Ojim.fr
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Lucie Castets et Daniel Schneidermann sont dans un bateau

6 septembre 2024

Temps de lecture : 9 minutes
Accueil | Polémique | Lucie Castets et Daniel Schneidermann sont dans un bateau

Lucie Castets et Daniel Schneidermann sont dans un bateau

Temps de lecture : 9 minutes

Le ton de l’Observatoire du journalisme (OJIM) est volontairement mesuré. Nous sommes dans l’analyse, pas dans l’éditorial. Avec un style parfois un peu trop neutre que certains lecteurs nous reprochent gentiment. Pour mettre un peu de piquant, nous inaugurons une rubrique « Polémique », dont le premier signataire est le journaliste Jean Montalte, de la revue Éléments. Les intertitres sont de notre rédaction.

La France, telle un « tas d’ordures martyrisé »

La France, tel Antonin Artaud, est dev­enue « un hail­lon vivant, un tas d’or­dures mar­tyrisé », elle réclame à cor et à cri, non des baumes pour pro­longer son mal en l’é­touf­fant, mais une chirurgie pour se refaire, se reforg­er un « corps désen­voûté. » Il faut s’at­ten­dre à ce que les ren­tiers d’un sys­tème mori­bond ne l’en­ten­dent pas de cette oreille, cette oreille qu’ils se sont empressés de couper, à l’in­star de Van Gogh, ce « sui­cidé de la société ». Mais cette muti­la­tion est des­tinée à un autre usage : ne pas enten­dre un peu­ple au seuil d’une rup­ture de ban sans précé­dent avec toute une caste dev­enue hors d’usage à force de trahi­son. Quant à ceux qui s’a­van­cent pour les rem­plac­er dans la car­rière, c’est la foire d’empoigne aux doux dingues, aux représen­tants auto-désignés du Bien comme il pul­lule de nos jours des autistes Asperg­er et autres HPI auto-diag­nos­tiqués. Pour le dire en un mot : des petits pio­ns aux petits pieds qui dis­simu­lent mal der­rière leur pro­fes­sion de foi human­iste et démoc­ra­tique le pru­rit de volon­té de puis­sance qui les démange. Par­fois, mais alors avec un doigté tout à fait pianis­si­mo et dans un accès de scep­ti­cisme coupable et hon­teux, on est ten­té de se dire :

« De quel droit ? »

Délire bachique et CNews

Lucie Castets fut désignée – avec une légitim­ité évidem­ment incon­testable — par le NFP pour occu­per le poste de pre­mier min­istre. Dit-on pre­mière min­istre ? Com­bat d’a­vant-garde ou d’ar­rière-garde, me direz-vous, alors pas­sons sur les sem­piter­nelles pal­abres lin­guis­tiques. Hegel, dans sa Phénoménolo­gie de l’E­sprit a écrit : « la vérité est le délire bachique où il n’y a pas un seul mem­bre qui ne soit ivre. » Dans un élan d’ivresse ana­ly­tique cette même Lucie Castets, prob­a­ble­ment ivre de vérité (Prav­da pour les intimes du stal­in­isme) livra pro­con­sulaire­ment son com­men­taire lors de l’u­ni­ver­sité d’été organ­isée par LFI – com­men­taire éclairé, tamisé, obom­bré, nuancé, comme qui dirait exé­cuté à l’aquarelle ou selon une tech­nique impres­sion­niste gauchis­to-décon­stru­ite — au sujet des résul­tats élec­toraux récents qui ont fait suite à la dis­so­lu­tion proclamée par Macron.

Accrochez-vous, c’est du costaud, ama­teurs de prosodie bien cadencée, ouvrez grand vos esgour­des : « Beau­coup de gens qui ont voté pour le Rassem­ble­ment Nation­al, y com­pris parce qu’ils adhèrent à des thès­es racistes, qui sont des thès­es qui sont con­stru­ites, non pas par le fruit de leur expéri­ence, qu’ils auraient vécue dans leur vie quo­ti­di­enne, mais parce qu’en fait ils regar­dent CNews et que sur CNews, c’est dit que « les noirs et les arabes ils sont méchants et qu’il y en a trop en France ». C’est véridique, les gens dis­ent ça et c’est parce qu’ils regar­dent CNews et je pense qu’il faut davan­tage réguler la presse et les médias. »

Nous avons dû, pour les besoins de la com­préhen­sion, cor­riger quelque peu la syn­taxe, en prenant soin toute­fois de ne pas altér­er le sens des pro­pos. Quelques séances d’ortho­phonie devraient arranger tout cela. Pour ma part, j’ig­nore si la « régu­la­tion de la presse et des médias » serait une bonne chose pour la vie démoc­ra­tique, quoique j’ai mon idée, mais, ce qui est cer­tain, c’est qu’une aspi­rante cheffe du gou­verne­ment devrait maîtris­er un français même élé­men­taire. L’é­mo­tion, sans doute. Que celui qui n’a pas bafouil­lé devant un audi­toire d’ex­trême gauche en leur promet­tant la cen­sure de leurs opposants poli­tiques lui jette la pre­mière pierre !

