[Rediffusions estivales 2017 – article publié initialement le 01/05/2017]
Le candidat fabriqué par les médias et la finance semble en passe d’accéder à la présidence de la République française, révélant, au moment où le pouvoir médiatique apparaît plus délégitimé que jamais, son coup de force suprême qui, à défaut d’une quelconque alternance, est au contraire en train de faire entrer la France dans une ère post-démocratique.
Galvanisation des masses, propagande, hystérie, manipulation, fuite en avant… Derrière le micro un pantin gesticule, il profite de la crise et de la crainte qu’inspire à la bourgeoisie le parti des ouvriers… Tout cela ne nous rappelle-t-il pas des heures où il était impossible de se déplacer sans une lampe de poche ? Ne voit-on pas les mêmes gigantesques mises en scène, à l’aube d’une élection capitale, au service d’un candidat offrant à chacun son couplet sans la moindre cohérence, celle-ci éludée au profit d’une pure exaltation de l’énergie, comme on le voit faire Hitler dans Le Triomphe de la Volonté de Leni Riefenstahl, lors de la campagne de 1933 ? Puisque les jours qui nous attendent mettront à la pensée politique le joug du Point Godwin, allons‑y, prenons honnêtement ce chemin par pur exercice intellectuel et voyons… Le fascisme n’a jamais été une anti-démocratie où on couperait le micro, il est une perversion démocratique par saturation univoque du micro. Qui a tous les médias avec lui ? Le Pen, ou Macron ? En ce sens, évidemment que s’il est une campagne électorale que l’on pourrait rapprocher aujourd’hui de celle d’Hitler et ses sbires, c’est bien celle de Macron et des siens – Jacques Attali, Pierre Bergé, Thierry Pech (le fondateur de « Terra Nova »), Xavier Niel, Alain Minc, qui portent tous, d’ailleurs, à défaut d’un « programme », du moins un projet utopiste, lequel, s’il ne cherche pas à réaliser le « surhumain », vise néanmoins le « transhumain ».
Apogée du zombie
Si durant toute la campagne le candidat du vide — ni droite ni gauche, ou de gauche comme de droite, mais aussi d’en-haut et d’en bas, ou tout au contraire — a bénéficié non du fond, mais de la forme en trompe‑l’œil qui fait passer pour neuf un membre du gouvernement sortant le plus détesté de la Ve République, cet avatar-caméléon-du-même qui carbure au pouvoir financier et est exalté par une coalition médiatique inédite, s’est vu couronné par les journalistes dès sa sélection au second tour, dimanche 23 avril dernier, avec une jubilation consanguine étonnante. On se réjouissait en famille au moment de hisser, de manière un peu précipitée, au-dessus de la garde-robe politique française, le porte-manteau du programme d’Attali. L’analyste des médias Daniel Schneidermann l’énoncerait clairement : « S’il reste quelques citoyens qui n’ont pas compris comment les médias ont imposé Macron comme une évidence, alors qu’ils se précipitent sur le replay de la soirée électorale de France 2. Toute la mécanique s’y dévoile. Évidemment, il y a la collection complète des couvertures de l’Obs, les éditos à répétition des snipers de Challenges, les opportunes pétitions d’économistes. Tout ceci constitue un bloc de propagande visible. Mais le plus efficace, sans doute fut-ce la propagande invisible. “On a l’impression de voir un président élu, et c’est assez impressionnant” , s’émerveilla le journaliste Jeff Wittenberg, sans réaliser que ces “images d’un président élu”, il en était lui-même le fabricant, lui et sa chaîne, et tous les autres. Dans l’écriture télévisuelle française, ce type de course-poursuite motorisée est habituellement réservé à la berline du vainqueur du second tour. Si on pistait ainsi Macron, pourquoi ne pistait-on pas pareillement Marine Le Pen à Hénin-Beaumont ? »
Duce 2.0
