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Macron et la Palestine : une annonce décortiquée par les médias

14 avril 2025

Temps de lecture : 8 minutes
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Macron et la Palestine : une annonce décortiquée par les médias

Temps de lecture : 8 minutes

Le 9 avril 2025, Emmanuel Macron lâche une bombe diplomatique pendant l’émission C à Vous de France 5 : la France envisage de reconnaître un État palestinien dès juin 2025, lors d’une conférence onusienne co-organisée avec l’Arabie saoudite.

Cette déc­la­ra­tion, pronon­cée après un voy­age en Égypte, résonne dans un Moyen-Ori­ent en crise. Rapi­de­ment, les rédac­tions s’emparent de l’événement. Le Monde, Le Figaro, Libéra­tion, France 2, BFMTV, CNews et LCI livrent des lec­tures con­trastées – diplo­ma­tiques, sécu­ri­taires, human­i­taires – révélant la diver­sité des regards médi­a­tiques. Retraçons ces approches distinctes.

Une mosaïque de récits dans la presse écrite

Le Monde ou l’analyse distanciée

Le Monde abor­de l’annonce avec une rigueur ana­ly­tique, scru­tant ses enjeux stratégiques. Dans son édi­tion du 10 avril 2025, le jour­nal cite Macron : « On doit aller vers une recon­nais­sance [de l’État pales­tinien] et donc, dans les prochains mois, on ira. » Sous la plume de Marc Semo, l’article pré­cise que cet objec­tif repose sur un effort col­lec­tif pour relancer une solu­tion à deux États, tout en soulig­nant que l’opposition d’Israël et la fragilité de l’Autorité pales­tini­enne ren­dent cette démarche incer­taine. Le Monde explore avec soin les dynamiques entre Riyad, Wash­ing­ton et Tel Aviv, offrant une per­spec­tive nuancée.

Sou­vent aligné sur les pri­or­ités diplo­ma­tiques français­es, Le Monde traduit une pru­dence qui reflète les équili­bres déli­cats de l’Élysée face à ses alliés internationaux.

Le Figaro : l’alerte sécuritaire

Le Figaro exam­ine l’annonce avec réserve, met­tant en lumière les cri­tiques qu’elle sus­cite. Le 9 avril 2025, le quo­ti­di­en titre : « La France pour­rait recon­naître l’État pales­tinien “en juin”, annonce Macron. » Le jour­nal relaie les pro­pos de Gideon Saar, min­istre israélien des Affaires étrangères, qui aver­tit : « Une recon­nais­sance uni­latérale d’un État pales­tinien sera une récom­pense pour le ter­ror­isme. » Le Figaro note égale­ment que le Hamas qual­i­fie l’initiative d’« une étape impor­tante », un point qui attise les débats. Georges Mal­brunot, expert du Moyen-Ori­ent, inter­roge les réper­cus­sions sur la sta­bil­ité régionale.

Das­sault, un acteur majeur de l’industrie de l’armement, entre­tient des liens com­mer­ci­aux avec Israël, un client clé pour ses équipements mil­i­taires. Cette con­nex­ion pour­rait expli­quer pourquoi Le Figaro, pro­priété du groupe Das­sault, met sou­vent en avant les men­aces sécu­ri­taires que peu­vent faire peser des ini­tia­tives pro-pales­tini­ennes, comme l’annonce de Macron sur une pos­si­ble recon­nais­sance de la Pales­tine. En insis­tant sur les réac­tions israéli­ennes ou les risques diplo­ma­tiques, le jour­nal pour­rait refléter – con­sciem­ment ou non – les préoc­cu­pa­tions de ses pro­prié­taires, soucieux de préserv­er des con­trats lucrat­ifs. Un rap­port très pré­cis pub­lié par le col­lec­tif Stop Arm­ing Israel France met en lumière la col­lab­o­ra­tion des grands groupes français tels que Das­sault, Air­bus, Thales, avec Israël, notam­ment dans le domaine de la défense.

