Rediffusion. Première diffusion le 10 avril 2018
Nous publions côte à côte en deux langues, cette analyse de fond de la loi NetzDG ; la version française et la version allemande, cette dernière un peu plus longue que la version française.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la Netzwerkdurchsetzungsgesetz ou NetzDG n’a guère passionné la presse officielle française, trop accaparée il est vrai par la question autrement épineuse et politiquement cruciale de l’héritage de Johnny Halliday. Seul Libération en a fait brièvement état dans un court papier évoquant, justement, mais très sommairement et superficiellement, quelques points du débat allemand sur cette loi fondamentale votée en juin 2017 et entrée en vigueur au 1er janvier de cette année 2018.
C’est dire le sens des priorités et la lucidité d’une presse subventionnée, tellement conformiste qu’elle finit par ne même plus se rendre compte des événements politiques les plus importants de son époque. La promulgation et l’entrée en vigueur de la NetzDG pourrait en effet revêtir un sens historique en ce début de siècle de plus en plus troublé, en Allemagne et en Europe. D’autant plus qu’elle pourrait faire des émules, notamment en France.
La crise politique allemande
L’Allemagne fait en effet face à une crise politique majeure de son histoire de l’Après-Guerre. Partout, le mécontentement d’une part croissante de la population contre la submersion migratoire et la confiscation de la démocratie par une Europe officielle de plus en plus méprisante de la volonté des peuples, et finalement contre les lubies sociétales déconstructivistes post-mai 68 a favorisé la monté en puissance, d’une opposition de droite démocrate, libérale économiquement, souverainiste, socialement conservatrice et hostile au totalitarisme islamiste, représentée par l’AfD, et dans une moindre mesure d’une opposition de gauche résolument anticapitaliste et antilibérale représentée par Die Linke. Cette contestation des partis de l’establishment a bousculé l’équilibre politique post-Schroeder dans le cadre des élections régionales allemandes, fortement à l’Est (Mecklembourg-Poméranie Occidentale, Saxe-Anhalt, Saxe et même Berlin, voir ici), mais aussi dans une mesure significative à l’Ouest. Les dernières élections au parlement fédéral se sont avérées catastrophiques, notamment pour les sociaux-démocrates mais aussi, dans une moindre mesure, pour la CDU et la CSU et de toute façon pour la GroKo – la grande coalition – sortante. Pire : les tractations menées par Angela Merkel pour mettre en place une coalition « jamaïcaine » avec des Libéraux chassant de plus en plus sur les terres de l’aile libérale et eurosceptique de l’AfD et des Verts bloqués par les « Fundis » (les Verts fondamentalistes d’extrême-gauche, par opposition aux « Realos » — les réalistes plus modérés) ont débouché sur une impasse après des mois d’atermoiements. Angela Merkel, qui a décidé d’éviter à tout prix une nouvelle convocation aux urnes par crainte que les résultats de cette dernière ne conduisent à un renforcement des désaveux déjà patents des partis de l’establishment et donc à une amplification de la crise politique, s’est résolue à conclure la mouture la plus improbable des gouvernements de coalition : une nouvelle GroKo avec le SPD, mais par-dessus le marché une GroKo donnant un poids dominant au SPD.
Pour le SPD en effet, la crise de la social-démocratie est (grand classique nihiliste) qu’il n’y a pas assez de social-démocratie ; et, pour Merkel, un tour de passe-passe fonctionnant techniquement suffit tant qu’elle reste au pouvoir, même si c’est un non-sens démocratique. En bon français : le nouveau gouvernement allemand rejette désormais tous les partis vainqueurs aux élections (AfD, libéraux du FDP et la gauche de Die Linke) pour non seulement réaliser une coalition des seuls perdants (SPD et CDU/CSU) … mais pour y donner au grand perdant social-démocrate un poids prépondérant ! Une aberration démocratique violant de façon flagrante l’esprit de la constitution allemande (Grundgesetz) et politiquement explosive à terme.
