Peu évoquée, voire clairement ou volontairement ignorée, l’Espagne semble être reléguée à l’arrière-plan du paysage médiatique français en ce mois de novembre 2023. Alors que les Espagnols se mobilisent activement depuis une bonne quinzaine de jours pour protester contre le projet de loi d’amnistie décidé par Pedro Sanchez, la situation est largement passée sous silence par la plupart des médias français.
Un pari risqué de Pedro Sanchez
Suite à la débâcle du PSOE (équivalent du PS français) aux élections locales en mai 2023, Pedro Sanchez était considéré par certains comme mort politiquement, pourtant il a multiplié avec succès les efforts afin de reconduire une majorité aux législatives en juillet en négociant le soutien d’autres partis. Parmi eux, la gauche radicale incarnée par Unidas Podemos et Sumar, mais aussi les partis indépendantistes dont Junts de Carles Puigdemont.
Afin de conserver son poste, Pedro Sanchez a conclu un accord avec les indépendantistes catalans sous la forme d’une une loi d’amnistie pour les séparatistes poursuivis en justice, mais aussi l’effacement de 20% de la dette catalane.
Vives tensions dans le pays
Depuis début novembre, la droite modérée du PP et celle plus radicale de VOX se rassemblent massivement tous les soirs dans la capitale devant le siège du PSOE et dans d’autres grandes villes comme Grenade, Barcelone ou Valence aux cris de « Sanchez, traître », « Ce n’est pas un président, c’est un délinquant » ou encore « L’Espagne n’est pas à vendre ».
Le Monde ajoute que “des échauffourées menées par des groupuscules néonazis et fascistes ont fait 39 blessés, dont 29 policiers à Madrid, mardi soir (10/11/2023). La plupart des médias français n’évoquent pas ou peu la situation espagnole, s’ils le font, c’est pour souligner davantage le projet d’amnistie et le mécontentement national très brièvement comme Le Monde. Peu de journaux de sensibilité de gauche se sont intéressés véritablement à l’importance des protestations qui durent depuis plus de vingt jours et qui sont surnommées le “Noviembre Nacional” (Le Figaro, 17/11/2023) a insisté sur l’ampleur des divisions dans la société madrilène liées au projet d’amnistie :
“Plus précisément, au carrefour de cette rue et de la Calle Marqués de Urquijo, l’endroit le plus proche du numéro 70 de la Calle Ferraz où il est possible d’accéder. Car le siège historique du Parti socialiste (PSOE) est protégé par les fourgons de la police nationale et les barrières qu’elle a disposées. Au dépit des manifestants, qui semblent étonnés de constater que les forces de l’ordre leur font face plutôt que d’être à leurs côtés, et le leur reprochent par des slogans. Plusieurs milliers de personnes, 4.000 selon le décompte provisoire de la préfecture, sont venues exprimer, une fois de plus”.
D’autre part, le fondateur de VOX, Alejo-Vidal Quadras avait été blessé par balles dans l’un des quartiers les plus chics de Madrid, en sortant de la messe. Seul Valeurs Actuelles en a fait état dans la presse française. Suite à cet évènement, le président de VOX Santiago Abascal a appelé à la résistance affirmant que l’Espagne vit “le début de la fin de la démocratie”.
Un mouvement au caractère intergénérationnel inédit
Comme peu de médias traditionnels français (télévision, journaux, radio) traitent des protestations, certains activistes comme le franco-espagnol Raphael AYMA ont utilisé les réseaux sociaux pour informer sur la situation, notamment via Twitter. Il souligne notamment le caractère inédit d’un mouvement intergénérationnel qui va au-delà de la contestation de l’amnistie mais qui condense des revendications identitaires où l’on scande des slogans anti-immigration ou encore “Espagne chrétienne, non musulmane”.
Il s’agit de l’ensemble des reproches adressés au gouvernement socialiste. L’activiste se désole de la couverture insuffisante des évènements « Des rassemblements dans tout le pays, pendant quinze jours d’affilée, avec des cortèges de plusieurs milliers de personnes, c’est ce qu’on appelle une crise politique. C’est absolument hallucinant de voir la presse française ne presque pas le documenter, alors que l’Espagne est un pays voisin et que ses chamboulements politiques auront nécessairement un impact ici. » Avant le 7 novembre, les manifestations étaient assez pacifiques, mais cette date marque un tournant avec des images d’une rare violence de répression policière diffusées sur les réseaux sociaux. Enfin, comme le souligne Santiago Abascal, il est intéressant d’observer un pays comme l’Espagne, que l’on pensait sorti de l’Histoire, y revenir et déclencher un tel mouvement social comme le souligne le site Breizh-Info.
Voir aussi : Invasion migratoire à Ceuta : la fabrique du consentement par les médias de grand chemin. Deuxième partie