Libération : une voix humanitaire et anticoloniale

Libéra­tion ancre l’annonce dans la crise à Gaza, soulig­nant son poten­tiel pour raviv­er les espoirs de paix. Le jour­nal met en avant les épreuves des Pales­tiniens, adop­tant une tonal­ité human­i­taire. Cette cou­ver­ture s’inscrit dans la tra­di­tion anti­colo­niale de Libéra­tion, qui résonne auprès d’un lec­torat acquis à cette cause.

Libéra­tion, qui tient des posi­tions pro-pales­tini­ennes assumées, pour­rait avoir des raisons d’un ordre plus poli­tique à le faire. En effet, étant très proche de la gauche anti-sion­iste, ayant pris le par­ti du NFP aux dernières élec­tions lég­isla­tives, Libéra­tion prend soin de ménag­er une cer­taine com­posante com­mu­nau­taire de son lec­torat et, par voie de con­séquence un seg­ment de l’élec­torat des par­tis de gauche.

Les chaînes d’information : un kaléidoscope cathodique

France 2 : l’angle pédagogique

France 2 opte pour une approche éclairante. Le 9 avril 2025, son jour­nal de 20 heures, présen­té par Anne-Sophie Lapix, intro­duit l’annonce ain­si : « Emmanuel Macron envis­age de recon­naître un État pales­tinien en juin 2025, un pari auda­cieux dans un con­texte de vio­lences à Gaza. » Un reportage, enrichi de cartes et d’une chronolo­gie (1947, 1967), décrypte les enjeux diplo­ma­tiques pour un large pub­lic, dans un souci de clarté.

BFMTV : l’urgence de l’instant

BFMTV se lance dans une cou­ver­ture tous azimuts, cap­tant l’annonce avec une réac­tiv­ité élec­trique. Dès le 9 avril, les ban­deaux claque­nt : « Macron prêt à recon­naître la Pales­tine : un tour­nant diplo­ma­tique ? ». Des cor­re­spon­dants à Paris, Jérusalem et Ramal­lah relaient les pre­mières réac­tions. La chaîne dif­fuse la déc­la­ra­tion du Hamas – « une étape impor­tante » (Al-Mon­i­tor, 10 avril 2025) – mais cette reprise, par­fois peu con­tex­tu­al­isée, sus­cite des cri­tiques sur X, où cer­tains accusent BFMTV de don­ner la parole à une organ­i­sa­tion ter­ror­iste comme s’il s’agis­sait d’un inter­locu­teur légitime.

Avec des ban­deaux accrocheurs comme « Macron prêt à recon­naître la Pales­tine : un tour­nant ? », la chaîne mise sur le sen­sa­tion­nal­isme pour capter l’attention dans un flux numérique sat­uré. En priv­ilé­giant les déc­la­ra­tions choc au détri­ment d’analyses com­plex­es, elle répond aux attentes des algo­rithmes, qui favorisent les con­tenus émo­tion­nels et immé­di­ats. Cette stratégie max­imise l’audience, mais réduit l’information à une suc­ces­sion de flash­es décontextualisés.

CNews : la vigilance sécuritaire

CNews met l’accent sur les inquié­tudes. La chaîne cite Gideon Saar, qui dénonce une « récom­pense pour le ter­ror­isme » (The Jerusalem Post, 10 avril 2025), et relève que le Hamas voit l’annonce comme « une étape impor­tante » (Al-Mon­i­tor, 10 avril 2025). Cette approche, cen­trée sur les risques, attire sur X des remar­ques pointant un manque de pluralisme.

LCI : le carrefour des idées

LCI priv­ilégie le débat, réu­nis­sant des experts le 9 avril 2025 pour analyser les impli­ca­tions de l’annonce. En évi­tant de se lim­iter aux réac­tions les plus tranchées, la chaîne pro­pose une cou­ver­ture mesurée, favorisant une réflex­ion approfondie.

Échos internationaux : un spectre de visions

Les médias étrangers traduisent des pri­or­ités pro­pres. Reuters informe : « Macron a déclaré que la France pour­rait recon­naître un État pales­tinien en juin, espérant un mou­ve­ment col­lec­tif » (9 avril 2025). Al Jazeera rap­porte : « Une étape vers l’autodétermination, saluée par les dirigeants à Ramal­lah » (9 avril 2025). The Jerusalem Post cri­tique : « Gideon Saar a qual­i­fié la déci­sion de Macron de coup de pouce pour le Hamas » (10 avril 2025). The Guardian observe : « L’annonce de Macron pour­rait relancer les dis­cus­sions, mais risque de ten­dre les rela­tions avec Israël » (10 avril 2025). WAFA salue : « Cette recon­nais­sance réaf­firme l’engagement de la France envers le droit inter­na­tion­al » (10 avril 2025).