C’est bel et bien dans ce contexte qu’il faut comprendre la promulgation de la NetzDG, même si celle-ci avait été adoptée précédemment à titre préventif : elle vise clairement à interdire toute critique des dogmes bien-pensants, mais au-delà à criminaliser voire interdire de fait progressivement toute opposition politique par un « coup d’État latent ».
La NetzDG, des dispositions inquiétantes par leur caractère extrême :
La NetzDG se présente juridiquement comme une loi entrant dans un ensemble plus vaste de dispositions législatives portant en Allemagne le nom de loi-cadre (Mantelgesetz). Elle constitue en fait l’article 1 de cette loi-cadre, l’article 2 étant constitué par la loi allemande sur les télémédias (Telemediengesetz) qui rassemble l’essentiel du droit allemand s’appliquant à l’Internet (mais pas seulement), les dispositions s’appliquant plus précisément à la radiodiffusion et à la télévision étant définies par ailleurs dans le contrat d’État de radiodiffusion (Rundfunkstaatsvertrag).
Les principales dispositions de cette loi sont les suivantes :
- La loi concerne fondamentalement les réseaux sociaux ayant plus de 2 millions d’abonnés et vise plus particulièrement Facebook, Twitter et YouTube. Elle exclut les services de messagerie, les réseaux et portails professionnels, les jeux et les plateformes de vente en ligne (eBay).
- Les exploitants de réseaux sociaux sont tenus de supprimer dans les 24 heures les contenus « visiblement illégaux » ; ce délai est prolongé à 7 jours dans les « cas complexes » (pour lesquels l’illégalité n’est pas évidente et qui doivent donc être examinés en profondeur) ; et même à davantage si l’on considère que l’auteur du contenu doit avoir le droit de se justifier en fonction du contexte ou si la légalité du contenu doit être évaluée par un « organe d’autorégulation » ad hoc devant être mis en place à l’avenir, et autorisé et surveillé par le Ministère de la Justice. Sachant que tout recours abusif à un tel organisme (dans le but de limiter la censure) sera à son tour passible d’amendes.
- La loi renonce à imposer l’obligation d’effacer également toutes les copies du contenu illégal, obligation prévue dans le projet initial, mais sans doute trop complexe à mettre en œuvre.
- La loi renonce également à mettre en place un système d’arbitrage qui permettrait à un auteur de protester contre la suppression d’un contenu qu’il estimerait légal, en ne laissant à ce dernier aucune autre alternative que de déposer plainte contre le réseau social en question en cas de contestation.
- Les réseaux sociaux qui violeraient leurs obligations de suppression et de contrôle « régulièrement et de façon répétée », notamment par l’introduction prouvée d’un « système de gestion effective des contenus et d’un contrôle de ces derniers » sont passibles d’une amende pouvant aller jusqu’à 50 millions d’euros.
- Les entreprises concernées doivent nommer un interlocuteur des administrations en charges de la justice, des poursuites et de l’imposition d’amendes, et aussi des citoyens souhaitant déposer plainte du fait de contenus illégaux. Cet interlocuteur doit réagir dans les 48 heures à toute demande. Toute violation de ces dispositions est passible d’amendes.
- Les victimes (de posts haineux, diffamatoires etc.) doivent se voir offrir la possibilité d’agir directement en justice contre les auteurs de contenus censés violer leurs droits (injures publiques, diffamation) – en bref, l’identité des auteurs de contenus censés être préjudiciables à leur image, personnalité etc peut leur être communiquée à leur demande — mais seulement sur autorisation d’un juge.
Une loi politiquement très controversée, votée in extremis dans des conditions douteuses
La loi a fait l’objet d’âpres discussions dans le cadre desquelles nombre de politiciens de tous bords, y compris plusieurs membres de la CDU, de la CSU et du SPD, ont exprimé leurs doutes et leurs appréhensions. Petra Sitte, députée du parti d’extrême-gauche Die Linke, parla de « risque de graves dommages collatéraux pour la liberté d’expression » (Zeit Online du 30/06/2017). Le député des Verts Konstantin von Notz a estimé que la loi conférait aux exploitants des grands réseaux sociaux un rôle qui ne saurait revenir qu’à la justice dans un État de droit, une position qu’il a réaffirmé dans une interview qu’il a accordée à la station de radiodiffusion Deutschlandfunk le 08/01/2018.
