Le ton de l’Observatoire du journalisme (OJIM) est volontairement mesuré. Nous sommes dans l’analyse, pas dans l’éditorial. Avec un style parfois un peu trop neutre que certains lecteurs nous reprochent gentiment. Pour mettre un peu de piquant, nous inaugurons une rubrique « Polémique », dont le premier signataire est le journaliste Jean Montalte, de la revue Éléments. Les intertitres sont de notre rédaction.
La France, telle un « tas d’ordures martyrisé »
La France, tel Antonin Artaud, est devenue « un haillon vivant, un tas d’ordures martyrisé », elle réclame à cor et à cri, non des baumes pour prolonger son mal en l’étouffant, mais une chirurgie pour se refaire, se reforger un « corps désenvoûté. » Il faut s’attendre à ce que les rentiers d’un système moribond ne l’entendent pas de cette oreille, cette oreille qu’ils se sont empressés de couper, à l’instar de Van Gogh, ce « suicidé de la société ». Mais cette mutilation est destinée à un autre usage : ne pas entendre un peuple au seuil d’une rupture de ban sans précédent avec toute une caste devenue hors d’usage à force de trahison. Quant à ceux qui s’avancent pour les remplacer dans la carrière, c’est la foire d’empoigne aux doux dingues, aux représentants auto-désignés du Bien comme il pullule de nos jours des autistes Asperger et autres HPI auto-diagnostiqués. Pour le dire en un mot : des petits pions aux petits pieds qui dissimulent mal derrière leur profession de foi humaniste et démocratique le prurit de volonté de puissance qui les démange. Parfois, mais alors avec un doigté tout à fait pianissimo et dans un accès de scepticisme coupable et honteux, on est tenté de se dire :
« De quel droit ? »
Délire bachique et CNews
Lucie Castets fut désignée – avec une légitimité évidemment incontestable — par le NFP pour occuper le poste de premier ministre. Dit-on première ministre ? Combat d’avant-garde ou d’arrière-garde, me direz-vous, alors passons sur les sempiternelles palabres linguistiques. Hegel, dans sa Phénoménologie de l’Esprit a écrit : « la vérité est le délire bachique où il n’y a pas un seul membre qui ne soit ivre. » Dans un élan d’ivresse analytique cette même Lucie Castets, probablement ivre de vérité (Pravda pour les intimes du stalinisme) livra proconsulairement son commentaire lors de l’université d’été organisée par LFI – commentaire éclairé, tamisé, obombré, nuancé, comme qui dirait exécuté à l’aquarelle ou selon une technique impressionniste gauchisto-déconstruite — au sujet des résultats électoraux récents qui ont fait suite à la dissolution proclamée par Macron.
Accrochez-vous, c’est du costaud, amateurs de prosodie bien cadencée, ouvrez grand vos esgourdes : « Beaucoup de gens qui ont voté pour le Rassemblement National, y compris parce qu’ils adhèrent à des thèses racistes, qui sont des thèses qui sont construites, non pas par le fruit de leur expérience, qu’ils auraient vécue dans leur vie quotidienne, mais parce qu’en fait ils regardent CNews et que sur CNews, c’est dit que « les noirs et les arabes ils sont méchants et qu’il y en a trop en France ». C’est véridique, les gens disent ça et c’est parce qu’ils regardent CNews et je pense qu’il faut davantage réguler la presse et les médias. »
Nous avons dû, pour les besoins de la compréhension, corriger quelque peu la syntaxe, en prenant soin toutefois de ne pas altérer le sens des propos. Quelques séances d’orthophonie devraient arranger tout cela. Pour ma part, j’ignore si la « régulation de la presse et des médias » serait une bonne chose pour la vie démocratique, quoique j’ai mon idée, mais, ce qui est certain, c’est qu’une aspirante cheffe du gouvernement devrait maîtriser un français même élémentaire. L’émotion, sans doute. Que celui qui n’a pas bafouillé devant un auditoire d’extrême gauche en leur promettant la censure de leurs opposants politiques lui jette la première pierre !
La liberté selon Daniel Schneidermann
Dans un tweet du 27 août 2024 et qui va nous intéresser plus particulièrement, Daniel Schneidermann a formulé un commentaire sur cette sortie de Lucie Castets : « Merci pour cet extrait, qui rappelle que Lucie Castets, comme tout le NFP, est favorable à davantage de régulation de la presse et des médias ( réforme en effet indispensable à la sauvegarde de la démocratie ). » L’intervention de Lucie Castets ne pouvait pas ne pas recevoir un écho favorable auprès du fondateur du collectif STOP Bolloré, dont l’intitulé suffit à caractériser la mission qu’il se propose de mener à bien. « Ma première rupture politique est l’élection de Sarkozy et le fait qu’il aille passer les premiers jours de sa présidence sur le Yatch de Bolloré », affirmera Daniel Schneidermann lors d’un entretien accordé à la chaîne youtube Elucid sobrement intitulé : « D’Hitler à notre ère : l’aveuglement des médias face aux ruptures. » Dans ce même entretien, il reprochera à l’ARCOM sa frilosité dans sa surveillance et, le cas échéant censure de CNews. Il ironisera :
« Liberté ! Liberté ! Liberté ! Comme si seule comptait la liberté de Bolloré. »
Nietzsche soutenait que nous avions les pensées que nous méritions en fonction de notre style de vie. Vous me direz, nous avons également les ruptures politiques que nous méritons. Pour certains ce fut la guerre des Balkans, le vote bafoué des français en 2005 au sujet de la constitution européenne, le massacre du Bataclan. En somme toutes ces petites turpitudes bénignes. Pour d’autres, plus axés sur la collusion entre le monde des médias et de la politique – ce qui est loin d’être dénué d’importance il s’entend – c’est une histoire de trempette dans les eaux troubles de la droite décomplexée. Évidemment, le fait que nos impôts financent France Inter, station qui a fait ouvertement campagne pour la gauche – sous couvert de « front républicain » — et craché allègrement au visage des citoyens qui ne partagaient par ses inclinations politiques, n’a pas l’heur d’émouvoir monsieur Schneidermann. Il est vrai qu’il ne s’agit ici pas de sa rupture politique motivée par son ancrage idéologique gauchiste, seulement celle des médias subventionnés et du peuple qui casque pour pensionner sa propre manipulation.