Le joker du conglomérat médiatico-financier, c’est lui, et dans une ère post-démocratique, il a cet atout d’avoir compris les nouveaux rapports de forces et de jouer à fond la post-démocratie, la post-nation, le post-humain pour le plus grand bénéfice des tenants du libéralisme mondialisé. Passer de la finance aux médias et des médias à la finance, du pognon à la pub et de la pub au pognon, en ayant largué toute tradition, toute idéologie, tout concept et tout peuple historique, est un choix franc et dynamique. L’archétype du nouvel homme d’État n’a plus qu’à se confondre avec le yuppie sous coke hurlant des slogans vides devant des caméras multipliées. Duce 2.0. Même Aude Lancelin, journaliste périmée et trahie par sa caste, qui, après avoir joui toute sa carrière dans les jupes du pouvoir, s’invente rebelle une fois au chômage et se met à vouloir jouer à l’OJIM, même Aude Lancelin, donc, ne peut que compléter nos diagrammes en évoquant un « putsch du CAC 40 » : « Il y a des années que Macron plaçait ses pions auprès des géants des médias. Déjà lorsqu’il était banquier d’affaires chez Rothschild, le protégé d’Alain Minc avait conseillé le groupe Lagardère pour la vente de ses journaux à l’international. Excellentes aussi, les relations entretenues par Macron avec le sulfureux patron de Canal+, Vincent Bolloré (…). Très étroites également, celles qu’il a avec le fils de ce dernier, Yannick Bolloré, PDG d’Havas, géant de la communication mondiale. Avec le groupe de Patrick Drahi, c’est carrément la love story à ciel ouvert, même si en période électorale les pudeurs de carmélite s’imposent. Ainsi le Directeur général de BFM TV est-il régulièrement obligé de se défendre de faire une “Télé Macron”, sans convaincre grand monde (…). Lorsque Martin Bouygues et Patrick Drahi s’affronteront pour le rachat du groupe SFR, c’est Macron lui-même, alors secrétaire général de l’Elysée, qui jouera un rôle décisif en faveur de ce dernier. » Quant aux relations de connivence entre Xavier Niel et Emmanuel Macron : « Difficile en effet d’admettre publiquement pour l’homme fort du groupe “Le Monde” son degré de proximité avec le candidat d’En Marche!, alors même que beaucoup accusent déjà le quotidien du soir d’être devenu le bulletin paroissial du macronisme. Lui aussi actionnaire du groupe “Le Monde”, le milliardaire du luxe Pierre Bergé, n’aura pas réussi à s’abstenir de tweeter sa fougue macronienne pendant la campagne. »
Épiphanie du système
Nous y sommes. Le système, dont l’OJIM dénonce depuis des années l’œuvre de confiscation d’un véritable pouvoir médiatique indépendant, le système qui d’après ce même système n’existe pas, d’après qui le nommer de la sorte serait une extrapolation de complotiste, une outrance populiste, une simplification douteuse, ce système a enfin un visage clair, limpide, définitivement synthétique – indiscutable, et c’est celui d’un quadragénaire BCBG au sourire de télévangéliste : Emmanuel Macron. De François Ruffin, le réalisateur de « Merci Patron ! », inspirateur des bobos nuitdeboutistes de centre-ville gentrifés à Laurence Parisot, l’ancienne patronne du MEDEF s’imaginant déjà premier ministre, de José Bové à Nicolas Sarkozy, toute la cohérence libérale-libertaire se révèle d’un bout à l’autre du spectre, toutes les composantes les plus variées de l’oligarchie, toutes les articulations du pouvoir, des banques aux chaines de télévision, des grands patrons aux ligues morales, les voilà toutes réunies, révélées, amalgamées enfin derrière un seul homme. « Pas de doute donc, comme je l’ai un jour relevé, Emmanuel Macron est bel et bien le candidat de l’oligarchie. », assène Laurent Maudui, co-fondateur du site Médiapart. Et il ajoute : « Avec l’aide de mon confrère Adrien de Tricornot, j’ai par exemple apporté la preuve qu’Emmanuel Macron avait, en 2010, trahi la Société des rédacteurs du Monde, dont il était le banquier conseil, lors du rachat du journal par Niel, Pigasse et Bergé, en étant lors de cette opération financière l’agent double du camp adverse, et notamment de l’un de ses organisateurs, Alain Minc. (…) Oligarque jusqu’au bout des ongles, enfant adultérin et monstrueux de l’Inspection des finances et de l’agence Havas… » Voilà ce qu’affirme Maudui avant d’appeler à voter pour… Emmanuel Macron.
