Durant la semaine du 16 au 20 octobre 2017, la parole la plus prononcée et les mots les plus écrits dans les médias français sont : « La parole a été libérée ». Référence au prédateur sexuel Harvey Weinstein ainsi qu’à sa conséquence française, la mise en œuvre d’un hashtag #balancetonporc sur Twitter. C’est dans ce contexte que la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes était l’invitée d’Élizabeth Martichoux le lundi 16 octobre lors de RTL Matin. Onze minutes révélatrices de l’état du féminisme en France, tant même cette secrétaire d’État-là paraît en retard et sous influence. À quand une vraie déconstruction de la domination masculine en France ?
À féminisme, féminisme et demi
Pour Marlène Schiappa, la déconstruction de la domination masculine c’est maintenant. Précédée par le Président de la République, lors de sa conférence de presse télévisée du dimanche soir 15 octobre 2017, Marlène Schiappa est invitée pour exposer les contours de son projet de loi sur le harcèlement de rue. Élizabeth Martichoux tend la perche du studio à la secrétaire d’État au sujet de cette surprenante préséance du chef de l’État. L’auditeur ou le téléspectateur suivant l’entretien sur le site de la radio s’étonne : la secrétaire d’État ne relève pas, paraissant comprendre que la journaliste juge dommageable que le président ait en quelque sorte vendu la mèche. Le sourire de Marlène Schiappa en dit long sur cette incompréhension.
À l’évidence, Élizabeth Martichoux n’interroge pas sur une indélicatesse ou une petite erreur de communication mais bien sur le fait même de cette préséance du chef de l’État en tant qu’il est un homme. C’est bien de domination masculine et du fait que cette domination se pratique même chez ceux qui s’annoncent en charge de la combattre que la journaliste veut signaler à la principale militante de ce combat au sein du gouvernement. En effet, une fois de plus la parole ne semble pas si libérée que cela : un homme politique de sexe masculin a volé la vedette à une femme politique portant un projet, signalant ainsi que ce projet porté par une femme est avant tout le sien. Ce que du reste la Secrétaire d’État reconnaît à plusieurs reprises au cours de l’entretien, en se plaçant sous la protection toute patriarcale d’Emmanuel Macron.
Élizabeth Martichoux ne comprend pas bien ? Nous, non plus
Ce n’est pas le seul moment surprenant de l’entretien accordé par Madame Schiappa à RTL. Laissons de côté la susceptibilité à fleur de peau de la Secrétaire d’État, récusant le mot de « militante » prononcé à son propos par la journaliste au sujet de la PMA, préférant insister sur son statut de « membre convaincue du gouvernement » – une susceptibilité qui est devenue une marque de fabrique du macronisme. Le plus important est que Madame Schiappa a eu du mal à se faire comprendre. Les explications de la Secrétaire d’État quant aux fondements et au contenu à venir de son projet de loi n’ont guère été audibles à l’antenne, tant pour l’auditeur que pour Madame Martichoux. Cette dernière a en effet beaucoup insisté pour que Madame Schiappa parvienne à expliquer ce qu’est « le harcèlement de rue ». La Secrétaire d’État n’y est pas clairement parvenue, ce qu’aucun média officiel n’a jugé utile de souligner les jours suivants. L’invitée commence par exposer que « l’idée de la verbalisation du harcèlement de rue, c’est qu’il y ait du flagrant délit. Que les forces de l’ordre puissent verbaliser le harcèlement de rue ». Ceci étant posé, Élizabeth Martichoux s’interroge à juste titre sur ce qu’est « le harcèlement de rue ».
En effet, tant qu’à verbaliser et à donner des amendes à des individus pour un délit, il peut sembler nécessaire que ce délit soit non seulement caractérisé mais qu’il soit préalablement défini. C’est ce dernier verbe que la journaliste utilise, regrettant justement que le harcèlement de rue ne soit pas « défini ». Réponse de la porteuse de projet : « Très bien ! J’ai installé un groupe de parlementaires dont la mission est justement de le définir ». L’auditeur tend l’oreille… En cette séquence médiatique où la question du sexisme, du harcèlement et des agressions sexuelles est au centre de toutes les attentions, semaine qui débute par l’annonce d’un « grand projet de loi pour lutter contre le harcèlement de rue », la Secrétaire d’État explique posément que ce délit contre lequel la loi devra lutter n’est pas défini. Qu’il n’a pas encore d’existence conceptuelle en somme. Surprise, Madame Martichoux insiste afin de comprendre. Réponse de Marlène Schiappa : « On peut retenir la définition du harcèlement de rue [dont elle vient justement d’expliquer qu’il n’était pas défini – la pensée complexe paraît s’étendre], et on peut retenir la notion d’outrage sexiste, dont certains experts disent qu’il suffit effectivement d’une fois, dès lors que le caractère d’intimidation installant un climat d’insécurité pour les femmes est prouvé ». Donc… Une preuve d’un climat d’insécurité provoqué par un délit dont la nature n’est pas définie mais dont on peut tout de même retenir… la définition.
Silence, quand tu nous tiens
Madame Schiappa précise sa pensée : « On sait très bien intimement à partir de quand on se sent intimidée, harcelée, en insécurité ». Ainsi, la définition du harcèlement de rue, délit qui va conduire à des verbalisations et à des amendes, dépendra du « ressenti » de la personne non genrée de type féminin se sentant victime dudit harcèlement. La Secrétaire d’État annonce une « formation » pour les policiers, ce qui ne manquera pas de les rassurer. Reste que cette « définition » (l’intimement) peut surprendre dans une république dont le socle est fondé sur le Bien commun, lequel ne fixe pas des lois en diversité, et relativistes selon le ressenti des individus, mais des lois valables pour tous. La loi détermine les délits en fonction de critères objectifs et non pas subjectifs. Ici, le bon vouloir d’un individu genré de type féminin deviendrait-il source de l’application de la loi ? La question mériterait d’être posée. Elle ne l’est pas.
Pourtant, ne rien comprendre n’est pas tout. Il y a aussi les silences. Et dans RTL Matin, ce lundi 16 octobre 2016, ils sont silences bruyants. Pas un mot sur le harcèlement de rue tel qu’il se développe dans certains quartiers ? Pas un mot non plus sur cette forme de harcèlement de rue qu’est le harcèlement sexiste vestimentaire inhérent à la culture d’une partie spécifique des communautés formant nation française ? Non. Pas un mot. Pas une question non plus. Madame Schiappa encore un effort ! Osez le féminisme ! Sans tabous ?
Crédit photo : capture d’écran vidéo RTL