La première séance de lecture en assemblée parlementaire le 19 mai 2017 incita les auteurs du projet de loi à en modifier certaines dispositions, sans toutefois la retirer.
La loi a finalement été adoptée le 30/06/2017 dans des conditions pouvant être considérées comme problématiques : alors en effet que ce vote était programmé directement après celui concernant la loi sur le mariage pour tous, qui avait réuni 623 députés votants, seuls 55 députés s’étaient encore donné la peine de rester présents en session parlementaire pour se prononcer sur la NetzDG. Un tel phénomène peut être interprété non comme une preuve de paresse des parlementaires, mais vraisemblablement comme une sourde protestation des députés de la majorité, pourtant contraints à la discipline de vote. En bref : cet événement pourrait être interprété comme un indice que même une majorité des députés des partis de la GroKo étaient fondamentalement peu enclins à l’idée d’adopter un tel arsenal législatif violant aussi ouvertement tous les principes d’un état de droit démocratique. Ils n’ont néanmoins pas eu le courage de s’opposer ouvertement aux exhortations (et sans doute aux menaces) des directions de leurs partis respectifs et ont préféré s’éclipser discrètement. La NetzDG a par conséquent été largement adoptée par les députés de la GroKo présents contre les voix de gauche (Die Linke), les Verts s’étant abstenus. Notons le courage de la députée bavaroise du CSU Iris Eberl, qui a voté contre en s’exposant aux foudres des dirigeants de son parti. On rappelle que l’AfD n’était pas représentée au parlement fédéral à cette époque.
La loi a été adoptée en dépit du rapport défavorable de l’organe d’expertise juridique officiel du parlement fédéral, le Wissenschaftlichen Dienste des Deutschen Bundestages (Services scientifiques du Parlement Fédéral allemand) qui concluait que la NetzDG était anticonstitutionnelle et violait en outre le droit européen. Un cas rare.
Les circonstances extrêmes dans lesquelles la NetzDG a été votée posent ouvertement la question de la validité de son adoption : le § 45 du règlement de l’assemblée parlementaire fédérale (Bundestagsgeschäftsordnung) stipule en effet que la moitié au moins des députés doivent être présents (en l’occurrence donc 316 députés) pour que le parlement soit apte à délibérer et donc à adopter une loi.
On notera donc le caractère proche du coup d’État de cette adoption douteuse, illégitime et peut-être illégale ; on notera aussi que pas un média français ne s’est fait l’écho de cet événement historique inhabituel dans l’Allemagne de l’après-guerre, qui avait fait du respect absolu de l’ordre démocratique un impératif incontournable. L’Allemagne change d’ère pour retourner au pire, mais dans une constellation très différente de celle de 1933.
Depuis lors, le parti libéral FDP et les Verts ont demandé l’abrogation de cette loi (rapporté par le Frankfurter Rundschau le 07/01/2018). L’AfD n’a pu se joindre à ces partis du fait d’un phénomène de « cordon sanitaire », semblable à ce qui se passe avec le FN en France. Les partis majoritaires de la GroKo, CDU/CSU et SPD – disons leurs dirigeants à la manœuvre – ont néanmoins rejeté cette motion. L’option du conseil constitutionnel reste néanmoins ouverte. Reste à observer ce qu’il en adviendra.
Une loi quasi unanimement considérée comme inconstitutionnelle par les experts
Le Prof. Dr. Marc Liesching, professeur en droit des médias et en théorie des médias à la Hochschule für Technik, Wirtschaft und Kultur in Leipzig (Haute école de technique, économie et culture de Leipzig), considéré comme un des grands spécialistes dans son domaine, a publié dans le forum en ligne beck-community, un forum reconnu consacré au droit qui réunit depuis 10 ans le gratin des juristes allemands une prise de position extrêmement fouillée et solidement argumentée au plan juridique du caractère anticonstitutionnel de la NetzDG, qui a suscité de vives réactions publiques.
