappeler, comme La Tribune, que « une affaire similaire a touché le MoDem », c’est-à-dire le parti présidé par François Bayrou, Premier ministre. Le Figaro, lui, rappellera que La France Insoumise est dans le même bourbier, et que cela peut expliquer la réaction de Jean-Luc Mélenchon au verdict. Selon lui, « la décision de destituer un élu devrait revenir au peuple ». Les soupçons qui pèsent sur le MoDem expliqueraient quant à eux le fameux « trouble » de François Bayrou.
L’occasion de ressortir les dossiers
Comme d’habitude lors des procès de personnalités politiques, d’autres médias sortent avec gourmandise différentes sorties des membres du Rassemblement national. Libération, rappelle ainsi le temps où « Jordan Bardella bouchait l’avenir parlementaire de Marine Le Pen » en affirmant que ne pas avoir de condamnation dans son casier judiciaire était selon lui une règle numéro 1 pour être élu parlementaire. Le même article rappelle que Marine Le Pen, 21 ans plus tôt, en 2004, accusait les partis d’avoir « piqué de l’argent dans la caisse », et qu’elle demandait en 2013 l’inéligibilité à vie des élus qui seraient condamnés pour des faits commis au cours de leur mandat.
Marine Le Pen écartée, il reste Jordan Bardella. Pour le moment, on ne voit pas trop qui d’autre, au Rassemblement national, pourrait porter la flamme à l’élection présidentielle. Certains titres écornent son image. Challenges affirme, dans l’éditorial de Nicolas Domenach, que « chacun sait, jusqu’au sein du Rassemblement National qu’il n’a pas la dimension présidentielle » et que « en dépit de ses succès aux européennes il n’avait déjà pas celle de chef de gouvernement, alors qu’il y prétendait en se mettant sur la pointe des pieds. » Macron est devenu président à 37 ans et, de toute évidence, il s’agit là d’une limite d’âge car « La popularité n’est pas une présidentialité surtout quand font défaut les parcours de vie qui font apprendre la vie. On n’est pas sérieux quand on a 29 ans », conclut Challenges. À suivre…