La liberté selon Daniel Schneidermann

Dans un tweet du 27 août 2024 et qui va nous intéress­er plus par­ti­c­ulière­ment, Daniel Schnei­der­mann a for­mulé un com­men­taire sur cette sor­tie de Lucie Castets : « Mer­ci pour cet extrait, qui rap­pelle que Lucie Castets, comme tout le NFP, est favor­able à davan­tage de régu­la­tion de la presse et des médias ( réforme en effet indis­pens­able à la sauve­g­arde de la démoc­ra­tie ). » L’in­ter­ven­tion de Lucie Castets ne pou­vait pas ne pas recevoir un écho favor­able auprès du fon­da­teur du col­lec­tif STOP Bol­loré, dont l’in­ti­t­ulé suf­fit à car­ac­téris­er la mis­sion qu’il se pro­pose de men­er à bien. « Ma pre­mière rup­ture poli­tique est l’élec­tion de Sarkozy et le fait qu’il aille pass­er les pre­miers jours de sa prési­dence sur le Yatch de Bol­loré », affirmera Daniel Schnei­der­mann lors d’un entre­tien accordé à la chaîne youtube Elu­cid sobre­ment inti­t­ulé : « D’Hitler à notre ère : l’aveu­gle­ment des médias face aux rup­tures. » Dans ce même entre­tien, il reprochera à l’AR­COM sa frilosité dans sa sur­veil­lance et, le cas échéant cen­sure de CNews. Il ironisera :

« Lib­erté ! Lib­erté ! Lib­erté ! Comme si seule comp­tait la lib­erté de Bolloré. »

Niet­zsche soute­nait que nous avions les pen­sées que nous méri­tions en fonc­tion de notre style de vie. Vous me direz, nous avons égale­ment les rup­tures poli­tiques que nous méri­tons. Pour cer­tains ce fut la guerre des Balka­ns, le vote bafoué des français en 2005 au sujet de la con­sti­tu­tion européenne, le mas­sacre du Bat­a­clan. En somme toutes ces petites turpi­tudes bénignes. Pour d’autres, plus axés sur la col­lu­sion entre le monde des médias et de la poli­tique – ce qui est loin d’être dénué d’im­por­tance il s’en­tend – c’est une his­toire de trem­pette dans les eaux trou­bles de la droite décom­plexée. Évidem­ment, le fait que nos impôts finan­cent France Inter, sta­tion qui a fait ouverte­ment cam­pagne pour la gauche – sous cou­vert de « front répub­li­cain » — et craché allè­gre­ment au vis­age des citoyens qui ne parta­gaient par ses incli­na­tions poli­tiques, n’a pas l’heur d’é­mou­voir mon­sieur Schnei­der­mann. Il est vrai qu’il ne s’ag­it ici pas de sa rup­ture poli­tique motivée par son ancrage idéologique gauchiste, seule­ment celle des médias sub­ven­tion­nés et du peu­ple qui casque pour pen­sion­ner sa pro­pre manipulation.

Le petit parcours de Daniel

En effet, Daniel Schnei­der­mann, se posant en cham­pi­on de l’ob­jec­tiv­ité et de la déon­tolo­gie en matière de presse et de médias, a pour­tant un par­cours qui le mar­que à gauche sans ambiguïté. Il fut, dans ses jeunes années, mil­i­tant à la sec­tion du Lycée Hen­ry IV de l’Union des étu­di­ants com­mu­nistes. D’abord jour­nal­iste et chroniqueur au jour­nal Le Monde (péri­ode Edwy Plenel) il sera par la suite engagé par le jour­nal Libéra­tion. En résumé des con­tri­bu­tions pour des jour­naux qui n’ont jamais fait mys­tère de leurs allégeances idéologiques.

Il créera, en 1995 l’émis­sion heb­do­madaire Arrêts sur images pour France 5, qui sera finale­ment dépro­gram­mée par la chaîne et trou­vera refuge sur Inter­net. Le con­cept de l’émis­sion dont l’adage est « La cri­tique média en toute indépen­dance », sera axé autour de l’analyse de l’im­age ou analyse télévi­suelle, et sera le fruit d’une élab­o­ra­tion col­lec­tive, regroupant Daniel Schnei­der­mann, Arnaud Viviant et Alain Rémond. À l’in­star de la zété­tique qui se pro­pose d’é­val­uer la solid­ité des théories sci­en­tifiques en tout genre en débusquant les biais d’in­ter­pré­ta­tion, les par­al­o­gismes et autres recettes sophisitques, Arrêt sur images se don­nera pour mis­sion de con­trôler le con­tenu des dis­cours et procédés médi­a­tiques pour décel­er les entors­es à la déon­tolo­gie et les tech­niques de manip­u­la­tion. Sans doute est-ce pur hasard mais ce cher Arnaud Viviant a été can­di­dat aux lég­isla­tives de 2017 dans la dix-huitième cir­con­scrip­tion de Paris, sous l’é­ti­quette extrême gauche. Il déclar­era, lors d’un entre­tien accordé le 28 jan­vi­er 2022 à la Nou­velle Union Pop­u­laire : « Votons Jean-Luc Mélen­chon pour oxygén­er la démocratie. »

