Au Mali, les restrictions de la liberté de la presse se poursuivent toujours, la junte militaire malienne ferme des médias. Article 19 élève la voix pour dénoncer les mauvaises pratiques du régime d’Assimi Goita. Par peur, plusieurs journalistes ont refusé de se prêter à nos questions, parce que leur vie est menacée.
Le Mali occupe une position géographique centrale dans un Sahel en proie à l’insécurité depuis de nombreuses années, exposant le pays à une crise secondaire sans cesse aggravée par les attaques de groupes armés présents dans la région, notamment les groupes djihadistes, les groupes de bandits armés et les groupes communautaires d’autodéfense, en particulier dans les zones frontalières avec l’Algérie, le Burkina Faso et le Niger. Les deux premiers coups d’État ont été perpétrés successivement le18 Aout 2020 et le 24 Mai 2021 par les force armées maliennes. Depuis lors, le pays et la sous-région sont sous la gouvernance d’une junte militaire. Des journalistes sont brutalisés ou même emprisonnés. Pire, on ferme des médias en expulsant des journalistes étrangers. C’est la peur qui anime la presse malienne. « Cette suspension s’inscrit dans un contexte de plus en plus restrictif pour les médias au Mali où les autorités ont fréquemment recours à la suspension ou à la fermeture de médias critiques, ou perçus comme nuisible à l’image du gouvernement et des alliés ainsi qu’à la répression des journalistes » dénonce Article 19. Pour les responsables de cet organisme qui défend la liberté d’expression et de presse, « les suspensions répétées de médias constituent une menace sérieuse pour le pluralisme des médias et le débat diversifié sur des questions d’intérêt public comme la sécurité dans le pays. Ils dénoncent catégoriquement le comportement de la junte militaire malienne. A cet effet, ils prônent un espace médiatique libre, pluriel et diversifié pour permettre une information éclairée avec des opinions diversifiées.
Des pressions fortes sur la presse malienne
Comme l’année précédente, le Gouvernement ne s’est pas ouvertement attaqué aux médias. Cependant il y a eu des pressions insidieuses sur les professionnels du secteur après le 2e coup d’État du 2021 via une marginalisation qui continue de plus belle.
Selon le rapport de média Foundation for West Africa, les médias font face aux défis liés au contexte sociopolitique, économique difficile ; au professionnalisme, aux textes législatifs obsolètes. Ces problèmes influent beaucoup sur la qualité des journaux et la grille des programmes des radios qui se résume plus à des émissions musicales et de divertissement.
Un autre défi, face à l’ampleur de la désinformation sur les plateformes digitales et les réseaux sociaux, le journalisme est le principal garant pour un débat public au tour d’une diversité de faits, informe le rapport qui fait ajouter que la loi N°00–046 du 07 Juillet 2000 portant régime de la presse et délit de presse traîne toujours. Cette loi, malgré les avancées constatées, traîne encore quelques limites qui gagneraient à être corrigées le plus vite possible pour mieux ancrer la liberté d’expression et de la presse. Elle a eu le mérite de donner un réel statut au journaliste et de légaliser la convention collective qui la sous-tend (Articles 4 et 5). Selon plusieurs journalistes maliens que nous avons interrogés au téléphone les nombreuses peines privatives de liberté constituent la première faiblesse de la loi. « Elles sont à contre-courant du mouvement pénal international qui préfère les peines d’amendes (qui sont aussi des peines pénales) et les dommages-intérêts qui protègent les victimes tout en responsabilisant les journalistes éventuels auteurs de délits et de crimes » disent-ils tout en persistant de sauvegarder leur sécurité.
Haute Autorité de la Communication (HAC)
En 1991, les organes audiovisuels ont précédé les textes les régissant, suscitant bien de dérives. Avec un cadre juridique plus cohérent et mieux renforcé, la Haute Autorité de la Communication a été créée par l’Ordonnance no2014-006/P‑RM du 21 janvier 2014 modifiée et ratifiée par la Loi N° 2015- 018 du 04 juin 2015. Le Décret no 2014–0951/P‑M du 31 décembre 2014 détermine les conditions d’établissement, d’exploitation et de distribution des services privés de radiodiffusion sonore.
Ses missions et prérogatives sont fixées par la Loi no00-46/AN-RM du 07 juillet 2000 portant régime de presse et délit et la Loi no2012-019 du 12 mars 2012 relative aux services privés de communication audiovisuelle. Et, pour compléter le cadre législatif et réglementaire de sa mission de régulation, la HAC a élaboré cinq décrets fixant cahiers de charges des services de communication audiovisuelle et un décret relatif aux régimes et aux conditions de mise en œuvre des sanctions prévues.
