Dans notre exercice de critique des médias, il nous arrive aussi de leur attribuer des bons points quand ils le méritent. Lorsqu’un élu exerçant des fonctions à la tête d’une collectivité s’attaque à la presse locale, il y a de fortes chances que celle-ci se soit distinguée, ne serait-ce que ponctuellement, en remplissant le rôle de contre-pouvoir que sont censés jouer les médias. Sans surprise, l’examen précis du cas de Givors n’échappe pas à cette règle. Dans cette commune de 20 000 habitants située au Sud de la métropole de Lyon, et où le maire d’extrême gauche est habitué à un traitement de l’actualité très complaisant à son égard de la part du Progrès, principal quotidien de presse écrite locale, la mise en lumière précise et rigoureuse, par les médias locaux, d’un signalement visant le maire pour apologie du terrorisme a été très mal vécue par le premier édile, qui n’a pas hésité à réagir en s’attaquant directement à la presse.
Un vendredi 13 de mauvais augure pour le maire d’extrême gauche
Lundi 16 octobre, trois articles sont en effet parus dans les principales rédactions de la presse locale lyonnaise, à propos d’une actualité concernant Mohamed Boudjellaba, le maire d’extrême gauche (soutenu par EELV) de la commune de Givors. Ce dernier, qui vient d’être condamné pour violences à quatre mois de prison avec sursis, a eu à peine le temps d’annoncer son intention de faire appel que le voilà visé par un signalement, cette fois pour apologie du terrorisme, transmis au procureur par le leader de l’opposition municipale de Givors, l’élu divers droite (sans étiquette) Fabrice Riva, chef du groupe Givors Fière.
Signalement pour apologie du terrorisme, en marge d’un hommage au FLN
Les faits, relatés par les rédactions de BFM-Lyon, de Lyon Mag et de Lyon Capitale sont les suivants : vendredi 13 octobre, l’élu d’opposition a transmis au Procureur de la République un signalement pour apologie du terrorisme visant le maire d’extrême gauche, ainsi qu’une demande d’annulation de la cérémonie dite du « 17 octobre 1961 » d’hommage aux victimes de la répression d’une manifestation interdite qui fut organisée à cette date par le FLN, organisation terroriste opposée à l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Cette cérémonie s’inscrivant dans le continuum de la politique mémorielle du maire, suffisamment singulière pour avoir conduit une publication de l’École de guerre économique (EGE) à s’interroger sur l’hypothèse d’une ingérence algérienne à Givors, l’élu divers droite a jugé que les circonstances particulières de l’actualité nationale, internationale et locale justifiaient son annulation.
Un Hamas légitimé
Les faits sur lesquels s’appuie le signalement au Procureur s’articulent autour d’un commentaire affirmant « la réaction du Hamas est légitime » en référence aux attaques terroristes commises par le Hamas en Israël le 7 octobre. Ledit commentaire, qui figurait sous une publication de la page officielle du maire de Givors, est resté visible en ligne pendant près d’une semaine, jusqu’à ce que la presse révèle le signalement au procureur effectué par l’opposition municipale. Par ailleurs, le lendemain de la mise en ligne du commentaire délictueux qui était accompagné de nombreux autres commentaires réprouvant la condamnation des attentats du Hamas, formulée par le maire 48 heures après les faits et sous la pression de son opposition, le premier édile publiait un second communiqué prenant la forme d’un rétropédalage. Dans cette seconde publication, le maire d’extrême gauche semblait en effet mettre sur le même plan les attaques terroristes du Hamas et la réponse verbale du gouvernement israélien qualifiant d’« animaux humains » les terroristes ayant commis ces attaques.
Vers une procédure pénale ?
Les articles des trois publications susvisées ont rapporté avec rigueur l’ensemble des faits évoqués ici, ainsi que les motivations soulevées par l’élu d’opposition divers droite pour demander l’annulation de la cérémonie du 17 octobre, compte tenu du contexte international, du maintien en ligne d’un commentaire d’apologie du terrorisme pendant plusieurs jours sur une page Facebook officielle dont le maire a la responsabilité juridique, de l’évolution de ses publications vers une ligne confinant à la complaisance avec les positions très hostiles à Israël de ses sympathisants, de l’alignement de sa politique mémorielle locale sur les positions du gouvernement algérien et du soutien officiel apporté par ce dernier au Hamas après les attaques terroristes du 7 octobre.
