Première diffusion le 12/09/2022.
En avril 2020, l’OJIM publiait un article revenant sur la manière dont la mort tragique du petit Alan (ou Aylan) Kurdi sur une plage turque avait été instrumentalisée à des fins idéologiques. L’histoire bégaie et nous assistons à une manipulation semblable avec l’histoire de la petite Maria, syrienne de cinq ans, morte sur une île grecque après une piqure de scorpion.
Voir aussi : Le petit Alan Kurdi, otage médiatique : de l’image choc à l’arrière-plan
Libération veut culpabiliser les européens
C’est Libération, dans un article en date du 2 septembre 2022, qui nous offre un parfait exemple de papier émotionnel comme l’opinion en avait eu lors de la mort d’Alan Kurdi. Le titre met d’ailleurs les deux histoires en lien : « Enfants réfugiés en Grèce : de la mort du petit Aylan (ou Alan) à celle de la petite Maria, le recul terrifiant de la compassion ».
Le reste du texte suit la même pensée, les adjectifs sont toujours plus forts (« xénophobe », « toxique », « outrageusement »), quant à la vision de l’événement elle est simple, manichéenne, orientée de façon à susciter l’émotion et la compassion en faveur des migrants.
Mise en scène sémantique
Citons quelques extraits afin de comprendre la vision qu’a Libération de ce drame. Tout d’abord, « le gouvernement grec a laissé mourir une petite Syrienne, mettant en doute son prénom. Puis jusqu’à son existence. » Décédée des suites d’une piqûre de scorpion, la journaliste note que « bien sûr, l’enfant aurait pu être sauvée si on lui avait porté secours à temps. Mais les autorités grecques, obsédées par leur stratégie de refoulement migratoire systématique, les push-back, totalement illégaux, ont outrageusement nié la présence de ce groupe sur l’îlot. » Une phrase tournée de sorte que l’on comprenne que le gouvernement grec a sur la conscience la mort de cette petite fille. Le Premier ministre grec est accusé de collusion avec « l’extrême droite xénophobe. » Enfin, ceux qui avaient des doutes sur la véracité de la photo du petit Alan colportaient « des discours toxiques ».
Ce vocabulaire et cette manière aussi catégorique de décrire des événements ne sont pas sans rappeler la propagande de guerre.
Allers et retours entre Grèce et Turquie
Seulement, la réalité est évidemment plus nuancée. Le Monde livre un récit moins catégorique de cette tragédie. Nous apprenons que la petite est morte alors qu’elle tentait la traversée du fleuve Évros avec sa famille, composée de quatre frères et sœurs, ainsi qu’un groupe d’une cinquantaine de migrants. Nous sommes le 14 juillet. C’est alors qu’ils accostent sur la rive grecque et sont renvoyés vigoureusement par les autorités, sans eau ni nourriture vers un îlot proche. L’îlot est limitrophe entre la Grèce et la Turquie. Dans la manœuvre, deux personnes se noient et une autre se fait, d’après certains témoignages, battre à mort. Les migrants tentent alors d’aller en Turquie où ils sont accueillis avec une volée de coups, et reviennent à leur point de départ.
La Cour européenne des droits de l’homme … contre les européens
Le 20 juillet, la Cour européenne des droits de l’homme est saisie par des ONG demandant la mise à l’abri des clandestins. La police grecque affirme alors ne pas parvenir à localiser les migrants. Le 9 août, Maria meurt du fait d’une piqûre de scorpion et sa sœur, Aya, est dans un état préoccupant pour la même raison. Le 15 août enfin, le groupe est retrouvé à 4km de l’îlot où les avaient envoyés les autorités.
Les similitudes avec le récit construit par les médias sur la mort d’Alan sont nombreuses. Tout d’abord, comme dans le cas d’Alan, c’est la plus jeune victime qui est mise en avant, seule Maria est mise en avant comme le symbole d’une enfant fauchée par le repli sur soi des Grecs. Cela n’est pas anodin, c’est le signe le plus visible d’une déformation de l’information, d’une œillère appliquée au journalisme afin qu’il se glisse dans l’ordre idéologique du moment, ce dernier comprenant une promotion de l’immigration.
La Turquie oubliée
Au-delà de ces mises en scène, rejeter la faute uniquement sur le gouvernement grec est un raccourci discutable. Dans son article, Libération parle des manœuvres repoussoirs employées de manière « systématique » par les autorités grecques. Les journalistes ne parlent à aucun moment de ce ping-pong qui a lieu entre la Turquie et la Grèce se renvoyant les clandestins. Le régime d’Ankara fait pression sur l’Europe avec la menace de lâcher des migrants. D’ailleurs, le ministre grec des migrations, Notis Mitarachi, déclarera en apprenant le drame qu’il a eu lieu en territoire turc. Les Grecs ne sont pas les seuls à avoir repoussé ces clandestins.
Tous les éléments pouvant altérer l’émotion suscitée par la mort de cette petite fille et injecter une dose, même légère, de rationalité, sont omis. C’est un autre point commun avec le récit médiatique sur la mort d’Alan Kurdi.
Alan hier, Maria aujourd’hui, certains journalistes semblent plus doués pour tisser de larmoyantes nouvelles que pour expliquer calmement les raisons pour lesquelles ces drames ont réellement lieu. La Comédie française tient-elle ses futurs metteurs en scène dans les rédactions ?