La Loi n°2015–018 du 4 juin 2015 portant modification et ratification de l’Ordonnance n°2014–006/P- RM du 21 janvier 2014, qui crée la HAC, lui donne mandat de statuer sur toutes les pratiques restrictives à la libre concurrence ou favorisant la constitution de cartels dans le secteur de la communication. Ce qui veut dire que la ‘’ législation/régulation ’’ malienne a les instruments lui permettant d’empêcher la concentration et les situations de monopole qui pourraient entraver la liberté de la presse.
Des Journalistes sans sécurité
Au Mali, les journalistes ont été très fragilisés par la situation politique qui a prévalu, après le 2e coup d’État perpétré en début de 2021. Le nouveau gouvernement de transition met une pression insidieuse sur les médias pour un « traitement patriotique » de l’information. Au-delà de cette pression insidieuse, l média Foundation For West fait constater que « le Gouvernement de la transition au Mali ne s’est pas ouvertement attaqué à la presse. Très peu de journalistes ont été emprisonnés ou leurs locaux envahis ou fermés par les autorités gouvernementales. Cependant il y a des pratiques ayant consisté à instrumentaliser certains organes pour servir la soupe au mépris de toute éthique professionnelle ».Le rapport entre le gouvernement de transition et les médias demeure toujours de méfiance, de façon globale.
Diagnostic de la liberté de la presse au Mali
Classé 108e sur 180 dans le classement RSF de la liberté de la presse en 2020, le Mali a fait un bon de 9 rangs et se retrouve 99e en 2021 malgré le contexte sociopolitique très sombre. Cette année a été témoin de grands bouleversements sociopolitiques, consécutifs à l’impact de la pandémie du Covid 19, à une crise diplomatique entre les autorités de la transition et la France, mais également à la suspension du Mali des instances sous régionales, informe le rapport de média Foundation West Africa.
Des Journalistes tués ou enlevés
Persistant depuis des années, le risque lié au travail de journaliste au Mali est omniprésent. A l’assassinat de deux confrères de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon à Kidal dont les bourreaux courent depuis 2013, à la disparition de Birama Touré, reporter à l’hebdomadaire Le Sphinx il y a six ans, l’enlèvement de l’animateur de radio Hamadoun Nialibouly au centre du pays le 27 septembre 2020, s’ajoutent le kidnapping du journaliste français Olivier Dubois (libéré depuis, voir infra), correspondant au Mali pour Le Point et Libération, le 8 avril 2021 à Gao; de Moussa M’bana Dicko, le 18 avril 2021, le placement sous mandat de dépôt du chroniqueur Abdoul Niang…
Quelques faits sur la situation de la presse au Mali
Le 8 avril 2021 enlèvement à Gao d’Olivier Dubois, journaliste français correspondant au Mali pour Le Point et Libération, par le groupe djihadiste Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin. Le 4 mai, une vidéo de 21 secondes est diffusée sur les réseaux sociaux où il déclare avoir été enlevé.
Le 18 avril 2021 Moussa M’bana Dicko, chef des programmes de la radio Dande Haire (La Voix de Haïré), a été enlevé chez lui à Boni dans la région de Douentza par de présumés djihadistes. Ils ont expliqué à sa famille qu’il aurait tenu des propos critiques à leur encontre.
Le 5 août 2021 : Abdoul Niang, chroniqueur à Émergence FM a été placé sous mandat de dépôt sur une auto-saisine du Procureur du tribunal de la Commune IV de Bamako. Il est inculpé pour « Association de malfaiteurs et cybercriminalité ». La justice lui reproche ses sorties médiatiques suite à l’arrestation du Général Moussa Diawara dans l’affaire Birama Touré.
Le 06 décembre 2021, Dr Oumar Mariko, homme politique, l’activiste Bouba Fané et Aboubacar CAMARA animateur à la radio Kayra de Bamako ont été placés sous mandat de dépôt suite à une affaire d’enregistrement audio privé qui s’est retrouvé sur les réseaux sociaux. L’ancien élu à Kolondiéba a été interpellé par le tribunal de la commune IV pour « injures grossières contre le Premier ministre Dr Choguel Kokala Maïga ». Le Président du parti Solidarité Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance (SADI) et ses codétenus sont en liberté provisoire.
Aujourd’hui, il est difficile d’exercer librement le journalisme dans un pays de transition militaire. Les journalistes risquent leur vie parce qu’on leur empêche de travailler dans les règles de l’art. Dans la sous-région ouest africaine, nombreux sont ceux qui fuient leur pays pour monnayer leur talent ailleurs. A dire vrai, le continent africain ne cesse d’être en retard.. Difficile d’avoir une bonne démocratie sans presse.
Wapote Gaye,
Correspondant OJIM en Afrique