Une mention pour Lyon Capitale
Une mention spéciale mérite d’être accordée à Lyon Capitale qui, par souci d’exhaustivité, a même été jusqu’à publier l’intégralité du courrier envoyé par l’élu d’opposition au Préfet, en pièce-jointe duquel figure le signalement au Procureur. Ces trois publications ont par ailleurs mentionné les éléments de langage chaotiques de la communication de crise déclenchée par le maire, selon lesquels la modération du commentaire délictueux aurait bien eu lieu, mais un « problème technique » aurait maintenu le commentaire visible.
Ces éléments de langage sans doute construits dans la précipitation n’ont visiblement pas tenu compte du fait qu’une telle déclaration comportait un aveu implicite : le maire, puisqu’il aurait vu ce commentaire et qu’il aurait demandé sans succès sa modération, se serait du coup rendu coupable d’un manquement à ses obligations, puisqu’il n’aurait pas, dans cette hypothèse, effectué le signalement au procureur de ce commentaire délictueux, comme l’y oblige « sans délai » le second alinéa de l’article 40 du code de procédure pénale.
Le Progrès, en bon dernier de la classe…
Cette mise en lumière complète des faits a paru suffisamment insupportable au premier édile d’extrême gauche pour que, dans une vidéo ubuesque mise en ligne 24 heures après la parution de ces articles, au milieu d’accusations implicites de racisme contre les élus lanceurs d’alerte et de l’annonce d’une « procédure bâillon », pour reprendre les termes employé par son opposant Fabrice Riva dans la réponse apportée à cette vidéo par l’opposition municipale, le maire s’attaque directement à la presse locale en l’accusant d’avoir relayé l’information qui le concernait « sans filtre ». Pour mesurer que, par l’expression « sans filtre », il fallait comprendre « sans filet de camouflage », il suffit de prendre connaissance de l’article que Le Progrès, particulièrement complaisant avec le maire d’extrême gauche, s’est enfin décidé à publier en fin de journée, en bon dernier de la classe, sous la pression concurrentielle des autres rédactions locales.
Filet de camouflage
Le filet de camouflage si cher au maire y est soigneusement déployé pour occulter au maximum les faits : le titre de l’article se contente d’évoquer un signalement au procureur effectué par l’opposition municipale sans mentionner que le maire est visé par ce signalement, l’élu d’opposition divers droite est présenté dans le corps du texte comme un élu « ex-RN » alors que, comme il l’expliquait lui-même lors d’un conseil municipal, il n’a jamais été membre d’aucun parti politique et n’a obtenu l’investiture d’aucun parti lors de son élection comme tête de liste divers droite.
Enfin, le quotidien de presse régionale accomplit l’exploit de ne mentionner à aucun moment, dans le corps de l’article, les termes du commentaire d’apologie du terrorisme, « la réaction du Hamas est légitime », allant même jusqu’à alléguer que ce commentaire ne serait apologétique que « selon » l’élu d’opposition Fabrice Riva. Notons qu’une telle appréciation, à propos de ce commentaire formulé trois jours après une attaque terroriste effectuée par le Hamas et ayant conduit à la mort de 1400 civils, est elle-même constitutive d’une apologie du terrorisme. En bon dernier de la classe, Le Progrès arrive donc ainsi à ériger, par le traitement de cette actualité givordine, ses confrères de BFM Lyon, Lyon Mag et Lyon Capitale en modèles de rigueur journalistique qui leur vaut, à tous trois, une fois n’est pas coutume, les félicitations du jury.
Nota bene
Claude Chollet, directeur de la publication de l’Ojim est attaqué par Le Progrès et un de ses journalistes Amjad Allouchi, plainte en cours. L’article ci-dessus n’a aucun rapport avec cette plainte burlesque. Les détails la concernant ci-après : Pour Claude Chollet et l’Ojim, un procès chasse l’autre.