Il estime en effet :
- que la loi confère aux médias sociaux des pouvoirs de droit pénal relevant exclusivement du pouvoir régalien et ne sauraient être délégués à des entités privés, de surcroît dépourvues de toute qualification juridique et encore plus de pouvoirs judiciaires ;
- que l’ensemble des dispositions constitutionnelles et légales relatives aux procédures pénales en État de droit démocratique (plaintes, poursuites, présomption d’innocence, droits de la défense, examen contradictoire des faits, droit à un procès équitable etc., — liste non exhaustive) sont grossièrement foulés aux pieds par cette loi ;
- qu’il n’existe aucune obligation légale de supprimer des contenus illégaux en Allemagne ;
- que la loi présentait un risque évident de suppression de contenus nullement illégaux, suppression qui serait alors à son tour illégale puisque violant en toute illégitimité les droits fondamentaux des citoyens à la liberté d’expression ;
- que l’appellation de « Netzwerkdurchsetzungsgesetz» (loi d’application du droit dans les réseaux sociaux) était une appellation trompeuse, l’application de la loi relevant par principe exclusivement des autorités policières et judiciaires et non d’entités privées ;
- qu’il n’existe aucune définition légale de la notion de « discours de haine » et seulement très imparfaitement de celle de « Fake News (fausses nouvelles) », ce qui faisait de la loi une imposture juridique et judiciaire ;
- que cette loi permettait de façon arbitraire de rendre illégaux des discours critiques, satiriques ou humoristiques / caricaturaux pouvant être considérés comme « fausses nouvelles » du fait de leur caractère volontairement outré – un précédent dangereux ;
- que la loi représentait une atteinte inouïe à la liberté d’expression, à la liberté de l’information, et à l’indépendance des journalistes et des médias ;
- que la loi présentait un caractère de censure évident formellement interdit par la Grundgesetz (loi fondamentale allemande) ;
- qu’elle violait en outre le principe constitutionnel de l’égalité des citoyens devant la loi ;
- etc.
Le Prof. Dr. Marc Liesching estime que le conseil constitutionnel devrait nécessairement déclarer la NetzDG inconstitutionnelle.
D’une manière générale, de nombreux experts juridiques et constitutionnels ont critiqué la privatisation de la censure, en soulignant que les montants exorbitants qui menaçaient les réseaux sociaux accusés de laxisme conduiraient nécessairement à une censure préventive massive, allant largement au-delà des contenus censés être « illégaux », et ce sans aucun garde-fou.
Une loi fortement contestée par les journalistes
Les journalistes de tous bords se sont massivement élevés vent debout contre l’adoption de la NetzDG, qualifiée tour à tour « d’infrastructure de censure », « d’atteinte à la liberté d’expression », de « privatisation de la justice », de « loi anticonstitutionnelle » et portant atteinte aux « droits et libertés fondamentales », aux « Droits de l’Homme et du Citoyen » et à la « séparation des pouvoirs ».
L’association des journalistes allemands (Deutscher Journalisten-Verband, DJV) a émis de vives protestations. Son président, a exhorté les députés à ne pas voter la loi.
Reporters sans Frontières a critiqué une loi « bâclée votée à la va-vite ». Son président, Christian Mihr a parlé de « loi de la honte ».
Voir aussi l’article de l’OJIM, qui montre à quel point le cas du journal satirique Titanic avait révélé la pertinence des craintes du Prof. Liesching.
Le FAZ a publié une véritable avalanche d’articles exposant différents points de vue (en partie favorables, mais avec des réserves) sur la NetzDG, évoquant la censure des politiciens membres de l’AfD von Storch, Weidel et Gauland (02/01/2018) ; la question de savoir si la loi visait plus particulièrement l’AfD (08/01/2018) ; la censure d’un tweet du Ministre de la Justice (Heiko Maas… auteur de la loi !) sur Thilo Sarrazin, l’auteur du bestseller L’Allemagne disparaît (08/01/2018) ; le cas du magazine satirique Titanic (11/01/2018) ; les risques d’actions trop rapides des réseaux sociaux (12/01/2018) ; la censure d’une artiste allemande renommée de Street Art, Barbara (14/01/2018) ; les protestations de Facebook réclamant des aménagements (21/01/2018) ; l’appel des patriotes contre « la police de la pensée » (29/01/2018).
