Le système sait se réinventer pour surnager. Ainsi le président Macron, sans parti sinon celui du grand capital, sans appuis sinon celui du système, sans expérience sinon celle de la banque, a su endosser à son tour le mythe politique de l’homo novus pour accéder aux plus hautes fonctions. De la même façon les tenants du système médiatique savent détourner l’appétence des français pour des sites d’information indépendants et d’investigation pour surnager parmi le reste de la presse, déconsidérée et bien trop souvent aux ordres.
On apprend ainsi ces jours-ci que Médiapart est entré au capital de Mediacités, créé en décembre 2016 à Lille et qui a rayonné depuis à Lyon, Toulouse et Nantes. Le site, créé par d’anciens de L’Expansion et de L’Express, souhaite créer des médias d’investigation locaux dans les métropoles, où jusque là la presse restait l’expression d’oligopoles régionaux historiques souvent bien tendres avec le pouvoir, quand ils n’assurent pas son service après-vente en échange des juteux marchés publicitaires des collectivités locales ou de l’organisation d’événements en partenariats avec lesdites entités. Par ailleurs la presse d’investigation nationale sort rarement de Paris, même si cela s’est amélioré ces dernières années.
Quand le Ministère de la Culture finance l’Indépendance…
Mediacités a annoncé dans un communiqué que « cette prise de participation minoritaire prolonge un partenariat éditorial engagé ces derniers mois qui a pris la forme d’échanges d’articles ou d’enquêtes réalisées en commun ». Avec Médiapart, d’autres acteurs indépendants de la presse ont pris des participations, non précisées, à savoir Indigo Publications (Lettre A, Intelligence on line, Africa Intelligence, PressNews) ou encore l’agence de presse coopérative CAPresse. Ces participations seraient symboliques mais Mediacités a réussi à lever dans le même cadre 350 000 €, sans préciser cependant l’identité des généreux donateurs ; seule une très petite partie (25 000€) a été levée par le financement participatif sur Ulule. Le site souhaite s’implanter dans deux agglomérations nouvelles d’ici 2020 et couvrir dix métropoles dans trois ans.
On ne présente plus Médiapart, champion de l’investigation sur le web, tombeur de Cahuzac, mais qui fait la part belle à la censure des idées qu’il ne défend pas, le trotskisme de ses patrons (dont Laurent Mauduit et Edwy Plenel), la défense de l’immigration et du sans-frontiérisme, l’engagement pour Mélenchon à la présidentielle – ce qui n’a pas empêché le média qui a dit pis que pendre de Macron dans ses colonnes, de hurler avec les loups en appelant à voter pour lui au second tour, plutôt que d’avoir, comme Mélenchon, la politesse de se taire. Et un engagement total contre le Front National – qui applique un boycott strict contre Médiapart, au risque parfois de petits arrangements avec la vérité.
Mediacités de son côté est aussi lié au système médiatique, habillé de neuf et repeint aux couleurs de l’indépendance. Il a d’ailleurs fait appel aux « bourses d’émergence » du Ministère de la Culture, périphrase qui définit des aides pour des lancements de médias en phase avec les valeurs véhiculées par le système médiatico-politique et partagées par un nombre de moins en moins grand de français.
Soutien de la CFDT
Il a été créé par sept associés dont une majorité d’anciens journalistes de L’Express et de L’Expansion. Jacques Trentesaux, ancien de La Croix et de Liaisons sociales, deux publications pas vraiment à droite, a ensuite dirigé le service « Villes » de l’Express et est le directeur de publication de Mediacités. Il a aussi été pionnier du Rassemblement des associations de journalistes en 2008 aux côtés de Pascale Colisson et Lorenzo Virigili. En 2010, il est élu suppléant au CE de l’Express pour la liste CFDT-CGT.
