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Manipulation par l’image, Maria remplace Aylan

30 décembre 2022

Temps de lecture : 5 minutes
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Manipulation par l’image, Maria remplace Aylan

Temps de lecture : 5 minutes

Pre­mière dif­fu­sion le 12/09/2022.

En avril 2020, l’OJIM publiait un article revenant sur la manière dont la mort tragique du petit Alan (ou Aylan) Kurdi sur une plage turque avait été instrumentalisée à des fins idéologiques. L’histoire bégaie et nous assistons à une manipulation semblable avec l’histoire de la petite Maria, syrienne de cinq ans, morte sur une île grecque après une piqure de scorpion.

Voir aus­si : Le petit Alan Kur­di, otage médi­a­tique : de l’image choc à l’arrière-plan

Libération veut culpabiliser les européens

C’est Libéra­tion, dans un arti­cle en date du 2 sep­tem­bre 2022, qui nous offre un par­fait exem­ple de papi­er émo­tion­nel comme l’opin­ion en avait eu lors de la mort d’Alan Kur­di. Le titre met d’ailleurs les deux his­toires en lien : « Enfants réfugiés en Grèce : de la mort du petit Aylan (ou Alan) à celle de la petite Maria, le recul ter­ri­fi­ant de la com­pas­sion ».

Le reste du texte suit la même pen­sée, les adjec­tifs sont tou­jours plus forts (« xéno­phobe », « tox­ique », « out­rageuse­ment »), quant à la vision de l’événement elle est sim­ple, manichéenne, ori­en­tée de façon à sus­citer l’é­mo­tion et la com­pas­sion en faveur des migrants.

Mise en scène sémantique

Citons quelques extraits afin de com­pren­dre la vision qu’a Libéra­tion de ce drame. Tout d’abord, « le gou­verne­ment grec a lais­sé mourir une petite Syri­enne, met­tant en doute son prénom. Puis jusqu’à son exis­tence. » Décédée des suites d’une piqûre de scor­pi­on, la jour­nal­iste note que « bien sûr, l’en­fant aurait pu être sauvée si on lui avait porté sec­ours à temps. Mais les autorités grec­ques, obsédées par leur stratégie de refoule­ment migra­toire sys­té­ma­tique, les push-back, totale­ment illé­gaux, ont out­rageuse­ment nié la présence de ce groupe sur l’îlot. » Une phrase tournée de sorte que l’on com­prenne que le gou­verne­ment grec a sur la con­science la mort de cette petite fille. Le Pre­mier min­istre grec est accusé de col­lu­sion avec « l’ex­trême droite xéno­phobe. » Enfin, ceux qui avaient des doutes sur la vérac­ité de la pho­to du petit Alan col­por­taient « des dis­cours toxiques ».

Ce vocab­u­laire et cette manière aus­si caté­gorique de décrire des événe­ments ne sont pas sans rap­pel­er la pro­pa­gande de guerre.

Allers et retours entre Grèce et Turquie

Seule­ment, la réal­ité est évidem­ment plus nuancée. Le Monde livre un réc­it moins caté­gorique de cette tragédie. Nous apprenons que la petite est morte alors qu’elle ten­tait la tra­ver­sée du fleuve Évros avec sa famille, com­posée de qua­tre frères et sœurs, ain­si qu’un groupe d’une cinquan­taine de migrants. Nous sommes le 14 juil­let. C’est alors qu’ils accos­tent sur la rive grecque et sont ren­voyés vigoureuse­ment par les autorités, sans eau ni nour­ri­t­ure vers un îlot proche. L’îlot est lim­itro­phe entre la Grèce et la Turquie. Dans la manœu­vre, deux per­son­nes se noient et une autre se fait, d’après cer­tains témoignages, bat­tre à mort. Les migrants ten­tent alors d’aller en Turquie où ils sont accueil­lis avec une volée de coups, et revi­en­nent à leur point de départ.

La Cour européenne des droits de l’homme … contre les européens

Le 20 juil­let, la Cour européenne des droits de l’homme est saisie par des ONG deman­dant la mise à l’abri des clan­des­tins. La police grecque affirme alors ne pas par­venir à localis­er les migrants. Le 9 août, Maria meurt du fait d’une piqûre de scor­pi­on et sa sœur, Aya, est dans un état préoc­cu­pant pour la même rai­son. Le 15 août enfin, le groupe est retrou­vé à 4km de l’îlot où les avaient envoyés les autorités.

Les simil­i­tudes avec le réc­it con­stru­it par les médias sur la mort d’Alan sont nom­breuses. Tout d’abord, comme dans le cas d’Alan, c’est la plus jeune vic­time qui est mise en avant, seule Maria est mise en avant comme le sym­bole d’une enfant fauchée par le repli sur soi des Grecs. Cela n’est pas anodin, c’est le signe le plus vis­i­ble d’une défor­ma­tion de l’in­for­ma­tion, d’une œil­lère appliquée au jour­nal­isme afin qu’il se glisse dans l’or­dre idéologique du moment, ce dernier com­prenant une pro­mo­tion de l’immigration.

La Turquie oubliée

Au-delà de ces mis­es en scène, rejeter la faute unique­ment sur le gou­verne­ment grec est un rac­cour­ci dis­cutable. Dans son arti­cle, Libéra­tion par­le des manœu­vres repous­soirs employées de manière « sys­té­ma­tique » par les autorités grec­ques. Les jour­nal­istes ne par­lent à aucun moment de ce ping-pong qui a lieu entre la Turquie et la Grèce se ren­voy­ant les clan­des­tins. Le régime d’Ankara fait pres­sion sur l’Eu­rope avec la men­ace de lâch­er des migrants. D’ailleurs, le min­istre grec des migra­tions, Notis Mitarachi, déclar­era en apprenant le drame qu’il a eu lieu en ter­ri­toire turc. Les Grecs ne sont pas les seuls à avoir repoussé ces clandestins.

Tous les élé­ments pou­vant altér­er l’é­mo­tion sus­citée par la mort de cette petite fille et injecter une dose, même légère, de ratio­nal­ité, sont omis. C’est un autre point com­mun avec le réc­it médi­a­tique sur la mort d’Alan Kurdi.

Alan hier, Maria aujour­d’hui, cer­tains jour­nal­istes sem­blent plus doués pour tiss­er de lar­moy­antes nou­velles que pour expli­quer calme­ment les raisons pour lesquelles ces drames ont réelle­ment lieu. La Comédie française tient-elle ses futurs met­teurs en scène dans les rédactions ?

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