Quand vous êtes très, très riche, vous êtes envié. Quand vous êtes envié et très, très riche, pour vous défendre vous organisez à grands frais et dans le monde entier des « séminaires de réflexion ». Ces séminaires – où l’on peut supposer que les invités sont là tous frais payés et dans des endroits agréables – sont l’occasion de se faire des amis et de tester des idées. La dernière en date – baroque – pour le réseau social, est de créer une « Cour suprême » jugeant les conflits sur les contenus du réseau. Une manière de faire diversion au moment où Facebook est accusé de tous les maux. Et accumule les bénéfices.
Surveiller et punir
L’idée d’une sorte de Cour suprême fût exprimée dès avril 2018 par Mark Zuckerberg dans un entretien avec le média américain Vox. Puis reprise par un article dans le New York Times en novembre 2018 qui annonçait sa création pour fin 2019.
Après de coûteuses, et nous l’espérons productives, réunions avec des « experts » du monde entier, le réseau social a publié un document de 44 pages le jeudi 27 juin 2019, précisant ses intentions. Quelques jours auparavant à Berlin, Nick Clegg responsable des affaires institutionnelles avait annoncé la création d’un d’un conseil de surveillance mondial (Oversight board). Le verbe to oversight en anglais ou en américain signifie dans ce contexte très exactement surveiller. La traduction d’un article du Monde qui parle de comité de supervision est fautive et minimise les enjeux.
Le rôle de ce conseil de surveillance mondial est de prendre des décisions en dernier recours sur ce que les utilisateurs seraient autorisés à poster sur le réseau et sur ce qui serait in fine interdit.
Les quarante et les trente mille
Quarante personnes seront choisies, « experts avec des expériences différentes, des disciplines différentes, et des points de vue différents, mais qui tous peuvent représenter les intérêts d’une communauté globale ». Nous reviendrons sur le terme communauté globale. Ces personnes seraient rémunérées à temps plein ou partiel par une fondation extérieure à Facebook mais financée par ce dernier.
Les quarante ne jugeraient que des cas les plus emblématiques ou compliqués. Ils ne seraient pas déjà membres des modérateurs du réseau social, une armée de trente mille (vous lisez bien, 30000) utilisateurs de ciseaux électroniques. Pourraient ils s’autosaisir des cas litigieux ou bien ces cas seraient ils sélectionnés en amont par le réseau social, nul ne le sait encore.
Naissance d’une nation
Résumons : 2,7 milliards de participants, un pouvoir exécutif (le conseil d’administration de Facebook), un président (Mark Zuckerberg), une constitution (les fameuses règles de Facebook), une monnaie (le Libra), une armée (les trente mille modérateurs/censeurs), un pouvoir judiciaire (le conseil de surveillance), vous mettez dans un chapeau, vous remuez. Qu’est ce qui sort ? Quelque chose qui ressemble à une méga nation, s’étendant comme un virus. C’est ici que le terme communauté globale prend tout son sens. Reprenons les mots de l’entretien de Zuckerberg de novembre 2018, il souhaite créer une sorte de Cour suprême qui portera un « jugement final sur ce que devrait être un discours acceptable dans une communauté qui reflète les normes sociales et les valeurs des gens dans le monde entier ». New world order, un nouvel ordre mondial à la fois lénifiant et totalitaire. Ça vous tente ?
Crédit photo : carlayashiro via Flickr (cc)