Il n’y a rien d’étonnant donc que la CFDT publie un long communiqué de soutien à Mediacités en mettant l’accent sur l’engagement syndical de Jacques Trentesaux : « Le concepteur de ce modèle payant par abonnement, l’ancien rédacteur en chef de l’Express Jacques Trentesaux, est un journaliste engagé à la CFDT […] il est un adhérent de l’ USJ-CFDT de longue date ».
Il y a encore Sylvain Morvan, diplômé de l’école de journalisme de Toulouse, passé par Ouest-France puis l’Express jusqu’en 2016 ; Manola Gardez, directrice de l’Alliance internationale de journalistes, créée en 2004 pour promouvoir l’éthique dans la presse (sérieusement) ; Nicolas Barriquand, ancien correspondant international pour Libération, Le Temps, Le Soir puis journaliste à L’Express ; Benjamin Peyrel, encore un ancien de La Croix et de L’Express ; Yves Adaken, journaliste web depuis 1998, ancien de 18h.com, directeur du site de L’Expansion pendant 12 ans et rédacteur en chef adjoint de lexpress.fr de 2012 à 2015.
Ou encore le jeune Hugo Soutra, correspondant de presse à Laval pour Ouest-France (2008–2011), sûrement une bonne école du journalisme d’investigation, « spécialisé dans le traitement de l’information politique » et qui s’est illustré dans divers médias bien connus pour leur courage relatif dans l’investigation et la remise en cause des instances politiques locales ou nationales que sont LCP-Assemblée Nationale (2011), Public Sénat (2011–2012), La Gazette des Communes (2012–2016) ou encore Le courrier des maires et des élus locaux (depuis 2016). Cependant pour avoir de bons contacts sur le terrain, c’est le bon endroit. Mediacités fait aussi du recyclage, par exemple à Nantes avec Anthony Torzec, viré après quinze ans de service de Radio Fidélité lorsque celle-ci a décidé d’arrêter l’information locale.
Ramener les lecteurs au bercail
Au niveau local, on peut encore relever Pierre-Yves Bulteau, qui vomit dans le même article l’ICES de la Roche-sur-Yon et toutes les valeurs de droite qu’il exècre : pour l’information objective, on repassera. Et pour cause : il est journaliste, mais surtout militant d’extrême-gauche. Il a d’ailleurs édité un livre anti-FN, En finir avec les fausses idées propagées pour l’extrême-droite avec le soutien de diverses associations et syndicats de gauche (CGT, Fidl, FSU, MRAP, JOC, LDH, Sud, UNEF, UNL). Avec un succès tout relatif lorsqu’on constate les résultats de la présidentielle de 2017.
Le site fonctionne sur abonnement (6€90 par mois et sans publicités) avec un modèle équilibre qui vise l’équilibre en 2020 à 3000 abonnés et « un réseau de quinze à vingt pigistes » par ville. Interrogé par les journalistes de la CFDT, Jacques Trentesaux souhaite revaloriser le métier de journaliste : « le socle du métier est de publier l’information. Je le ferai avec des gens maltraités, les journalistes pigistes, les isolés, qui constituent le dernier maillon de la chaîne. Je fais le pari de la compétence ‚avec un paiement en (bons) salaires, pour des articles à forte valeur ajoutée ».
Sa mission est de redorer le blason du journaliste du système… et de ramener les lecteurs au bercail : « Il n’est pas sain que le journaliste soit vu d’un aussi mauvais œil. La côte de désamour se manifeste par une absence de confiance, un reproche face à la médiocrité parfois. Le lecteur se détourne, s’oriente vers d’autres sources ». Sources dangereuses, puisqu’elles ne sont pas avalisées par le système médiatique : il n’y a pas de danger plus grand pour celui-ci de voir que le lecteur peut aller sur le web ou vers des médias de réinformation et qu’il s’aperçoive… qu’il peut très bien se passer du système. Un signe qui ne trompe pas sur la réalité de « l’indépendance » de Mediacités : le média a signé un partenariat avec les journaux régionaux de France 3, bras armé du service public audiovisuel en province – les antennes régionales de France 3 relaient régulièrement les grandes enquêtes de Mediacités et son expansion.