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Mali : des médias suspendus, Article 19 dénonce…

5 septembre 2024

Temps de lecture : 8 minutes
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Mali : des médias suspendus, Article 19 dénonce…

Temps de lecture : 8 minutes

Au Mali, les restrictions de la liberté de la presse se poursuivent toujours, la junte militaire malienne ferme des médias. Article 19 élève la voix pour dénoncer les mauvaises pratiques du régime d’Assimi Goita. Par peur, plusieurs journalistes ont refusé de se prêter à nos questions, parce que leur vie est menacée.

Le Mali occupe une posi­tion géo­graphique cen­trale dans un Sahel en proie à l’insécurité depuis de nom­breuses années, exposant le pays à une crise sec­ondaire sans cesse aggravée par les attaques de groupes armés présents dans la région, notam­ment les groupes dji­hadistes, les groupes de ban­dits armés et les groupes com­mu­nau­taires d’autodéfense, en par­ti­c­uli­er dans les zones frontal­ières avec l’Algérie, le Burk­i­na Faso et le Niger. Les deux pre­miers coups d’État ont été per­pétrés suc­ces­sive­ment le18 Aout 2020 et le 24 Mai 2021 par les force armées mali­ennes. Depuis lors, le pays et la sous-région sont sous la gou­ver­nance d’une junte mil­i­taire. Des jour­nal­istes sont bru­tal­isés ou même empris­on­nés. Pire, on ferme des médias en expul­sant des jour­nal­istes étrangers. C’est la peur qui ani­me la presse mali­enne. « Cette sus­pen­sion s’inscrit dans un con­texte de plus en plus restric­tif pour les médias au Mali où les autorités ont fréquem­ment recours à la sus­pen­sion ou à la fer­me­ture de médias cri­tiques, ou perçus comme nuis­i­ble à l’image du gou­verne­ment et des alliés ain­si qu’à la répres­sion des jour­nal­istes » dénonce Arti­cle 19. Pour les respon­s­ables de cet organ­isme qui défend la lib­erté d’expression et de presse, « les sus­pen­sions répétées de médias con­stituent une men­ace sérieuse pour le plu­ral­isme des médias et le débat diver­si­fié sur des ques­tions d’intérêt pub­lic comme la sécu­rité dans le pays. Ils dénon­cent caté­gorique­ment le com­porte­ment de la junte mil­i­taire mali­enne. A cet effet, ils prô­nent un espace médi­a­tique libre, pluriel et diver­si­fié pour per­me­t­tre une infor­ma­tion éclairée avec des opin­ions diversifiées.

Des pressions fortes sur la presse malienne

Comme l’année précé­dente, le Gou­verne­ment ne s’est pas ouverte­ment attaqué aux médias. Cepen­dant il y a eu des pres­sions insi­dieuses sur les pro­fes­sion­nels du secteur après le 2e coup d’État du 2021 via une mar­gin­al­i­sa­tion qui con­tin­ue de plus belle.

Selon le rap­port de média Foun­da­tion for West Africa, les médias font face aux défis liés au con­texte sociopoli­tique, économique dif­fi­cile ; au pro­fes­sion­nal­isme, aux textes lég­is­lat­ifs obsolètes. Ces prob­lèmes influ­ent beau­coup sur la qual­ité des jour­naux et la grille des pro­grammes des radios qui se résume plus à des émis­sions musi­cales et de divertissement.

Un autre défi, face à l’ampleur de la dés­in­for­ma­tion sur les plate­formes dig­i­tales et les réseaux soci­aux, le jour­nal­isme est le prin­ci­pal garant pour un débat pub­lic au tour d’une diver­sité de faits, informe le rap­port qui fait ajouter que la loi N°00–046 du 07 Juil­let 2000 por­tant régime de la presse et délit de presse traîne tou­jours. Cette loi, mal­gré les avancées con­statées, traîne encore quelques lim­ites qui gag­n­eraient à être cor­rigées le plus vite pos­si­ble pour mieux ancr­er la lib­erté d’expression et de la presse. Elle a eu le mérite de don­ner un réel statut au jour­nal­iste et de légalis­er la con­ven­tion col­lec­tive qui la sous-tend (Arti­cles 4 et 5). Selon plusieurs jour­nal­istes maliens que nous avons inter­rogés au télé­phone les nom­breuses peines pri­v­a­tives de lib­erté con­stituent la pre­mière faib­lesse de la loi. « Elles sont à con­tre-courant du mou­ve­ment pénal inter­na­tion­al qui préfère les peines d’amendes (qui sont aus­si des peines pénales) et les dom­mages-intérêts qui pro­tè­gent les vic­times tout en respon­s­abil­isant les jour­nal­istes éventuels auteurs de dél­its et de crimes » dis­ent-ils tout en per­sis­tant de sauve­g­arder leur sécurité.