Triomphalisme
Si les médias font les élections, encenser le vainqueur revient à rendre hommage à leur propre pouvoir, et c’est sans doute de cette manière qu’il faut interpréter les invraisemblables couvertures de Paris Match, de L’Obs ou de L’Express au lendemain du premier tour. Mais également les éloges dithyrambiques du Point : « On aime le décrire comme un météore, un Rastignac des temps modernes, un jeune loup à la gueule d’ange, un Petit Prince de la politique… L’homme qui sera peut-être, à 39 ans, président de la République française, est un personnage hors norme. Il a connu une ascension éclair comme jamais l’histoire politique française n’en avait écrite, soulignait récemment une journaliste de la BBC. » Le candidat d’ « En Marche » se contredit en permanence, ne sait pas ce qu’il raconte, se ridiculise dès qu’il monte sur scène, il ne tient son succès que d’avoir été fabriqué, mais on nous le vend en Bonaparte de la démocratie spectaculaire… Alors qu’il n’est que le fils chéri de l’oligarchie, l’héritier de François Hollande, lequel est le plus mauvais président de la République que la France ait connu. « Ah oui, mais le règne du fils est formidable en soi ! », nous rétorque Sylvain Courage, dans L’Obs, se livrant à une acrobatie sophistique totalement invraisemblable pour honorer son maître : « Cette élection ouvre aussi une nouvelle ère car elle met peut-être définitivement fin à une règle immémoriale et implicite : le patriarcat. Dans l’incapacité de briguer un nouveau mandat, François Hollande, le président sortant le plus impopulaire de la Ve République, a ouvert un espace inédit à l’un de ses héritiers. Il ne l’a pas fait de bonne grâce, certes. Mais sa renonciation a permis l’émancipation de son plus proche disciple. La loi du père, castrateur du fils, ne s’est pas appliquée. Et c’est donc la loi du fils qui s’impose. A la perpétuation du pouvoir établi se substitue une nouvelle légitimité : le renouvellement naturel. Cette transmission libre qui s’apparente à une réincarnation… Plus démocratique que la loi du père, la loi du fils comporte un droit d’inventaire. Ce n’est plus le patriarche qui s’efforce de durer mais sa descendance qui dispose de son legs et agit pour son propre avenir. » On atteint là des sommets de n’importe quoi ! Tout héritier est un fils qui deviendra lui-même un père. Du point de vue de Louis XIII, le règne de Louis XIV était tout autant le règne du fils ! Qui profitait d’une « nouvelle légitimité », d’un « renouvellement naturel », certes, mais qui n’était pas spécialement plus « démocratique » ! Hériter revient à tuer le patriarcat, d’après Sylvain Courage… C’est merveilleux. Et prostituer sa fille revient sans doute à l’émanciper, si on regarde ça sous l’angle adéquat.