Le petit parcours de Daniel
En effet, Daniel Schneidermann, se posant en champion de l’objectivité et de la déontologie en matière de presse et de médias, a pourtant un parcours qui le marque à gauche sans ambiguïté. Il fut, dans ses jeunes années, militant à la section du Lycée Henry IV de l’Union des étudiants communistes. D’abord journaliste et chroniqueur au journal Le Monde (période Edwy Plenel) il sera par la suite engagé par le journal Libération. En résumé des contributions pour des journaux qui n’ont jamais fait mystère de leurs allégeances idéologiques.
Il créera, en 1995 l’émission hebdomadaire Arrêts sur images pour France 5, qui sera finalement déprogrammée par la chaîne et trouvera refuge sur Internet. Le concept de l’émission dont l’adage est « La critique média en toute indépendance », sera axé autour de l’analyse de l’image ou analyse télévisuelle, et sera le fruit d’une élaboration collective, regroupant Daniel Schneidermann, Arnaud Viviant et Alain Rémond. À l’instar de la zététique qui se propose d’évaluer la solidité des théories scientifiques en tout genre en débusquant les biais d’interprétation, les paralogismes et autres recettes sophisitques, Arrêt sur images se donnera pour mission de contrôler le contenu des discours et procédés médiatiques pour déceler les entorses à la déontologie et les techniques de manipulation. Sans doute est-ce pur hasard mais ce cher Arnaud Viviant a été candidat aux législatives de 2017 dans la dix-huitième circonscription de Paris, sous l’étiquette extrême gauche. Il déclarera, lors d’un entretien accordé le 28 janvier 2022 à la Nouvelle Union Populaire : « Votons Jean-Luc Mélenchon pour oxygéner la démocratie. »
La démocratie et la régulation
Si le mot d’ordre de la démocratie, de la « société ouverte » et qui faisait sa fierté était autrefois le pluralisme, désormais la bonne santé de cette même démocratie exigerait « davantage de régulation de la presse et des médias », ipso facto, une réduction du pluralisme. J’ai quelques questions à poser à ces aspirants régulateurs de média : « Si CNews cessait d’exister, est-ce qu’il n’y aurait plus d’actes terroristes, de Bataclan, de meurtres barbares dans nos villes, dans nos campagnes, perpétrés par des profils récurrents ? Le gendarme Eric Comyn tué par un multirécidiviste sera-t-il ressuscité par vos soins dans cette hypothèse ? » En somme, tout ce qui entrave votre propre narratif, devra-t-il être passé sous silence pour perpétuer vos utopies, à l’abri des objections massives et répétées que le réel vous fournit sans vous émouvoir, et ce, au prix de vies humaines – vie humaines probablement non démocratiques et pas assez régulées sans doute ?
Vous me faîtes penser à ces gens qui infèrent de la mécanique quantique une épistémologie subjectiviste. Je m’explique : vous pensez que le regard porté sur une réalité va conditionner son existence ou sa non-existence, altérer son comportement, à la manière dont les ondes-particules observées par le physicien subissent les altérations de l’observateur. Je suis navré de vous livrer une mauvaise nouvelle : ce n’est pas en cessant de parler de ces événements qu’ils n’auront plus cours. Par contre, tenter de les dissimuler au regard de la population ne fera qu’aggraver le ressentiment à votre égard de cette même population. L’Évangile avait déjà prévu cette illusion somme toute très enfantine :
« Je vous le dis, s’ils se taisent, les pierres crieront. » (Luc, 19, 40).
Éternels Tartuffes
Ce qu’il y a de plus ignoble en définitive c’est d’être le bras armé du totalitarisme qui se met en place en se réclamant de valeurs démocratique et humaniste : obscénité du tartuffe éternel ! Vous souvenez-vous d’un certain Andreï Tchikatilo, tueur en série cannibale né le 16 octobre 1936 à Iablotchnoïe et mort le 14 février 1994 à Novotcherkassk à l’époque de l’URSS ? Il a pu sévir si longtemps sans être inquiété parce qu’il était inconcevable pour le régime que de telles horreurs aient pu avoir lieu dans le paradis socialiste. Combien de crimes prospèrent à l’ombre du déni ! Comme disait Céline :
« Les assassins voient l’avenir en rose, ça fait partie du métier. »
S’il ne faut pas désespérer Billancourt selon le mot imbécile de Sartre – ce dont il s’était fait une spécialité -, permettez-nous de désespérer de la lucidité des journalistes de gauche sur la société dont ils occultent la réalité par leurs funestes fantasmes. Mais un aveugle qui, sur son plateau, suscite l’ire d’un homme portant barbe pour l’avoir mégenré — ce dernier étant non-binaire — selon cette terminologie crétine et s’en excuse platement, avec la servilité qu’impose une idéologie qui a le vent en poupe, peut-il vraiment donner des leçons d’analyse (télé)visuelle ? Si ça vous paraît absurde c’est que vous méritez une bonne régulation, tout comme votre serviteur !
Jean Montalte
Voir aussi : Daniel Schneidermann, portrait
Photo : Tomkiou via Wikimédia (cc)