Haute Autorité de la Communication (HAC)

En 1991, les organes audio­vi­suels ont précédé les textes les régis­sant, sus­ci­tant bien de dérives. Avec un cadre juridique plus cohérent et mieux ren­for­cé, la Haute Autorité de la Com­mu­ni­ca­tion a été créée par l’Ordonnance no2014-006/P‑RM du 21 jan­vi­er 2014 mod­i­fiée et rat­i­fiée par la Loi N° 2015- 018 du 04 juin 2015. Le Décret no 2014–0951/P‑M du 31 décem­bre 2014 déter­mine les con­di­tions d’établissement, d’exploitation et de dis­tri­b­u­tion des ser­vices privés de radiod­if­fu­sion sonore.

Ses mis­sions et prérog­a­tives sont fixées par la Loi no00-46/AN-RM du 07 juil­let 2000 por­tant régime de presse et délit et la Loi no2012-019 du 12 mars 2012 rel­a­tive aux ser­vices privés de com­mu­ni­ca­tion audio­vi­suelle. Et, pour com­pléter le cadre lég­is­latif et régle­men­taire de sa mis­sion de régu­la­tion, la HAC a élaboré cinq décrets fix­ant cahiers de charges des ser­vices de com­mu­ni­ca­tion audio­vi­suelle et un décret relatif aux régimes et aux con­di­tions de mise en œuvre des sanc­tions prévues.

La Loi n°2015–018 du 4 juin 2015 por­tant mod­i­fi­ca­tion et rat­i­fi­ca­tion de l’Or­don­nance n°2014–006/P- RM du 21 jan­vi­er 2014, qui crée la HAC, lui donne man­dat de stat­uer sur toutes les pra­tiques restric­tives à la libre con­cur­rence ou favorisant la con­sti­tu­tion de car­tels dans le secteur de la com­mu­ni­ca­tion. Ce qui veut dire que la ‘’ législation/régulation ’’ mali­enne a les instru­ments lui per­me­t­tant d’empêcher la con­cen­tra­tion et les sit­u­a­tions de mono­pole qui pour­raient entraver la lib­erté de la presse.

Des Journalistes sans sécurité

Au Mali, les jour­nal­istes ont été très frag­ilisés par la sit­u­a­tion poli­tique qui a pré­valu, après le 2e coup d’État per­pétré en début de 2021. Le nou­veau gou­verne­ment de tran­si­tion met une pres­sion insi­dieuse sur les médias pour un « traite­ment patri­o­tique » de l’information. Au-delà de cette pres­sion insi­dieuse, l média Foun­da­tion For West fait con­stater que « le Gou­verne­ment de la tran­si­tion au Mali ne s’est pas ouverte­ment attaqué à la presse. Très peu de jour­nal­istes ont été empris­on­nés ou leurs locaux envahis ou fer­més par les autorités gou­verne­men­tales. Cepen­dant il y a des pra­tiques ayant con­sisté à instru­men­talis­er cer­tains organes pour servir la soupe au mépris de toute éthique pro­fes­sion­nelle ».Le rap­port entre le gou­verne­ment de tran­si­tion et les médias demeure tou­jours de méfi­ance, de façon globale.

