Jean-Jacques Cros, Médias : la grande illusion (Jean-Claude Gawsewitch éditeur)
Le constat est accablant : 58% des Français considèrent que les médias sont aux ordres du personnel politique et 56% y joignent une dépendance aux intérêts économiques. Une situation qui ne pouvait qu’émouvoir Jean-Jacques Cros, journaliste émérite à France Télévisions et aujourd’hui collaborateur indépendant de plusieurs titres. Son ouvrage Médias, La Grande illusion (Jean-Claude Gawsewitch éditeur) cherche à explorer les ressorts de cette désaffection en distinguant les maux propres à la presse écrite, la radio ou la télévision. La grande valeur du propos tient à l’honnêteté du postulat : “À défaut de manipulation, il faut reconnaître que les médias ont un effet manipulateur.”
La presse française vit aujourd’hui sous perfusion puisque son budget est alimenté à hauteur de 20% par le milliard d’euros de subsides que lui apporte l’État chaque année, une tradition datant du bureau d’esprit public lancé par la Révolution française. Cette faiblesse principielle est renforcée par la part envahissante prise par les propriétaires de titres dans la gestion des rédactions: quelques patrons richissimes commandent à des journalistes aux emplois précaires, cantonnés aux lois de l’efficacité, ce qui est la cause d’une information manichéenne, synthétique et simpliste. Au final, “cette information low cost est entrain de tout envahir.”
C’est finalement une dérive éthique que dénonce Jean-Jacques Cros, dérive qui trouve son apothéose dans le diktat de publicitaires qui censurent ou punissent ceux de leurs partenaires qui viendraient écorner leur image comme le fît Michel Pébereau en 2009 avec Le Monde, après un article établissant sa présence dans de nombreux conseils d’administrations français.
La télévision n’échappe pas au réquisitoire de l’auteur : “Rentabilité et recherche de la plus grande audience vont de pair et conduit fatalement à une information aseptisée.” Les relations de copinage avec le monde politique, une transcription des évènements qui s’éloigne du monde vécu et la dictature de l’urgence et de l’exhibitionnisme émotionnel ont diminué un crédit déjà mince.
En effet “le monde vu d’une lucarne” souffre par ailleurs des manipulations passant par l’utilisation d’images d’archives pour illustrer l’actualité, les faux charniers de Timisoara et autres « infos » nés d’un besoin d’image renforcé par l’arrivée des chaînes d’information en continu. La fin de la prise de distance et le formatage du discours télévisuel produisent un journalisme au rabais qui finit par pervertir la vocation souvent noble de ceux qui s’engagent dans ce métier.
Ainsi à force d’avoir voulu être “une avant garde de la société”, les journalistes ont fini par perdre leur autonomie dans la diffusion et l’explication de l’information et par couper le lien de confiance qui garantissait la crédibilité de leurs productions. Dans une société ou l’existence passe par le fait d’être perçu, ils deviennent ainsi prisonniers des techniques et des intérêts de communicants qui cherchent à maitriser un calendrier médiatique qui alternera dès lors entre dossiers convenus et “mithridatisation” du public pour lui présenter des images toujours plus barbares et sanglantes. Nous sommes donc devant une démonstration convaincante et apaisée qui pointe l’un des moteurs du fossé qui se creuse entre les Français et leurs médias, un fossé qui met en danger la démocratie : “Ce spectacle de l’information sécrète une nouvelle et énorme inégalité : entre ceux qui savent décrypter les médias et les autres.”