On signalera l’article du FAZ évoquant le risque d’extension de la loi allemande à toute l’Europe de l’Ouest en citant par exemple le 13/03/2018 l’appel du maire musulman de Londres Sadiq Khan à imiter Berlin. Cette question est fondamentale, car nous aurions bel et bien dans ce cas affaire à un événement historique pour toute l’Europe de l’Ouest, similaire toutes proportions gardées à la vague fasciste des années 1930. En France murît un projet similaire du président Macron. Mais tous les pays d’Europe de l’Ouest (et différentes dictatures dans le monde) sont à l’affût. La NetzDG crée un précédent qui pourrait se propager comme une traînée de poudre.
Le SZ n’a pas été en reste : le journal social-démocrate discute de la question de la censure (01/01/2018) ; estime que les faits consécutifs à la mise en œuvre de la NetzDG confirment les pires appréhensions, et notamment les faits de censure massive et les atteintes à la liberté d’expression (08/01/2018) ; il rappelle que l’enfer est pavé des meilleures intentions (13/01/2018).
Die Zeit défend le principe de la loi, mais tout en en soulignant les faiblesses (09/01/2018).
Harald Martenstein, journaliste au Tagesspiegel a parlé de culture politique digne d’Erdoğan en soulignant que cette loi semblait tout droit sortie du roman « 1984 », une « attaque contre le partage des pouvoirs ». Le journaliste et écrivain connu Burkhard Müller-Ullrich a estimé que le gouvernement prenait pour prétexte « la lutte contre les discours de haine », pour clairement « faire taire tous les opposants politiques ».
Protestations des réseaux sociaux concernés
Les réseaux sociaux concernés se sont également exprimés en reprenant l’essentiel des critiques déjà émises par les experts et les journalistes. Facebook a remis fin mai 2017 une prise de position officielle au parlement fédéral enjoignant ce dernier à ne pas adopter « une loi évidemment inconstitutionnelle » par laquelle « l’État de droit se décharge illégalement de prérogatives régaliennes sur des entités privées », sachant « que c’est à l’État et à lui seul que revient le droit de juger dans les règles si un contenu est illégal ou non ».
Objections des Nations-Unies
Les Nations-Unies ont également fait part de leurs inquiétudes. Le rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, David Kaye, a violemment critiqué la loi dans une prise de position datée de juin 2017. La loi irait largement au-delà de ses objectifs et imposerait aux exploitants de réseaux sociaux des obligations outrées relevant de la sphère régalienne. Elle violerait les dispositions relatives à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen telles que définies dans le Pacte international relatif aux droits civiques et politiques. Les fournisseurs d’accès en ligne seraient nécessairement, du fait d’épée de Damoclès présentée par des amendes exagérément élevées, amenés à supprimer de nombreux contenus légaux relevant de la liberté d’opinion et de la sphère privée en dehors de tout cadre judiciaire normal et légal. L’article 19 du Pacte international relatif aux droits civiques et politiques garantit pourtant le droit au libre accès et au libre partage des informations.
Malaise, inexprimé mais perceptible, à la Commission Européenne
L’attitude de la Commission Européenne suggère également un malaise politique à Bruxelles. La NetzDG a été mise de côté afin de laisser aux experts le temps d’examiner si la loi était compatible ou non avec le droit européen, notamment au niveau des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que de celles concernant les « Services de la société de l’information » (directive sur le commerce électronique). Une demande de renseignement à ce sujet par le magazine économique allemand Wirtschaftswoche a été rejetée par la commission au titre que « la publication de ces documents (internes de la commission sur la NetzDG) … porterait atteinte à la confiance mutuelle entre l’État membre (l’Allemagne) et la Commission ». Celle-ci est pourtant tenue d’après un règlement de 2001 de divulguer ses documents internes à la demande. Le magazine Wirtschaftswoche écrit à ce sujet : « Cette réponse nourrit le soupçon que la Commission estime bel et bien que la NetzDG viole le droit européen, mais que Bruxelles ne veut pas indisposer Berlin et a préféré mettre le rapport de ses experts sous le boisseau. La commissaire européenne à la justice tchèque Věra Jourová, citoyenne d’un État de Visegrád, ne s’est cependant pas privée de critiquer la NetzDG, au grand dam du gouvernement fédéral.