Diagnostic de la liberté de la presse au Mali

Classé 108e sur 180 dans le classe­ment RSF de la lib­erté de la presse en 2020, le Mali a fait un bon de 9 rangs et se retrou­ve 99e en 2021 mal­gré le con­texte sociopoli­tique très som­bre. Cette année a été témoin de grands boule­verse­ments sociopoli­tiques, con­sé­cu­tifs à l’impact de la pandémie du Covid 19, à une crise diplo­ma­tique entre les autorités de la tran­si­tion et la France, mais égale­ment à la sus­pen­sion du Mali des instances sous régionales, informe le rap­port de média Foun­da­tion West Africa.

Des Journalistes tués ou enlevés

Per­sis­tant depuis des années, le risque lié au tra­vail de jour­nal­iste au Mali est omniprésent. A l’as­sas­si­nat de deux con­frères de RFI, Ghis­laine Dupont et Claude Ver­lon à Kidal dont les bour­reaux courent depuis 2013, à la dis­pari­tion de Bira­ma Touré, reporter à l’hebdomadaire Le Sphinx il y a six ans, l’enlèvement de l’animateur de radio Hamadoun Nial­i­bouly au cen­tre du pays le 27 sep­tem­bre 2020, s’ajoutent le kid­nap­ping du jour­nal­iste français Olivi­er Dubois (libéré depuis, voir infra), cor­re­spon­dant au Mali pour Le Point et Libéra­tion, le 8 avril 2021 à Gao; de Mous­sa M’bana Dicko, le 18 avril 2021, le place­ment sous man­dat de dépôt du chroniqueur Abdoul Niang…

Quelques faits sur la situation de la presse au Mali

Le 8 avril 2021 enlève­ment à Gao d’Olivier Dubois, jour­nal­iste français cor­re­spon­dant au Mali pour Le Point et Libéra­tion, par le groupe dji­hadiste Jama’at Nasr al-Islam wal Mus­lim­in. Le 4 mai, une vidéo de 21 sec­on­des est dif­fusée sur les réseaux soci­aux où il déclare avoir été enlevé.

Le 18 avril 2021 Mous­sa M’bana Dicko, chef des pro­grammes de la radio Dande Haire (La Voix de Haïré), a été enlevé chez lui à Boni dans la région de Douentza par de pré­sumés dji­hadistes. Ils ont expliqué à sa famille qu’il aurait tenu des pro­pos cri­tiques à leur encontre.

Le 5 août 2021 : Abdoul Niang, chroniqueur à Émer­gence FM a été placé sous man­dat de dépôt sur une auto-sai­sine du Pro­cureur du tri­bunal de la Com­mune IV de Bamako. Il est inculpé pour « Asso­ci­a­tion de mal­fai­teurs et cyber­crim­i­nal­ité ». La jus­tice lui reproche ses sor­ties médi­a­tiques suite à l’arrestation du Général Mous­sa Diawara dans l’affaire Bira­ma Touré.

Le 06 décem­bre 2021, Dr Oumar Mariko, homme poli­tique, l’activiste Bou­ba Fané et Aboubacar CAMARA ani­ma­teur à la radio Kayra de Bamako ont été placés sous man­dat de dépôt suite à une affaire d’enregistrement audio privé qui s’est retrou­vé sur les réseaux soci­aux. L’ancien élu à Kolondié­ba a été inter­pel­lé par le tri­bunal de la com­mune IV pour « injures grossières con­tre le Pre­mier min­istre Dr Choguel Kokala Maï­ga ». Le Prési­dent du par­ti Sol­i­dar­ité Africaine pour la Démoc­ra­tie et l’Indépendance (SADI) et ses codétenus sont en lib­erté provisoire.

Aujourd’hui, il est dif­fi­cile d’exercer libre­ment le jour­nal­isme dans un pays de tran­si­tion mil­i­taire. Les jour­nal­istes risquent leur vie parce qu’on leur empêche de tra­vailler dans les règles de l’art. Dans la sous-région ouest africaine, nom­breux sont ceux qui fuient leur pays pour mon­nay­er leur tal­ent ailleurs. A dire vrai, le con­ti­nent africain ne cesse d’être en retard.. Dif­fi­cile d’avoir une bonne démoc­ra­tie sans presse.

Wapote Gaye,
Cor­re­spon­dant OJIM en Afrique