Médiapart, créé par Edwy Plenel, trois associés personnes physiques et deux associés financiers, change de structure. La société éditrice sera reprise par un fonds de dotation à but non lucratif (du type de celui du Guardian en Angleterre). Ce Fonds pour une Presse Libre (FPL) détiendra le capital via une structure intermédiaire. Le tout pour assurer l’indépendance et l’avenir du média. Nous avons reçu à ce sujet une lettre de lecteur que nous livrons à votre sagacité. Les intertitres sont de notre rédaction.
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« Le site Médiapart d’Edwy Plenel Médiapart, journal numérique qui s’est fait une solide place dans le paysage médiatique français à partir d’un concept original et efficace, poursuit sa course selon une logique économique novatrice, sans doute appelée à servir de modèle à d’autres aventures journalistiques à venir. Que l’on en juge, sous la plume de M. Plenel :
« Depuis sa création en 2008, Médiapart est une exception dans le paysage médiatique : un journal totalement numérique, totalement participatif et totalement indépendant ; une presse ne vivant que du soutien de ses lecteurs, sans recettes publicitaires ni subventions étatiques.
À l’invention journalistique qui a fait sa réussite, Médiapart ajoute une invention capitalistique en logeant 100 % de son capital dans une structure à but non lucratif qui, en le sanctuarisant, le rendra inviolable, définitivement non cessible et non achetable. Ce Fonds pour une presse libre aura pour mission d’intérêt général de défendre la liberté, l’indépendance et le pluralisme de la presse. »
Indépendance économique et vision du monde
Il convient cependant de noter qu’un journal, quelles que soient sa structure économique ou ses modalités de diffusion, est à la fois, en principe, une entreprise au sens strict du terme, et l’expression d’une idéologie, d’une vision de la vie en société. Un journal vend des idées, des interprétations du monde comme il va, voire du monde comme il devrait aller. Autrement dit, son indépendance économique est une condition nécessaire à sa liberté, mais non suffisante pour évaluer sa liberté réelle ou supposée quant à la doxa de l’heure.
Par ailleurs, les « concurrents » de Médiapart, Le Monde, Libération, Le Figaro, L’Humanité (etc) seraient ‑t-il encore dans les kiosques sans les aides de l’État ? On peut en douter. Les grands titres étant devenus majoritairement la propriété d’oligarques puissants dont la prospérité souvent dépend des commandes publiques, ont de la sorte des assises capitalistiques solides, et, sans surprise, des lignes éditoriales voisines, les intérêts fondamentaux de leurs patrons coïncidant évidemment. On sait quel a été le rôle des « grands médias » dans l’élection de M. Macron, qui en l’occurrence peut apparaître comme le fondé de pouvoir de leurs propriétaires.
Indépendance et conformisme politique
On va donc risquer que la liberté économique d’un média n’en fait pas forcément un média « libre » lorsque sa stratégie éditoriale, fût-elle librement construite, rejoint par trop celle de ses concurrents. Ah, pluralisme ! Pour aller vite, souvenons-nous que Médiapart, économiquement indépendant, a appelé en toute indépendance à voter Emmanuel Macron, dénonçant le supposé danger « fasciste » représenté par Mme Le Pen, tout en se déclarant dès le lendemain de l’élection du nouveau président « dans l’opposition » à ce même président. Sur tous les « grands sujets », on peine à marquer une spécificité de Médiapart : diabolisation de la Russie et de son président, islamophilie avérée, soutien aux flux de réfugiés, parti pris multiculturaliste. Et pourquoi pas ? Mais sauf faire une erreur, on retrouve chez Médiapart les mantras du New York Times, du Washington Post et de la « grande » presse européenne. Sa couverture de la guerre en Syrie a été un modèle atlantiste du genre. Tout autant que celle de l’affaire ukrainienne.
La rédaction de Médiapart a évidemment le droit d’inscrire son cheminement dans le flot du journalisme occidental tellement proche des idées du parti démocrate US, mais un observateur attentif peut en la matière relever que, avec une indépendance économique à priori acquise, ce journal peine encore à trouver une voix originale.
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Ils déplorent les effets dont ils chérissent les causes
Notons le goût heureux de Médiapart pour « sortir des affaires ». Pourtant, en l’occurrence, peut-on s’inscrire dans le concert de l’idéologie dominante en se positionnant subrepticement dans un fonctionnement politique social et économique favorisant par ailleurs les dérives intelligemment dénoncées ? Dieu se moquerait des prières de ceux qui se plaignent de faits dont ils chérissent les causes (Bossuet dit cela parfaitement). On peut laisser à Dieu sa vision de l’humanité, mais très humainement pointer des dysfonctionnements apparents dans la stratégie éditoriale d’un grand média, personnalisé par M. Plenel dont le moins que l’on puisse dire, est qu’il a eu un parcours aux vertus contestables, et parfois contestées.
Félicitations en tout cas à l’équipe Médiapart, dont M. Plenel, qui a construit ce projet économiquement abouti, du moins en principe. Et souhaitons à sa rédaction d’avoir un jour le courage de regarder et de traiter l’actualité avec ses propres yeux. Peut-être sera-ce le cas après le départ des fondateurs dont les racines trotskistes (revendiquées) restent peut-être d’une prégnance regrettable. »