La manipulation par l’image est vieille comme l’invention de la photographie. La plus classique est celle de la recomposition de l’image elle-même. Au fur et à mesure des purges staliniennes, les anciennes photos des opposants éliminés étaient recomposées, les disparus étant effacés de la photographie. Autre procédé : prendre une photo ancienne avec deux protagonistes fâchés entre temps pour induire un rapprochement contemporain avec une information potentiellement gênante. C’est ce qu’a fait Le Monde dans son édition électronique du 25 février 2019 en ressortant une vieille photo de 2014.
Exposé des faits
Le titre est factuel « Un eurodéputé ex FN emploie la fille du porte-parole de Poutine ». Aymeric Chauprade est bien un eurodéputé ex FN et il emploie bien comme assistant parlementaire une certaine Elizaveta Peskova, fille de Dmitri Peskov qui serait un des porte-parole du Kremlin. Émoi dans les chaumières, le méchant loup Poutine va avoir accès aux travaux secrets du Parlement Européen. Il semblerait douteux que la jeune (21 ans) Elizaveta puisse accéder à des documents confidentiels, d’autant que son député réputé folklorique est fortement marginalisé au Parlement Européen. Il serait intéressant de savoir si certains assistants parlementaires ou assimilés n’ont pas été dans le passé ou seraient encore des parents de dignitaires américains pour juger d’une possible réaction à cet égard, mais là n’est pas notre sujet.
Manipulation par l’image par effet de contagion
Il est possible que les auteurs de l’article, Jean-Baptiste Chastard et Lucie Soullier n’aient pas choisis eux-mêmes la photo qui illustre leur papier. Mais un rédacteur plus haut placé ou un secrétaire de rédaction autorisé l’a alors choisie. Que dit cette photo ? Elle représente Marine Le Pen et l’eurodéputé Aymeric Chauprade côte à côte en 2014. Une image est toujours plus prégnante qu’un texte. Ce que suggèrent le titre suivi de l’image ce sont des proximités successives : Poutine/ Russie/Chauprade/Marine Le Pen. Ou encore Figure du diable/Pays du diable/Individu employant un envoyé du diable/Personnalité adjacente à des figures diaboliques. Certes le texte précise que le dénommé Aymeric Chauprade a quitté le FN en 2015 à la suite de facéties démontrant son amateurisme. Le texte précise aussi que Chauprade est témoin à charge dans l’affaire des assistants parlementaires du groupe FN. Mais l’important n’est pas dans le texte. Il est dans ce que suggère l’image : regardez, encore une fois, Marine Le Pen et son mouvement trempent dans une affaire un peu louche où Poutine et la Russie sont à la manœuvre. Chacun jugera de l’honnêteté du procédé.