La démocratie et la régulation

Si le mot d’or­dre de la démoc­ra­tie, de la « société ouverte » et qui fai­sait sa fierté était autre­fois le plu­ral­isme, désor­mais la bonne san­té de cette même démoc­ra­tie exig­erait « davan­tage de régu­la­tion de la presse et des médias », ipso fac­to, une réduc­tion du plu­ral­isme.  J’ai quelques ques­tions à pos­er à ces aspi­rants régu­la­teurs de média : « Si CNews ces­sait d’ex­is­ter, est-ce qu’il n’y aurait plus d’actes ter­ror­istes, de Bat­a­clan, de meurtres bar­bares dans nos villes, dans nos cam­pagnes, per­pétrés par des pro­fils récur­rents ? Le gen­darme Eric Comyn tué par un mul­ti­ré­cidi­viste sera-t-il ressus­cité par vos soins dans cette hypothèse ? » En somme, tout ce qui entrave votre pro­pre nar­ratif, devra-t-il être passé sous silence pour per­pétuer vos utopies, à l’abri des objec­tions mas­sives et répétées que le réel vous four­nit sans vous émou­voir, et ce, au prix de vies humaines – vie humaines prob­a­ble­ment non démoc­ra­tiques et pas assez régulées sans doute ?

Vous me faîtes penser à ces gens qui infèrent de la mécanique quan­tique une épisté­molo­gie sub­jec­tiviste. Je m’ex­plique : vous pensez que le regard porté sur une réal­ité va con­di­tion­ner son exis­tence ou sa non-exis­tence, altér­er son com­porte­ment, à la manière dont les ondes-par­tic­ules observées par le physi­cien subis­sent les altéra­tions de l’ob­ser­va­teur. Je suis navré de vous livr­er une mau­vaise nou­velle : ce n’est pas en ces­sant de par­ler de ces événe­ments qu’ils n’au­ront plus cours. Par con­tre, ten­ter de les dis­simuler au regard de la pop­u­la­tion ne fera qu’ag­graver le ressen­ti­ment à votre égard de cette même pop­u­la­tion. L’É­vangile avait déjà prévu cette illu­sion somme toute très enfantine :

« Je vous le dis, s’ils se taisent, les pier­res crieront. » (Luc, 19, 40).

Éternels Tartuffes

Ce qu’il y a de plus igno­ble en défini­tive c’est d’être le bras armé du total­i­tarisme qui se met en place en se récla­mant de valeurs démoc­ra­tique et human­iste : obscénité du tartuffe éter­nel ! Vous sou­venez-vous d’un cer­tain Andreï Tchikati­lo, tueur en série can­ni­bale né le 16 octo­bre 1936 à Iablotch­noïe et mort le 14 févri­er 1994 à Novotcherkassk à l’époque de l’URSS ? Il a pu sévir si longtemps sans être inquiété parce qu’il était incon­cev­able pour le régime que de telles hor­reurs aient pu avoir lieu dans le par­adis social­iste. Com­bi­en de crimes prospèrent à l’om­bre du déni ! Comme dis­ait Céline :

« Les assas­sins voient l’avenir en rose, ça fait par­tie du métier. »

S’il ne faut pas dés­espér­er Bil­lan­court selon le mot imbé­cile de Sartre – ce dont il s’é­tait fait une spé­cial­ité -, per­me­t­tez-nous de dés­espér­er de la lucid­ité des jour­nal­istes de gauche sur la société dont ils occul­tent la réal­ité par leurs funestes fan­tasmes. Mais un aveu­gle qui, sur son plateau, sus­cite l’ire d’un homme por­tant barbe pour l’avoir mégen­ré — ce dernier étant non-binaire — selon cette ter­mi­nolo­gie cré­tine et s’en excuse plate­ment, avec la ser­vil­ité qu’im­pose une idéolo­gie qui a le vent en poupe, peut-il vrai­ment don­ner des leçons d’analyse (télé)visuelle ? Si ça vous paraît absurde c’est que vous méritez une bonne régu­la­tion, tout comme votre serviteur !

Jean Mon­talte

Voir aus­si : Daniel Schnei­der­mann, portrait

Pho­to : Tomkiou via Wikimé­dia (cc)