Vives controverses

Le Parisien sus­cite des con­tro­ver­s­es d’une rare inten­sité, étant accusé par cer­tains inter­nautes de se faire le relai du Hamas, comme si l’organisation ter­ror­iste était un inter­locu­teur comme un autre. En effet, le jour­nal titre : « « Une étape impor­tante : le Hamas salue la volon­té française de recon­naître l’État pales­tinien . » Flo­rence Bergeaud-Black­er, prési­dente du CERIF (Cen­tre de recherche sur le frérisme) évoque un « bais­er de la mort ». Claude Poster­nak, fon­da­teur du baromètre Poster­nak Ifop écrit : « Emmanuel, les 24 otages, encore vivants, te maud­is­sent. » Driss Ghali com­mente avec ironie l’éventuelle recon­nais­sance de la Pales­tine sur les plateaux de CNews : « Emmanuel Macron est devenu comme un chef d’É­tat arabe. ». Tou­jours sur CNews, Gérard Larcher, prési­dent du Sénat, s’oppose fer­me­ment à la recon­nais­sance d’un État pales­tinien dans le con­texte actuel : « Cela reviendrait à légitimer le Hamas, une organ­i­sa­tion ter­ror­iste respon­s­able du mas­sacre du 7 octo­bre. » Rachel Khan évoque, quant à elle « une nou­velle trahison ».

Un contexte géopolitique tendu

Env­i­ron 145 pays, dont la Norvège, l’Irlande et l’Espagne, recon­nais­sent la Pales­tine. En France, des man­i­fes­ta­tions pro-pales­tini­ennes et pro-israéli­ennes traduisent une société polar­isée. Israël, par la voix de Ben­jamin Netanyahu, rejette l’initiative, tan­dis que les Pales­tiniens y perçoivent une ouver­ture au dia­logue. Les rela­tions avec les États-Unis, sous Don­ald Trump, pour­raient s’en trou­ver influencées.

Conclusion : un puzzle médiatique

L’annonce de Macron a don­né lieu à une mosaïque d’interprétations. Le Monde explore la diplo­matie, Le Figaro souligne les risques, Libéra­tion met l’accent sur l’humanitaire. France 2 éclaire, BFMTV relaie en temps réel, CNews met en garde, LCI favorise le débat. Quelle lec­ture s’imposera ?

Dans un Tweet du 11 avril, Emmanuel Macron sem­ble vouloir sif­fler la fin de la par­tie des inter­pré­ta­tions tous azimuts : « Je lis ici tout et n’importe quoi sur nos inten­tions pour Gaza. Voici la posi­tion de la France, elle est claire : Oui à la paix. Oui à la sécu­rité d’Israël. Oui à un État pales­tinien sans le Hamas. Cela exige la libéra­tion de tous les otages, un cessez-le-feu durable, la reprise immé­di­ate de l’aide human­i­taire et la recherche d’une solu­tion poli­tique à deux États. La seule voie pos­si­ble est poli­tique. Je défends le droit légitime des Pales­tiniens à un État et à la paix, comme celui des Israéliens à vivre en paix et sécu­rité, l’un et l’autre recon­nus par leurs voisins. La con­férence pour les deux États en juin prochain doit être un tour­nant. Je fais mon max­i­mum avec nos parte­naires pour attein­dre cet objec­tif de paix. Nous en avons tant besoin. Pour réus­sir, nous ne devons relâch­er aucun effort. Ne cédons à aucun rac­cour­ci, à aucune provo­ca­tion. Ne lais­sons pas prospér­er les fauss­es infor­ma­tions et manip­u­la­tions. Par-dessus tout, restons unis. » Un dis­cours régalien qui per­met d’occulter les impass­es de la poli­tique intérieure et les fragilités du gou­verne­ment Bayrou.

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