Les lecteurs du site bien connu les-crises.fr animé par Olivier Berruyer ont pu prendre connaissance, le 31 décembre dernier, d’un incident survenu entre la rédaction de Médiapart et l’un de ses abonnés qui intervenait sous le pseudonyme de « Swank » et dont le blog est accessible sur internet pour les non abonnés à MDP.
Ce dernier a écrit un article posté le 12 décembre 2016 sous forme d’une Lettre ouverte aux journalistes de Médiapart (et à quelques autres) condamnant la ligne éditoriale du « journal participatif » à propos de la crise syrienne, l’assimilant à un matraquage éditorial d’inspiration atlantiste.
L’auteur s’en prend correctement, mais avec virulence, au parti-pris du journal, avéré selon lui. Il met en cause un débat organisé par la rédaction en présence d’Edwy Plenel à propos d’Alep dont « tous les intervenants pensaient la même chose », fait un lien avec le journal Le Monde dont Edwy Plenel a été l’un des dirigeants ; bref, il fait part non sans talent de son indignation qui peut paraître fondée quand on aspire à une presse plus ou moins honnête et pluraliste. Surtout lorsque l’on a fondé quelque espoir que Médiapart puisse représenter une alternative crédible au conformisme généralisé des grands médias français.
Mais voilà que l’« équipe de modération » du journal, de service ce week-end là, aurait décidé de son propre chef (si l’on en croit Edwy Plenel dans sa surprenante mise au point évoquée ci-dessous) de supprimer le billet en question avant que Edwy Plenel ne décide, du haut de son autorité apparemment souveraine, de le remettre en ligne. Auparavant, « Swank » avait dénoncé cette censure sous le titre « Juste une mise au point ».
Plenel intervient en personne sur le « mode Plenel »
Ceci resterait anecdotique pour les citoyens non abonnés au journal en ligne, si la réponse de Edwy Plenel, amusante à certains égards, ne donnait pas à l’affaire un retentissement regrettable du fait du renom de ce « grand journaliste » sur la place publique. Car Edwy Plenel a pris la peine d’écrire à Swank une réponse sous le titre « Commentaire de Edwy Plenel en réponse».
Premier élément intéressant, Edwy Plenel rassure en spécifiant «… nous avons republié… », tout en mettant en cause « l’équipe restreinte chargée de la permanence du week-end », pour aussitôt l’exonérer au motif qu’elle aussi a le droit d’être « énervée et dégoûtée » (terme repris du papier de Swank), ce qui est une approche inhabituelle de ce que l’on attend de journalistes professionnels.
Puis vient la contre attaque classique, laquelle est susceptible de donner un éclairage sur la responsabilité réelle de Edwy Plenel dans cette histoire. Il y qualifie notamment les propos de Swank de « dénigrement aveugle, tissé de préjugés et de mensonges, d’amalgames et d’excommunications dans le déni de toute vérité de ce qu’est ce journal ». On reconnaît là la prose d’un grand excommunicateur devant l’éternel qui a par exemple traité de « moisis » les opposants à l’arrivée des « réfugiés » en UE.
Et surgit le morceau de bravoure où l’on s’insurge contre l’accusation d’atlantisme qui serait la ligne éditoriale de MDP et sa proximité avec la doxa des médias mainstream. On continue avec les mots « diabolisation, insulter, campagne d’aveuglement partisane, vision complotiste du monde (tiens tiens) », etc.
Après cette sortie en tout point conforme aux critiques adressées par les « grands médias » aux récalcitrants qui n’acceptent pas les informations manufacturées que nous sert notre presse « faite par des professionnels » (l’indignation est en effet un bon outil pour délégitimer l’adversaire du jour), vient l’approche déontologique et le rappel des principes de la « Charte éditoriale » de Médiapart.
Plenel ayant accusé Swank de « dénigrement », il rappelle opportunément que le dénigrement est proscrit par la Charte. Cela ne vous rappelle rien ?
Il poursuit alors avec le pendant moral d’un tel commandement, au demeurant justifié sur le plan de la déontologie journalistique, et ouvre son argumentaire en se référant aux « 128 000 abonnés » qui font la force de MDP, avant de brandir la table de la loi : « Nous ne pouvons accepter que les espaces contributifs soient pris en otage par des campagnes de dénigrement… », etc.
Rendons justice à Edwy Plenel et à ses collègues : les contributions sur MDP sont filtrées à posteriori et non à priori, avant publication, ce qui fait pour une part notable l’originalité de ce journal. En « bon » pamphlétaire, Edwy Plenel termine en citant la déclaration des droits de l’homme et du citoyen » (« préambule de la Constitution de l’An I »), bouclier imparable contre les critiques.
La dépublication aura donc été « éphémère », et se veut un rappel au principe de bas de la Charte.
Comprendre les « tables de la loi » selon Plenel
L’équipe de modération du week-end était fatiguée et fragilisée. Elle a donc eu une lecture de la Charte sans doute erronée qui l’a conduite à « dépublier » le papier en question. Elle été désavouée par Edwy Plenel. Par respect de la charte ? Pourquoi pas.
Edwy Plenel dans son immense sagesse décide donc de passer outre, et s’assoit sur la Charte et/ou le professionnalisme à ses yeux fragile de l’équipe en question, quelle qu’en soit la qualité réelle par ailleurs, portant dans tous les cas gravement atteinte à sa légitimité.
Mais il use de ce désaveu de ses propres troupes pour immédiatement le muer en « avertissement » à l’encontre du contrevenant, tentant d’infantiliser son abonné en lui signifiant que c’est une leçon. Le garnement ne devrait plus se risquer à mettre en cause la ligne éditoriale de son journal tel qu’il la perçoit, ce qui pourtant devrait susciter une réponse argumentée et non de simples rappels à l’ordre. Car en vérité, un quotidien a toujours loisir de montrer la place éventuelle faite à ceux qui ne parlent pas tout à fait son langage. Si la Charte a été bafouée, pourquoi republier ? Si tel n’est pas le cas, pourquoi attaquer si férocement Swank ? Mystère.
Pour en arriver là, Edwy Plenel aura fait le détour par l’indignation habituelle renvoyant à des principes universels qui ont le mérite d’éloigner le débat du concret, hic et nunc.
Or, chacun peut constater en parcourant au moins ses unes que Médiapart opte fréquemment pour la russophobie, le multiculturalisme, l’universalisme mondialiste, et que son traitement de la politique internationale se démarque peu de celle de ses grands confrères. En bref, son discours s’apparente souvent à la doxa véhiculée par les médias « oligarquisés ». Pourquoi pas ?
Mais peut-être faudrait-il en ce début 2017 changer de logiciel et de méthode pour rester crédible. Dénoncer des accusations au demeurant de peu de portée au vu de la notoriété confidentielle de l’abonné pour prolonger avec hargne un discours « des valeurs » (tiens tiens…) commence sans doute à lasser. Mme Clinton en sait quelque chose !
Si Edwy Plenel abandonnait les « tables de sa loi » pour retrouver l’acuité et la déontologie d’un journaliste simplex, peut-être pourrait-il n’avoir plus à répondre à des abonnés en colère sur le ton d’un réquisitoire d’un autre temps. Mais cela regarde ces derniers. Bienvenue donc en 2017 avec Médiapart !
Sources : les-crises.fr du 31 décembre, Swank blog Médiapart. La réponse de Edwy Plenel figure en commentaire.