Tout ceci montre bien que la Netzwerkdurchsetzungsgesetz, cette loi qui n’a suscité aucun émoi particulier dans les médias français, pourrait bel et bien représenter un événement historique de premier ordre :
- le caractère extrême de ses dispositions viole de l’avis unanime de nombreuses dispositions de l’État de droit démocratique, des droits de l’homme et du citoyen, de la constitution allemande, le droit européen et les pactes internationaux de l’ONU ;
- la hargne avec laquelle les dirigeants de la CDU/CSU et du SPD ont passé outre à une levée de boucliers sans précédent, y compris dans leurs propres rangs, souligne le désarroi des partis menacés par le « populisme » ;
- toutes choses étant égales par ailleurs, la NetzDG n’est pas sans rappeler la manière dont le chancelier Adolf Hitler avait, après l’incendie du Reichstag, fait adopter sans pour autant abroger la constitution de Weimar, par un Reichstag épuré à l’époque de toute son opposition de gauche toute une série de lois d’exception qui mettaient fin concrètement aux institutions démocratiques en février-mars 1933 (Reichstagsbrandverordnung (décret sur l’incendie du Reichstag), Gleichschaltungsgesetz (loi de mise au pas) et Ermächtigunsgesetz (loi des pleins pouvoirs)).
- le vote dans des conditions plus que douteuses de la NetzDG indique que ce n’est pas l’Europe de l’Est, où la censure est très faible (et les gouvernements régulièrement élus ou réélus comme en Hongrie début avril 2018) qui est menacée « d’illibéralisme » ; c’est bien au contraire l’Europe de l’Ouest où s’accumulent des « grandes coalitions » de perdants (signalons le cas de la Suède, ou encore celui des Pays-Bas https://www.ojim.fr/dossier-resultats-des-elections-aux-pays-bas/) qu’apparaissent des phénomènes de coups d’État latents et de privation massive des libertés. C’est en Europe de l’Ouest que les partis de l’establishment de moins en moins légitimes estiment que les fondamentaux de la mondialisation ou de l’immigration ne relèvent plus du débat politique et des choix démocratiques, mais sont désormais des dogmes religieux que les électeurs ne sauraient plus contester, en vertu d’une langue de bois totalitaire (« extrême-droite », « racisme », « discours de haine », « fausses nouvelles »). L’adoption de lois liberticides paraît pouvoir compléter les phénomènes de grandes coalitions prolongées en venant fortement entraver la liberté d’expression, et finalement les droits civiques et politiques des opposants dont les opinions sont de plus en plus criminalisées et in fine mises hors la loi ;
Au total la NetzDG sert de modèle de résistance aux « populismes » par les pouvoirs en place au nom du dogme libéral/sociétal. Les discours du maire musulman de Londres, et les projets du président Macron en France ne peuvent que renforcer cette impression. L’histoire semble s’accélérer.
Cela aurait mérité un peu plus d’attention des médias français et francophones. A suivre.
Sources
- Libération du 04/01/2018
- FAZ du 02/01/2018
- FAZ du 08/01/2018
- FAZ du 08/01/2018
- FAZ du 11/01/2018
- FAZ du 12/01/2018
- FAZ du 14/01/2018
- FAZ du 21/01/2018
- FAZ du 21/01/2018
- FAZ du 13/03/2018
- SZ du 01/01/2018
- SZ du 08/01/2018
- SZ du 13/01/2018
- Die Zeit du 11/04/2017
- Die Zeit du 30/06/2017
- Die Zeit du 09/01/2018
- Deutschlandfunk du 08/01/2018
- Frankfurter Rundschau du 07/01/2018
- Reporter ohne Grenzen (Reporters sans Frontières) du 19/06/2017
- Tagesspiegel du 19/03/2018
- Spiegel online du 11/04/2017