Comme tous les médias officiels, Le Monde revendique de ne pas publier des fake news/infox mais refuse également que l’on puisse trouver sa sémantique orientée. Pourtant le quotidien du soir quitte souvent le domaine des faits pour celui de l’interprétation. Un cas d’école, avec un article de Lucie Soullier sur Marion Maréchal publié le 23 janvier 2019. Décryptage.
Examen du titre et du chapeau
Le sujet est un des grands dadas du Monde : « l’extrême droite », supposée cette fois en la personne de Marion Maréchal. Le titre et le chapeau choisis sont d’emblée orientés : « La visite très remarquée de la « retraitée » Marion Maréchal à Oxford.
Accueillie sous les huées des manifestants antifascistes, alors qu’elle venait prendre la parole à l’association des étudiants de l’université britannique, l’ancienne députée FN a livré son analyse du mouvement des « gilets jaunes ». » Les guillemets à « retraitée » visent à mettre en doute la parole et l’action du sujet de l’article, c’est du domaine du procès d’intention. Le chapeau d’un article indique de quoi le papier va parler, tout en laissant entendre comment. Le Monde démarre sur « les huées des militants antifascistes ». Deux remarques :
- La qualité « antifasciste » de militants en action n’est jamais interrogée, mise en doute ou en perspective par le quotidien. Le présupposé est qu’il s’agit d’un élément d’un camp du bien. Ce qui revient à faire un autre procès d’intention à Marion Maréchal, supposée reconnaissable dans l’idéologie fasciste puisque des militants supposément antifascistes manifestent contre elle.
- Une analyse des faits, hors des pages du Monde, conduit à ce constat : il y avait sans doute quelques dizaines de militants manifestant contre Marion Maréchal, peut-être entre 20 et 30, d’après les photos publiées justement par Lucie Soullier sur son compte twitter, photos pourtant prises selon un angle visant à accentuer l’effet foule. La salle était quant à elle comble.
Le corps du texte
Les deux premiers paragraphes insistent sur l’interprétation proposée dans le chapeau en lieu et place d’une présentation factuelle. Lucie Soullier donne la parole à un homme de 22 ans, courageux puisque battant le « bitume » sous une « neige qui tombe depuis des heures ». Outre un vocabulaire politique de haut vol (« Fuck » est-il écrit sur sa pancarte), le jeune homme a un message à faire passer, rapporté par Lucie Soullier : « Elle peut relooker son nom comme elle le veut, on sait ce qu’il y a derrière. Le fascisme ». C’est le jeune homme qui parle, bien sûr, mais chacun comprend que c’est ce que veut signifier la journaliste.
Gil, 22 ans, ne sait pas exactement si Marion Maréchal est la nièce ou la fille de Marine Le Pen mais il brandit aussi haut qu’il le peut ses trois mots de protestation. « Elle peut relooker son nom comme elle veut, on sait ce qu’il y a derrière. » pic.twitter.com/n1wMHOX91f
— Lucie Soullier (@LucieSoullier) January 22, 2019
- Suit le passage sur le nom : « Aujourd’hui départie de son tiret Le Pen, l’ancienne députée Front National… ». Tout est dans la façon de formuler. Marion Maréchal ayant quitté son ancienne vie politique, et donc ce qui fut son nom de femme politique, au profit de son nom d’état civil, cette façon de commencer le paragraphe tient de la manipulation sémantique.
- Derrière la question du nom, ce que veut affirmer non pas factuellement mais de façon interprétative Lucie Soullier, c’est que Marion Maréchal ne serait pas en retraite de la vie politique. Elle en voit pour preuve les mots de la directrice de l’ISSEP Lyon au sujet des Gilets Jaunes ou sa venue à Oxford, alors qu’il s’agit d’une invitation devant un public majoritairement étudiant.
Les gilets jaunes
Son discours est donc… « politique », et commence par une « citation de de Gaulle ». Marion Maréchal traite du décalage qu’il y a entre les élites et le peuple, à partir de l’exemple des Gilets Jaunes. Elle y verrait des points communs avec les anglais ayant soutenu le brexit, un moyen pour Soullier d’indiquer que cela rejoindrait la conception de Steve Bannon. Il est intéressant de lire le passage en entier, sans rien tronquer :
« Avant de passer au cœur du sujet : le mouvement des « gilets jaunes ». « Bien des membres de l’élite, de notre président à nos ministres ou journalistes (…) qualifient les “gilets jaunes” de “troupeau sauvage”, “peste”, “ploucs”, “racistes”, “antisémites”, “homophobes”, etc. », avance ainsi Marion Maréchal. Les mêmes mots, selon elle, ont été utilisés « pour décrire ceux qui ont soutenu le Brexit ». Presque la même analyse que celle déroulée par Steve Bannon en mars 2018, lorsque l’ancien conseiller de Donald Trump exaltait la foule du congrès frontiste d’un « laissez-les vous appeler racistes, xénophobes, islamophobes. Portez-le comme un badge d’honneur ».
- Lucie Soullier grossit le trait dans sa volonté d’assimiler Marion Maréchal et Bannon, indiquant que « comme lui », elle est « loin de renier le terme de populisme ». C’est-à-dire qu’en réalité elle a employé le terme lors de la conférence. A ce compte-là aussi, quiconque utilise ce vocable et ne le « renie » pas serait assimilable à Bannon.
- La suite est du même tonneau :
« Le mouvement des “gilets jaunes” est la réponse des gens à ce système (…) qui prône l’immigration comme une obligation morale » ou « la mondialisation incontrôlée comme un véhicule de prospérité », tance la conservatrice anti-procréation médicale assistée (PMA) et anti-mariage pour tous, invoquant des « principes hérités de notre civilisation chrétienne et gréco-romaine », avant de conclure que « deux choses doivent être préservées : l’identité et la souveraineté ».
Les autres noms du Mal absolu en somme, du côté Monde.
- Un Mal absolu rappelé par son tweet :
Ça me rappelle quelque chose https://t.co/VaMDLx4dYX pic.twitter.com/cF4DmJ0oT5
— Lucie Soullier (@LucieSoullier) January 22, 2019
Notons que l’article utilise le mot « extrême-droite », comme il est d’usage en France, pour évoquer toute pensée de droite en désaccord avec la conception du monde dominante dans les médias. Procès d’intention qui permet d’éliminer l’adversaire du champ culturel et politique. Est-ce encore du journalisme ?