Le dimanche 6 octobre 2019, plusieurs associations opposées à la PMA dite « pour toutes les femmes », c’est-à-dire pour les couples de femmes lesbiennes et les femmes seules, dont La Manif Pour Tous, manifestaient dans les rues de Paris. La PMA n’était pas seule dans la ligne de mire : la principale inquiétude est qu’elle débouche ensuite sur la GPA pour toutes (et tous). La façon dont ont été indiqués les chiffres de manifestants peut laisser perplexe.
- Les médias français allant tous boire à la source frelatée de l’AFP, un regard sur la dépêche de l’agence datée du 6 octobre n’est pas inutile. Titre : «Plusieurs dizaines de milliers d’opposants défilent contre la PMA pour toutes à Paris ». Le chiffre annoncé dès le 2e paragraphe est de 74 500 manifestants. Précis, propre à sembler sérieux. Il est important car il va être repris. D’où sort-il ? Il aurait été réalisé « par le cabinet Occurrence pour un collectif de médias, dont l’AFP ». Nous voici rassurés. C’est peu, semble-t-il. La preuve ? « A titre de comparaison, 100 000 manifestants avaient défilé en France lors de la première action contre le mariage gay en novembre 2012 ». Deux points à signaler dans cette dernière phrase :
- Si l’AFP veut vraiment comparer, alors il faut qu’elle applique le « dans toute la France » aussi à la manifestation du 6 octobre 2019 : du coup, combien de manifestants en réalité ?
- La loi de 2012 n’était pas une loi pour « le mariage gay » mais une loi en vue du mariage homosexuel. Le journaliste de l’AFP est mal informé : gay, homosexuel, ce sont concepts différents. Et l’utilisation du mot « gay » est étrangement sexiste, dans ce cadre médiatique, puisqu’il omet les lesbiennes (entre autres LGBTQIAA++++). Les femmes peuvent se marier et ne sont pas « gays ». Si même l’AFP ne parvient pas à s’y faire…
Selon l’AFP, les organisateurs ont compté 600 000 manifestants et la police seulement 42 000. Ce sont ces différents « comptages » qui vont être débattus dès le matin du 7 octobre 2019. L’enjeu n’est pas mince : aucun gouvernement ne voulant organiser de référendum, c’est-à-dire prendre le pouls réel de l’opinion du pays sur cette question de société, c’est donc « l’impression » qui prime, sauf à donner quitus aux sondages. L’AFP ne manque pas de conclure sur le fait que les actes homophobes auraient « bondi en France en 2013 » à cause de La Manif Pour Tous.
Ces éléments sont ceux qui vont être repris par tous les médias. L’AFP étant d’une certaine façon un pourvoyeur unique d’informations triées par avance. Seule l’interprétation change sur ce sujet de la PMA.
Deux exemples
- Exemple 1 : Le Monde. Un média réputé ouvert à toutes les transformations sociétales possibles et imaginables et par nature opposé aux anti PMA, considérés comme de dangereux extrémistes quels que soient leurs arguments. Le Monde titre sur le site internet le matin du 7 octobre 2019 : « A Paris, les anti-PMA tentent de renouer avec l’esprit de La Manif pour tous, sans y croire ». C’est donc un échec. La preuve ? « La manifestation (…) a rassemblé 74 500 personnes ». Que ferait-on en France sans l’AFP ? Le quotidien reprend de la même façon les chiffres de 600 000 et de 42 000. Le Monde conclut sur une citation de la ministre de la santé Agnès Buzyn sur une PMA « pour toutes » adoptée à une large majorité. De quoi ? Des députés. Qu’en pensent les Français ? Le quotidien ex de référence ne nous le dira pas car il ne tient pas à le savoir.
- Exemple 2 : Le Figaro. Un quotidien pour lequel se positionner sur un tel sujet est plus délicat. Titre : « PMA pour toutes : l’ampleur de la manifestation remobilise les opposants ». C’est fort intéressant : Le Monde parle de « résignation », Le Figaro de « remobilisation ». Alors ? Seuls les chiffres, dont personne ne peut savoir quel degré de véracité ils ont, pourraient départager les deux organes de presse. Ou bien ce fameux référendum que nous ne verrons pas venir, le bloc libéral libertaire au pouvoir ayant bien compris en 2005 et depuis, du fait des diverses élections à l’échelle du continent, qu’il n’est plus le bienvenu au destin des peuples. Le Figaro note la discordance entre les 600 000 manifestants des organisateurs et les 74 500 du cabinet Occurrence. Mais aussi les 42 000 parfaitement ridicules de la préfecture de police. De même, au sujet des manifestations de 2012 le quotidien ne fait pas la même comparaison : « Dans la soirée, ces chiffres ont entraîné un début de polémique. La Manif pour tous a jugé l’estimation donnée par les autorités « en contradiction avec les échanges opérationnels » avec la Préfecture de police. Elle a demandé un accès aux vidéos de la Préfecture sur l’ensemble des itinéraires de la manifestation. Pour rappel, la première manifestation contre la loi Taubira de novembre 2012 avait réuni 200.000 manifestants, selon les organisateurs, 70.000 selon la Préfecture de police ».
Pour le reste, les deux quotidiens s’appuient sur la dépêche de l’AFP, la recopient même, ajoutant simplement des témoignages différents recueillis sur place, ainsi qu’une orientation différente de l’interprétation de l’évènement. Ce qui est déjà beaucoup, notons-le, dans la presse française actuelle.
Du flou dans l’incertain mais un peu de proximité
En l’absence complète d’informations sur cette forme de PMA en tant que telle, tout étant bien floue et fort peu expliquée sur le fond, comme en l’absence de réel débat ou de recherche de l’opinion véritable des Français, il y a polémique sur les chiffres. Ce n’est pas anodin, les organisateurs s’interrogeant sur l’origine des chiffres fournis par le cabinet Occurrence ainsi que sur la nature de ce dernier.
Du coup, le Checknews de Libération est monté au front pour répondre à cette question : « La société Occurrence, qui a compté 74 500 manifestants contre la PMA dimanche (ce qui au vu des images est clairement ridicule, même pas le stade de France un jour de match — NDLE) est-elle proche de LREM ? ». Il est alors 11h12, nous sommes le 7 octobre 2019. Cette supposition n’est pas nouvelle, elle dure depuis plus d’un an et « est fondée sur quelques tweets de certains de ses responsables ». La vraie question porte sur la proximité avec Aurore Bergé et sur « une ancienne chef de projet de LREM ». Libération l’indique : l’affirmation de proximité repose sur un seul tweet « dans lequel Assaël Adary, président d’Occurrence, affichait son soutien à Aurore Bergé, alors candidate LREM aux législatives ». Le tweet, quoi qu’en disent les journalistes montre une vraie proximité. La chef de projet n’est plus chez Occurrence mais elle y a bien travaillé et son patron soutient une candidate LREM. En gros, il ressort de la tournure de ce « check » qu’Occurrence, mandaté par « un collectif d’une vingtaine de médias », serait « indépendant ». Vraiment ?
Devant de telles analyses, il n’y a plus de doute : l’ère de la post-vérité tourne à plein régime mais pas dans le sens que l’on croit. Le cabinet qui compte les manifestants opposés au pouvoir en place est proche ou ami de ce pouvoir, au moins idéologiquement. Et la majeure partie de la presse, organisée ou pas « en collectif ».
Ce qui étonne n’est pourtant pas cela. Ce serait plutôt que les idéologues au pouvoir, justement, ne se sentent plus obligés de se justifier, mais mentent tranquillement et ouvertement ou par omission en permanence. La démocratie est entrée dans une période de lassitude.