Dans l’affaire de l’inéligibilité de Marine Le Pen, le point le plus important est l’exécution provisoire qui la met quasi-certainement hors-course pour l’élection présidentielle. L’enjeu est pourtant pudiquement éludé par la majeure partie des chaînes de télévision.
Les juges, pourris ou aveugles ?
À la télévision, deux camps s’affrontent, ou d’ailleurs ne s’affrontent pas et restent chacun sur leur chaîne. D’une part, les journalistes qui rejettent la décision qui frappe Marine Le Pen d’inéligibilité et surtout l’exécution provisoire, qui l’empêche de se présenter en 2027. Gilles-William Goldnadel, chroniqueur sur CNews, affirme ainsi que « cette décision politique s’insère dans une déliquescence de la justice, que j’observe depuis une trentaine d’années et qui s’aggrave. » Selon lui, on ne peut cependant pas en tirer des conclusions quant à la politisation de la justice. D’après lui, tous les juges ne sont pas au Syndicat de la magistrature mais « le juge est un type qui lit Libération le matin et le Monde le soir, il n’est pas forcément politisé mais manifeste une sorte de conformisme. » Dès lors, le juge « respecte moins le droit pur pour être dans sa propre conformité morale ». Une situation inquiétante que Gilles-William Goldnadel regrette « beaucoup plus pour la justice que pour le Rassemblement National. »
La gauche ne pardonne pas à Marine Le Pen de ne pas s’excuser
De l’autre côté du spectre médiatique, on trouve Patrick Cohen, chroniqueur et animateur sur France Inter. Sa chronique commence ainsi par un texte présenté comme le brouillon d’un discours de Marine Le Pen. Il expliquera après sa lecture qu’il s’agit d’un texte élaboré à partir d’une archive d’un discours de François Fillon. Cependant, alors que ce dernier reconnaissait les faits en s’en excusait, Patrick Cohen souligne que « Marine Le Pen n’a rien concédé et maintient qu’il s’agit d’une condamnation politique ». Selon lui, « elle renoue avec le discours victimaire qui est celui de son parti depuis 40 ans ». Une erreur pour la présidente du Rassemblement National qui ferait mieux de faire amende honorable, elle qui, les journalistes le notent à longueur de pages et de chroniques, a toujours plaidé l’irréprochabilité des élus. Il conclut que « jouer la rue contre les juges, c’est être à peu près certains de perdre sur tous les tableaux ». Au reste, ils sont peu nombreux ceux qui croient que Marine Le Pen pourrait être reconnue innocente, et BMFTV juge l’hypothèse « peu crédible ».
Voir aussi : Patrick Cohen, portrait
Comment les médias montrent une Marine Le Pen seule
Pendant la présidentielle 2017, François Fillon était dépeint comme particulièrement isolé par les médias. Le portrait de Marine Le Pen en est une copie. Patrick Cohen note ainsi sur France Inter l’échec de son discours. Il « ne ressoude que les électeurs les plus fidèles », qui ne remplissent pas la place Vauban, où a eu lieu le 6 avril la manifestation de soutien à Marine Le Pen. BFM TV ira plus loin en invitant Bernard Sananès, président de l’institut de sondage Elabe, à commenter un sondage d’opinion portant sur le verdict qui frappe Marine Le Pen. Un sondage qui montre qu’il n’y a « pas de sentiment d’un déni de justice pour les français », que la décision d’inéligibilité apparaît comme « normale et perçue comme juste » et que « les Français donnent plutôt raison à la justice. »
Noyer le poisson de l’exécution provisoire
Ce qui choque les politiques et les soutiens de Marine Le Pen, et dont les médias ne parlent guère, c’est l’exécution provisoire. Ainsi, invitée chez Gilles Bouleau pour le 20h de TF1, Marine Le Pen explique d’entrée de jeu que cette exécution provisoire est le véritable scandale du verdict. Cela n’empêche pas Gilles Bouleau de botter en touche et de demander « en quoi la décision était-elle politique ? Elle était étayée, il y a 152 pages de jugement ». Il insiste même en rappelant que « l’inéligibilité immédiate est prévue par les textes, vous-mêmes dans votre programme, vous dîtes “il faut de la fermeté, il faut des peines plancher” ».
Gilles Bouleau se concentre ainsi sur la décision d’inéligibilité elle-même. Or, même si Marine Le Pen s’estime innocente et affirme donc qu’elle gagnerait en appel et ne devrait pas purger cette peine d’inéligibilité, le vrai problème et que cette peine prend effet immédiatement, ne peut pas être suspendue par un appel, et que le risque est donc grand que Marine Le Pen n’en soit pas libérée pour l’élection présidentielle 2027. La plupart des spécialistes estiment peu probable que l’appel aboutisse avant l’élection.
Tout le passage de Marine Le Pen au 20h de TF1 sera consacré par Gilles Bouleau à montrer que l’inéligibilité est une bonne mesure, quand bien même ce n’est pas le sujet premier pour le Rassemblement national. L’animateur rappellera ainsi à plusieurs reprises l’histoire de Laurence Arribagé, adjointe à la mairie de Toulouse et condamnée à cinq ans d’inéligibilité par le tribunal correctionnel de Paris en 2024. Une décision saluée par certains députés du Rassemblement national. Pour Marine Le Pen, si l’exécution provisoire s’est appliquée dans ce cas, c’est parce que les faits reprochés à Laurence Arribagé avaient eu lieu pendant le mandat qu’elle occupait encore. Or, Marine Le Pen n’est plus au Parlement européen.
La plupart des chaînes de télévision mettent l’accent sur le sérieux du dossier judiciaire, sur le refus de Marine Le Pen de reconnaître ses torts, mais oublient régulièrement de parler de l’exécution provisoire qui prive un tiers des Français d’une candidate qui a une chance non-négligeable d’emporter l’élection présidentielle.
Voir aussi : L’inéligibilité de Marine Le Pen divise les médias
Adélaïde Hecquet