Manu le visionnaire, Macron le disruptif
Il n’est pas encore élu que Macron donne lieu à un concours d’éloge qui nous rappelle les heures les plus rouges du journalisme sous Staline. Au Point, on trouve cela : « Emmanuel Macron a eu trois intuitions qui ont créé les conditions d’un destin d’ores et déjà exceptionnel. Tout commence très tôt, le 27 août 2015, aux universités d’été du Pôle des réformateurs, à Pessac-Léognan. Le ministre de l’Économie est longuement ovationné. Ce jour-là, le sénateur François Patriat, qui fait partie de ses premiers soutiens, reçoit, en aparté, cette prémonition incroyable de Macron : “Il me dit : Je fais l’analyse que le chef de l’État ne sera pas en mesure de se représenter. Il faut qu’on prépare quelque chose. On doit se revoir pour préparer quelque chose”. » Le fait que Hollande ne pourrait pas se représenter et qu’il allait falloir trouver autre chose, tout le monde le savait, depuis au moins novembre 2014, date à laquelle Les Inrocks offraient à Juppé une invraisemblable couverture, trahissant par là leur conviction de l’impossibilité pour Hollande de rempiler. Mais quand c’est Macron qui formule dix mois plus tard cette évidence, cela devient une « prémonition incroyable ». Pour France Inter, Macron réalise « le hold-up du siècle », comme titré en référence à la phrase d’un élu socialiste recyclée sans recul. Dans Paris Match, le messie est décrit parée de toutes les qualités : « A la lumière des ralliements de droite comme de gauche, et des sondages qui le placent largement en tête au second tour, la dernière marche vers le perron de l’Elysée pourrait sembler la plus facile. Mais l’élève des jésuites, diplômé de philosophie, sait que l’orgueil est un péché et la présomption un écueil redoutable. » Pourtant, il a démontré précisément le contraire, et c’est d’ailleurs ce qui a été relevé en général, même parmi ses soutiens. Ce renversement du réel témoigne simplement du degré d’aveuglement idéologique que certains journalistes peuvent atteindre face à leur candidat officiel.
Médias en campagne
Après la séquence Whirlpool, BFM et France Inter ont même tenté de réécrire ce à quoi tout le monde avait pu assister, comme le montrait Eric Verhaeghe sur Contrepoints : « (…) de longues minutes de direct ont permis de montrer comment le candidat sorti premier au premier tour s’est retrouvé en difficulté dans un mouvement populaire qui bafouait son prestige. Immédiatement après ces images désastreuses, BFM a repris la situation en main en produisant des commentaires qui disaient exactement le contraire de la réalité qui venait de s’étaler aux yeux des Français. S’est alors construit un roman grotesque où Marine Le Pen serait venue 15 minutes sur place pour faire des selfies avec des militants du Front National, quand Emmanuel Macron aurait courageusement affronté la tempête et ramené le calme auprès d’ouvriers déboussolés par la mondialisation. Le plus ahurissant fut d’entendre ce matin les commentaires et chroniques sur France Inter (première matinale de France, rappelons-le) où une opération de propagande à la Potemkine fut clairement menée. Tout le monde connaît la proximité entre Emmanuel Macron et le directeur général de Radio France. Mais trop, c’est trop. » Jour après jour, on assiste à des pratiques de propagande que l’OJIM a déjà dénoncées à de très nombreuses reprises, mais qui, dans un tel contexte, deviennent outrageusement manifestes et carrément permanentes.
Mise en lumière
Pris de panique, le système médiatique tombe tous les masques, et c’est du moins l’avantage de ce second tour qu’une pareille mise en lumière. « Nan, pas fa ! Pas fa ! Pas fa ! » Qui exprime ainsi son dégoût pathétique ? Un enfant refusant de boire de l’huile de morue ? Non, d’après les médias, le futur chef de la République française faisant front au fascisme ressuscité. Que ces gens-là ont-ils donc dans le cerveau ? Quand on parie sur un tel cheval, abandonner toute distance critique pour mener à bien son œuvre de manipulation des masses exige une imperméabilité totale à la honte. Visiblement, cette imperméabilité existe. France Inter en arrive a censurer un humoriste, non parce qu’ils appelle à voter Marine Le Pen, mais parce qu’il ose seulement s’abstenir et ne pas voter Macron ! On censure, on érige des murs infranchissables, on aboie, même, pour lutter prétendument contre un fascisme hypothétique, essentiellement légendaire, contre la possibilité d’une dérive autoritaire d’une présidente potentielle pour l’heure dans une situation de seule contre tous, et on cimente, par là, un fascisme bien concret, bien omniprésent, bien palpable : celui de la Pensée unique acclamant par ses médias, aujourd’hui, le candidat unique d’un parti unique.