En début d’année 2021, nous avons souligné que la fraude sociale était un sujet majeur en France mais pourtant largement passé sous silence dans les médias de grand chemin. M6 a consacré un reportage à la fraude sociale lors de l’émission Capital du 17 janvier. Une initiative louable que nous mentionnons par soucis d’équité mais qui n’échappe pourtant pas à certaines critiques.
Dénoncer la fraude sociale, un sujet glissant
Le mois de septembre de l’année 2020 a été marqué par trois parutions importantes sur la fraude sociale en France : un rapport de la cour des comptes, le livre « Cartel des fraudes » écrit par le magistrat Charles Prats et un rapport parlementaire comportant de nombreuses préconisations en la matière.
En dépit de ces travaux, le sujet de la fraude sociale est peu traité dans les médias de grand chemin.
Pourtant, après avoir mené une longue enquête sur le sujet, Charles Prats a estimé dans son essai que la fraude sociale avait en France une ampleur considérable, qui pourrait avoisiner 50 milliards d’euros par an. Quand il est interviewé par des journalistes, il se défend d’assimiler les bénéficiaires d’aides sociales aux fraudeurs et il juge cette association insultante.
Rien n’y fait, la dénonciation de la fraude sociale apparait toujours pour une partie du clergé médiatique comme une « chasse aux pauvres ». Autre accusation courante : la surestimation des sommes en jeu.
Pour ne citer qu’un exemple, le journaliste Dominique Seux n’a pas pu s’empêcher dans une chronique en septembre 2019 sur France inter de minimiser le phénomène de la fraude sociale. Il est vrai que parler de ce sujet est relativement infamant. D’ailleurs « Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan s’emparent du sujet, reprennent les chiffres, dénoncent un scandale ». On est donc loin du cercle de la respectabilité et des sujets que l’on peut traiter entre gens de bonne compagnie.
Mal en a pris à Dominique Seux. Se basant sur un communiqué du sénat, il affirmait dans sa chronique que la perte financière liée aux usurpations d’identité et aux faux documents serait minime, tout au plus 117 à 139 millions d’euros. Un épiphénomène en somme…De récentes enquêtes accréditent pourtant le caractère massif de la fraude sociale. Selon le rapport de la cour des comptes paru en septembre 2020, il y aurait un écart de 8,2 millions d’assurés sociaux entre le population française et le nombre de bénéficiaires de la sécu. Le magistrat Charles Prats n’a pourtant pas vu Dominique Seux faire amende honorable et mettre à jour sa position à ce sujet.
La fraude sociale, un sujet à part entière
Il faut donc saluer l’initiative de la chaine M6 de consacrer un reportage à la fraude sociale lors de l’émission du dimanche 17 janvier, même si 2 autres sujets étaient au sommaire de l’émission Capital sur le « grand gaspillage ».
Premier étonnement : l’ampleur du phénomène de la fraude sociale évalué par Charles Prats à près de 50 milliards d’euros aurait pu justifier une émission dédiée à part entière à ce sujet. Mais ne boudons pas notre plaisir dans le contexte d’indifférence généralisé de nombreux médias.
Deuxième étonnement : la brièveté du passage de Charles Prats lors de l’émission.
Cela fait réagir sur Twitter Le logement vous appauvrit
#Capital @CapitalM6@CharlesPrats fait un travail énorme… Et écrit un livre dingue !
Mais on le voit 1 minute !@M6 vous êtes culottés ! pic.twitter.com/IVj47jy1jy
— Melancholia : l’effondrement arrive 😊 (@Julien67753394) January 17, 2021
Troisième étonnement. C’est Charles Prats lui-même qui réagit sur Twitter sur les coupures au montage de ses interventions lors du tournage de l’émission :
⛔️Il ne fallait peut-être pas non plus qu’on voie à une heure de grande écoute que j’expliquais à #Capital que le fraudeur à la Sécu qu’on voit repéré par les députés n’est autre qu’un terroriste fondateur de Daesh, l’Etat islamique, en montrant les documents… #CoupéAuMontage https://t.co/KG57qj1172
— Charles Prats 🇫🇷⚖️ (@CharlesPrats) January 17, 2021
Quatrième étonnement : pas un mot n’est dit dans le reportage sur l’instauration de la carte vitale biométrique qui selon certains spécialistes permettrait de lutter efficacement contre une partie de la fraude sociale. Il est vrai que les députés LREM ont rejeté cette proposition récemment.
En résumé, un courageux choix éditorial de traiter ce sujet, sachant que Charles Prats fait depuis ses révélations l’objet de menaces. Mais un reportage trop court et un maniement un peu trop frénétique du ciseau au montage, qui en limite la portée….
Nous laisserons la conclusion à Fraude sociale sur Twitter, qui reprend les termes employés par Capital, le journal cette fois :
« L’augmentation massive des déficits avec la crise du #Covid19 va provoquer des choix fiscaux douloureux. A moins d’accepter enfin de traiter la question des 50 milliards d’euros de fraudes aux prestations sociales…». Un vrai sujet de société… et de reportage à venir ?